Mourir peut attendre : James Bond, grand vainqueur inespéré de 2021 ?

Matthias Mertz | 26 décembre 2021
Matthias Mertz | 26 décembre 2021

Le dernier James Bond avec Daniel Craig, Mourir peut attendre, a cartonné en 2021. Mais a t-il vraiment été un grand et beau succès au box-office ?

Si vous aimez les multivers, les réalités alternatives et toutes ces facilités scénaristiques, vous allez adorer Mourir peut attendre. Ce film aurait pu sortir en 2019, faire un gros milliard de dollars, et sacrer Peter Dinklage comme nouveau Bond dans la foulée après une orgie de la part des producteurs (et après que Daniel Craig ait dit deux ans plus tôt qu'il était un peu fatigué de faire des cabrioles). Le film aurait pu être réalisé par Danny Boyle, et ça aurait pu ne pas faire transpirer deux sociétés de production différentes pendant près de deux ans.

Manque de chance, rien de tout ça n'est arrivé dans notre univers. Ce 25e film de Bond a perdu un réalisateur, a cherché une date de sortie en pleine pandémie, et a eu droit à trop de jeux de mot sur son titre. Pourtant, il a été un succès en salle. Au point de devenir l'un des plus gros succès de 2021, devant les Marvel et autres Fast & Furious. De quoi soulager Barbara Broccoli, MGM, Eon, et les observateurs du cinéma en général.

Mais derrière les gros chiffres, cette usine à gaz (gros budget, dépenses qui ont explosé avec les retards) a t-elle été un vrai et franc succès ? 

   

  

Plus c'est long, plus c'est bon(D)

Bien avant la pandémie, 007 nageait déjà dans les ennuis, dès le choix du réalisateur. Après Skyfall et Spectre, Sam Mendes avait décidé de ne pas rempiler. Les noms de Christopher Nolan, Yann Demange et Denis Villeneuve ont alors été évoqués, avant que Danny Boyle ne soit choisi en février 2018. Une idée logique, puisqu'il avait réalisé un petit sketch d'ouverture pour les JO de 2012, où Daniel Craig en 007 croisait la Reine.

Mais au bout de six mois, Danny Boyle quitte le navire. La raison : des désaccords clairs et nets sur le scénario (il imaginait une version où Bond affrontait des russes).

Les producteurs avaient alors deux choix : trouver très vite un nouveau réalisateur, ou repousser la sortie du film. Ce qui implique de lourdes conséquences à tous les niveaux, notamment pour trouver un autre créneau libre et intéressant dans les agendas hollywoodiens. Cary Joji Fukunaga est engagé en septembre 2018, quelques semaines après le départ très médiatisé (et donc très gênant) de Danny Boyle. Ce qui n'a pas empêché un report du film.

 

Mourir peut attendre : photo, Daniel CraigJames bon perdant 

 

Censée démarrer fin 2018, la production est repoussée à avril 2019. Et les complications continueront avec une blessure à la cheville de Daniel Craig en mai 2019, puis un problème technique endommageant les décors et blessant un technicien le mois suivant. Le film, avant la pandémie, fut donc repoussé de novembre 2019 à février, puis avril 2020.

En mars, l'explosion de la pandémie pousse les studios à repousser la sortie du film au mois de novembre 2020. En octobre, la date de sortie est de nouveau reportée à avril 2021, pour espérer capter le public américain, alors privé de salles. Finalement, le mois de janvier 2021 marque le dernier report, et octobre 2021 apparaît comme la sortie finale de Mourir peut attendre, soit presque 2 ans après la date de sortie initiale.

 

Mourir peut attendre : photo, Lashana Lynch, Daniel CraigVoyager en classe éco' 

  

un BOND DANS La banque 

Cette conclusion de l'arc de Daniel Craig en James Bond a été pensée en grand, notamment pour exister dans le paysage hollywoodien moderne. De quoi motiver un très gros budget de 300 millions de dollars, supérieur à Spectre (245 millions) et Skyfall (200 millions). Et de quoi le placer parmi les très grosses productions, comme Avengers : Endgame (356 millions de budget), Avatar (315 millions) et Star Wars : Le Réveil de la Force (215 millions)... tous parvenus aux deux milliards. Si quelqu'un en doutait encore, James Bond n'a pas le potentiel commercial d'un Star Wars ou d'un Avengers.

Évidemment, ces reports à la pelle ont fait flamber les coûts de marketing, estimés par Variety à 100 millions de dollars à l'origine, et gonflés par des dizaines de millions de dollars additionnels pour soutenir le film malgré les reports et continuer sa promotion. Variety parlait aussi d'un million supplémentaire par mois de retard.

 

Mourir peut attendre : photo, Daniel CraigLe placement de produit ne peut pas attendre

 

Mais pus qu'une question de promo, les reports ont aussi posé un problème inédit à MGM et Eon, les deux sociétés de productions impliquées dans le projet. Le film a ainsi dû gérer des reshoots pour changer les accessoires que l'espion utilisait, afin de respecter ses engagements par rapport aux placements de produits et aux sponsors. Pour eux, l'espion se devait de porter les derniers accessoires des marques impliquées.

Les placements de produits et autres partenariats de luxe n'ont rien d'extraordinaire, mais la pandémie a montré les limites de ces opérations. Certaines scènes auraient ainsi été retournées uniquement pour permettre à l'agent de flamber avec ses nouveaux accessoires, ramenant le film à son statut de pure opération de business.

 

Mourir peut attendre : photo, Ana de ArmasEcran Large prévoit une obligation contractuelle de montrer Ana de Armas

 

stream un autre jour

En octobre 2020, le monde ne va pas vraiment mieux, et la panique continue à Hollywood comme partout ailleurs. Arrive alors la rumeur incroyable : la MGM envisagerait de vendre Bond à une plateforme de streaming, espérant récupérer ses billes et ainsi éviter la casse. Une idée certes folles pour un James Bond, mais logique en temps de pandémie, plusieurs studios ayant suivi ce modèle. 

Le dilemme est évident. D'un côté, repousser encore la sortie cinéma, c'est prendre le risque de toujours plus abîmer l'événement que représente le film, tuer l'effet d'attente, et miser sur un monde d'après où James Bond trouvera sa place (notamment dans l'embouteillage des sorties). De l'autre, "sacrifier" le film permettrait de récupérer sa mise de départ, éviter un potentiel désastre... mais également faire une croix sur les ambitions économiques d'un tel blockbuster, conçu pour rapporter gros (et pas se transformer en opération blanche).

 

Mourir peut attendre : photo, Léa Seydoux"Promis, streamer n'est pas tromper"

 

L'affaire excite tout le monde, entre bruits de couloir et révélations croustillantes. Face à la pression et dans une situation périlleuse, MGM espèrerait vendre Mourir peut attendre entre 600 et 850 millions selon Variety et The Hollywood Reporter. Soit une opération historique.

Apple et Netlix auraient été intéressés par l'idée, mais pas pour plus de 400 millions (300 tout au plus selon Deadline), soit une somme inférieure aux coûts de production du film à ce moment. Au final, MGM balaye ces rumeurs, affirme que le film n'est pas à vendre, et que tout va bien.

 

Mourir peut attendre : photo, Ana de Armas, Daniel CraigPromis, l'avant-première robe de soirée aura lieu

 

GROS succès (ou pas)

Garder le matelot Mourir peut attendre sur le bateau n'a pas été un acte de foi, mais bien une nécessité pour MGM, vu les enjeux. Avec une bonne surprise : presque aucun film n'a battu le box-office du 25e Bond en 2021. A part les productions chinoises, qui font 900 millions de recettes au sein du seul Empire du Milieu. Et Spider-Man : No Way Home, sorti fin 2021, et qui finira sa carrière en 2022.

Avec ses 774 millions de recettes, Bond a éclipsé Fast & Furious 9 (716 millions), Venom : Let There Be Carnage (498 millions), et tous les Marvel avant l'homme-araignée (Shang-Chi et la Légende des Dix Anneaux avec 420 millions, Black Widow avec 379 millions, et Les Eternels avec 400 millions).

774 millions au box-office, c'est une somme parfaitement alignée sur la rumeur du prix de revente espérée à un géant de la SVOD (entre 650 et 800 millions). La preuve donc que le succès a été plus ou moins à la hauteur des attentes, même si les coûts marketing nécessaires à une sortie cinéma sont à rajouter à l'équation.

 

Mourir peut attendre : photo, Daniel CraigPlus Fast & Furious que toi

 

Toutefois, contexte pandémique oblige, Mourir peut attendre n'a pas égalé ses prédécesseurs. Spectre avait récolté 880 millions de dollars dans les salles pour un budget de 245 millions, tandis que Skyfall n'a coûté que 200 millions à produire pour en rapporter 1,1 milliard. Mourir peut attendre a quant à lui coûté au moins 250 millions à produire, et ses frais de marketing sont nécessairement plus importants. Nul doute que les producteurs visaient le milliard, comme Skyfall.

Autre donnée importante : Mourir peut attendre réserve aussi une partie de ses profits à ses producteurs historiques, Barbara Brocoli et Michael G. Wilson, ainsi qu'à Daniel Craig. Ce dernier a par ailleurs touché 25 millions selon Variety pour sa présence dans le film, dont il est également producteur. Tout ça est donc à déduire du bilan business.

 

Mourir peut attendre : photo, Daniel Craig, Léa Seydoux"Vous n'êtes pas du tout inquiet pour le film, Bond ?"

 

Pour beaucoup d'observateurs et analystes, Mourir peut attendre devait encaisser a minima 900 millions de dollars au box-office pour parvenir à être rentable. De quoi nourrir quelques gros titres peu flatteurs sur l'échec relatif du film, après des années d'attente. Variety et compagnie parlaient alors d'une perte de 100 millions au moins.

Chose suffisamment rare pour être soulignée : la MGM a réagi dans un communiqué pour démentir cette information, dénonçant des" sources anonymes et mal informées suggérant que le film serait une perte d'argent, ce qui est faux." Une défense rapide, virulente... et suspecte ? 

 

Mourir peut attendre : photo, Rami MalekQuand tu comprends que tu peux pas fourguer ton film pour plus de 300 balles

 

le dernier dinosaure

Une chose est sûre : Bond s'en tire plutôt bien, comme à son habitude. Dans un climat doublement défavorable pour les films sortis uniquement en salle (à cause de la pandémie, mais aussi de l'essor de la SVOD, dont le calendrier a évidemment été accéléré par le contexte sanitaire), la marque Bond conserve sa force de frappe, et son pouvoir d'attractivité sur une population mature pourtant réticente à retourner dans les salles.

Il suffit de comparer Mourir peut attendre à d'autres gros films, sur la période 2020-2021, pour voir sa réussite économique. Sorti en plein coeur de la tempête, Tenet de Christopher Nolan avait subi un gros revers. Malgré ses 350 millions au box-office, le blockbuster aurait perdu 50-100 millions. Dans un autre registre, Dune de Denis Villeneuve (budget d'environ 165 millions) n'a pas franchi la barre des 400 millions au box-office, ce qui aurait certainement condamné la franchise dans un monde normal. Mais entre la pandémie et la sortie simultanée sur HBO Max, tout a changé, et Dune 2 a bien été officialisé.

 

 

Mourir peut attendre : photoLe crépuscule de Bond

 

La Maison Bond n'est donc pas en feu, et il convient aussi de s'interroger sur la suite. Daniel Craig a quitté le smoking impeccable de 007, la société de production MGM a été rachetée par Amazon en mai 2021, et les rumeurs sur les nouveaux interprètes de l'espion le plus célèbre du monde vont bon train (une femme, un homme, plus jeune, moins blanc : peu importe, la colère sera là).

En plus de la fin de Daniel Craig, ce 25ème opus marque t-il la fin d'une ère ? Mourir peut attendre est-il le chant du cygne d'une marque intemporelle, qui avait jusque là résisté dans une industrie en constante évolution ? Post-pandémie, chez Amazon et en pleine guerre du streaming, 007 va t-il être décliné en séries, spin-offs et autres, pour succomber aux univers étendus ?

Pour survivre et s'adapter, Bond ne va t-il pas devoir faire plus (et pas forcément mieux) qu'un gros film, cher et donc risqué, tous les 3-4 ans ?

Ce n'est pas dans les cartons à en coire Daniel Craig, qui disait récemment chez The Sun "James Bond est fait pour être regardé sur un grand écran. C'est un spectacle qui fait bouger les familles dans les salles de cinéma."  Reste donc à voir où voudront aller ces fameuses familles, désormais plus que tiraillée entre salles et salons.

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