Marvel vs Scorsese : le scénariste de Taxi Driver défend Marvel (ou presque)

Mathieu Lapon | 8 septembre 2021 - MAJ : 12/10/2021 17:32
Mathieu Lapon | 8 septembre 2021 - MAJ : 12/10/2021 17:32

Le scénariste de Taxi Driver, Paul Schrader, soutient (à sa manière) les Marvel et autres films de super-héros après le débat lancé par Martin Scorsese.

Ça peut paraître dingue d'avoir encore à le préciser, mais le débat a longuement été ouvert par des personnalités comme Martin Scorsese. Depuis une quinzaine d'années, mais encore plus depuis le phénomène Avengers, la mode est aux super-héros et à leur représentation contemporaine. Que l'habillage en collants et la prolifération toujours plus blockbusteresque de ces films en répugnent certains est une chose, mais remettre en cause jusqu'à la pertinence de l'existence de ces œuvres, c'en est une autre. 

Il n'empêche qu'une pléthore de cinéastes, tant issus des firmes super-héroïques que du cinéma d'auteur, s'est posée la question à la suite de Scorsese. Et si sa polémique remonte à octobre 2019 (le temps passe vite, oui), certains ne manquent pas l'occasion de raviver un peu plus la flamme. Fait néanmoins curieux (et plutôt rare), c'est un réalisateur dit "auteur" qui a cette fois-ci pris la défense des super-héros... mais aussi plus ironiquement le scénariste de Taxi Driver

 

photoPaul Schrader

 

Paul Schrader a en effet répondu à GQ, en abordant sa carrière, sa récente nomination pour Sur le chemin de la rédemptionet les modes qui dictent les genres cinématographiques dominants. Le réalisateur et scénariste américain, à qui l'on doit Dog Eat Dog et The Walker, explicite sa définition du cinéma, et en quoi les super-héros n'en sont qu'un énième genre, qui n'est pas plus à dénigrer qu'un autre :

"Non, ces films sont du cinéma [...] Comme les vidéos de chats sur YouTube, tout ça, c'est du cinéma. Il est surprenant de constater que ce que nous considérons comme du divertissement pour adolescent, les comic-books, soit devenu le genre dominant économiquement. Chaque génération est imprégnée de quelque chose. Certaines le sont par la littérature, d'autres le théâtre, d'autres par la télévision, et d'autres par l'école de cinéma. Aujourd'hui, nous avons une génération imprégnée par le jeu vidéo et le manga."

 

photo, Henry Cavill, Ray Fisher, Jason Momoa, Ben Affleck, Gal GadotPas sûr qu'ils se sentent comme le "genre dominant", ceux-là.

 

"Ce ne sont pas les réalisateurs qui ont changé, c'est le public. Et quand le public ne veut pas de films sérieux, c'est très très dur d'en faire un. Quand il le veut, et qu'il vous demande : 'Qu'est-ce que je devrais penser de la liberté des femmes, des droits des homosexuels, des conflits raciaux, des inégalités économiques ?' et qu'il est intéressé par ces problématiques, alors vous pouvez faire ces films. Et nous l'avons fait.

Particulièrement dans les années 1950, 1960 et 1970, on en voyait un ou deux par semaine qui traitaient de problématiques sociales. Et ces films étaient des succès financiers parce que le public les voulait. Maintenant, quelque chose a changé, culturellement. Les centres d'intérêt sont différents. Ces films sont toujours faits, mais ils ne sont plus au centre du débat, aujourd'hui."

 

photo"On se prend pas trop au sérieux, ok ?"

 

Si on peut tout de même lire un fond de regret dans les paroles de Schrader, le réalisateur a le mérite de ne pas réduire le cinéma à un terreau de penseurs élitistes, de respecter l'œuvre du voisin, et de rappeler la réalité sociale et économique de cette industrie, trop souvent oubliée quand on commence à échelonner l'art. 

Autant dire que ce point de vue, modéré et analytique, ne grouille pas dans le débat qui a fait rage entre Scorsese et le reste du monde. Et il y a fort à parier que nous sommes loin d'en avoir fini avec celui-ci, maintenant que l'univers cinématographique Marvel (et ses concurrents) est à la croisée des chemins, à l'aube de sa Phase 4.

Tout savoir sur Paul Schrader

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.
Vous aimerez aussi
commentaires
Morcar
09/09/2021 à 11:29

Ca fait du bien de lire des paroles un peu sensées au milieu de ce débat puéril.

@Oliviou, il fut un temps où c'étaient les réalisateurs voulant proposer un film de super-héros ou de fantasy qui soit ne parvenaient pas à faire aboutir leur projet, soit y parvenaient au prix d'un combat épique de plusieurs années et voyaient leur film immédiatement noyé par les géants Scorcese etc.., Il n'y a rien de nouveau, c'est juste que les goûts du public ont changé.

Marc
08/09/2021 à 21:56

@ Mister Ten: c'ets un peu ma réflexion justement, est ce que le public n'a pas trouvé le MCU grandiose? Est ce que dans 10 ou 20 ans, il n'y aurait pas des jeunes sur ce site ou sur Youtube qui t'expliqueront que l'époque du MCU était vachement que ce qu'il sortira alors? Lorsque je vois la popularité, les fans, les réactions en salle, bah je me pose la question. Bien entendu c'ets trop simple à cette échelle de ramener le public aux seuls jeunes, ou aux seuls "ignares".

Pour ma part, je suis un peu dans un entre deux. Pas parce que je suis la Suisse, mais parce que je le pense vraiment. Pour moi, ils ont réussis des "moments" cinématographiques, mais des "moments clés". Les oeuvres que tu cites me semblent être du beau cinéma de la première à la dernière minute. Avec le recul je me rappelle de ces "moments".
Par ailleurs, si aucun des films n'est vraiment innovant (sauf Infity War sur certaines aspects), le concept d'univers partagé poussé à ce point l'est et c'est sans doute ce qu'il restera de Marvel.

Donc je me trouve un peu entre deux eaux à taper autant sur le fan aveugle que sur ceux, comme parfois sur ce site (y compris journaliste) qui flingue injustement leurs films. En fin de compte je me rend compte que j'ai la grande majorité en blue ray de leurs films et que je reste client de cette histoire, qui s'étoffe et se complexifie au fur et à mesure du temps.

Après je comprends ce qui embête tout le monde: le poids de Marvel dans Hollywood, ou encore leur impact impact médiatique , qui nuit au développement et à la visibilité d'autres films.
Là dessus j'en suis bien d'accord, mais je note quant même qu'on ne peut pas non plus rendre Disney/Marvel intégralement responsable des décisions ou de la frilosité des autres studios.
C'est anormal que Scorcèse n'ait pu trouver un studio pour sortiir Irish Man au cinéma (d'ailleurs c'est un des contexte de sa petite phrase), mais il/on ne peut pas non plus coller cette argutie au seul succès du MCU.

MystereK
08/09/2021 à 19:59

OLIVIOU Non, Schrader a raison, en fréquentant les festivals, les sites de VOD, les rayons DVD/Bluray, on trouve toutes sortes de films plus ou moins indépendants qui sont cet autres cinéma dont Schrader parle. La différence d'avec les années 60/70/80 c'est qu'ils ne sont plus sur le devant de la scène, mais pour en consommer pas mal via les canaux que je vous ai cité, je vous assure qu'ils existent, il faut les chercher, hors Hollywood aussi, et à l'étranger (parce qu'on parle toujours des réalisateurs américains, mais il existent beaucoup de pays et de réalisateurs qui font des films différents, Anders Thomas Jansen au hasard . Que FIncher, Spike Lee ou Soderbergh se réfugient sur les plateformes ? Pas de soucis pour moi, je continue à regarder ce qu'ils font, j'irai simplement voir autre chose au cinéma. Il ne faut pas non plus oublier que les noms que vous citez ont remplacé d'autres générations, que lnos aînés admiraient. Chaque période son style, ses besoins, ses gouts et il ne faut pas les juger, c'est comme ça, c'est tout.

Mister Ten
08/09/2021 à 17:42

@Marc bien sûr que ce modèle est logique, d'un point de vue financier en tout cas, personne ne peut leur donner la leçon.
Mais là où des œuvres "à la croisée des chemins", comme Alien à tout hasard, contribueront d'être regardé et admiré 40-50 ans plus tard et plus, je doute que la bouillie numérique et les vannes (déjà) pourries restent dans les annales du cinéma, si ce n'est en terme d'argent encore une fois.
Oui ces films ont le droit d'exister et, même si j'en apprécie qu'une faible poignée, apportent visiblement quelque chose au public. Ce qui est dommage c'est la quasi disparition de projets d'un autre calibre comme on en a connu avant que les studios de cinéma ne soient dirigés que par des "suits".

Marc
08/09/2021 à 17:29

Moi j'ai encore un avis nuancé sur cette question des Marvel.

D'abord, sur le cinéma a toujours eu un visage un peu double, entre films d'auteurs/divertissements, avec quelques opus situés à la croisée des chemin. Pourtant certains divertissements sont parfois davantage restés dans l'esprit collectif qu'une bonne part des films d'auteur.

Par ailleurs, sur ce site, mais aussi dans l'esprit d'une partie des cinéphiles, on a du mal à comprendre la popularité et l'attache du public au cinéma de Marvel.

Mais n'oubliez pas tout de même que le MCU a développé une idée qui avait jusqu'alors échoué, qui est celle de l'uniivers partagé. Il permet de développer les personnages, le récit et l'univers sur beaucoup de films, ce qui justifie l'attachement du public. A cela s'ajoute la "logique sérielle", qui est assez humaine: une fois "hameçonné" on veut connaître la fin.
Enfin, on part du principe que ces films n'offrent aucun moment de cinéma...amis est ce vrai? RIen n'ets moins sur. A défaut de grands cinéma à chaque seconde et sur l'ensemble des films, on voit bien dans les critiques ou même les publications youtubes, qu'une part du public a été touché par moments emblématiques, parfaitement retranscrits à l'écran.

Enfin, je crois que c'est cela le coeur du sujet, comme je l'évoquais dans un autre article, Marvel ne peut "pas se tromper", car le studio sort des films qui, plus que jamais, sont tous publics. Ces films parlent à un éventail particulièrement large de la population. EN contrepartie, ion peut reprocher une absence de prises de risques, mais ce modèle n'a t il pas sa logique?

Mister Ten
08/09/2021 à 15:48

Que le style de film populaire change n'est pas le problème, c'est plutôt la qualité "profonde" qui est en cause. Tout l'habillage technique est bien beau (encore que ça se discute selon beaucoup de cas) mais ce que ça propose est souvent bien pauvre.
Je suis un grand fan de manga et de super héros depuis toujours, mais je ne me retrouve dans quasi aucune des œuvres cinématographiques qui y sont associés.

Oliviou
08/09/2021 à 15:05

Ce qui change avec les super-héros (et autres Star Wars, F&F, Jurassic, etc), c'est qu'il s'agit avant tout de projets de domination mondiale. Faire des milliards et écraser la concurrence c'est ça l'objectif. Et les artistes qui bossent sur ces produits font bel et bien du cinéma - car c'est leur métier - mais ne disent plus rien. Ils font juste de la pub très chère (et parfois, miraculeusement, très bonne) pour leur produit. Quand Schrader dit que les autres films existent encore, il a globalement tort. Toute une catégorie de films (et de réalisateurs) a disparu - ou quasi - ces dix dernières années, soit sans laisser de traces, soit en parvenant au prix d'un combat épique de plusieurs années à sortir un film qui est immédiatement noyé par les géants de l'entertainment, soit en se réfugiant sur les plateformes. Pas des inconnus. Des gens comme Fincher ou Soderbergh, par exemple. Des gens comme Scorsese, Spike Lee, Michael Mann ou Lynch... On attend tranquillement la relève, mais pas sûr qu'on la trouve en salles.