Chien de garde : critique qui donne la patte

Christophe Foltzer | 6 octobre 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Christophe Foltzer | 6 octobre 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58

La famille, c'est parfois l'enfer. Mais quand elle ressemble plus à une meute qu'autre chose, ça devient encore plus compliqué. Un drame que Chien de garde montre avec grand talent.

Si nous sommes tous issus de notre propre milieu et que certains se battent pour s'en éloigner en redoublant d'efforts, les stigmates que laisse notre famille dans notre parcours se comptent au nombre de nos cicatrices. Et pour JP, elles seront probablement de taille. Certainement le membre le plus stable d'un trio familial autodestructeur, il gère sa mère alcoolique, sa petite amie vagabonde, son oncle mafieux, mais surtout Vincent, son frère aussi dérangé qu'imprévisible, stigmatisation de tout ce qui ne va pas au sein de la famille.

 

photo chien de gardeJean-Simon Leduc et Théodore Pellerin

 

Pour son premier long-métrage, la réalisatrice Sophie Dupuis ne s'est pas lancée un défi facile. Si le récit reste dans les codes classiques du genre, c'est sur la forme que Chien de garde accède à une autre dimension. Point de rencontre évident entre plusieurs cinémas américains et européens, le métrage déploie dès ses premières secondes, une énergie folle qui ne quittera plus le spectateur jusqu'au générique final. Par sa mise en scène intelligente et sensitive, Dupuis colle au plus près de son personnage principal rendant le tout très étouffant et éprouvant, limitant ses cadres, resserrant ses plans et ne laissant aucune porte de sortie possible.

 

photo chien de garde

 

Et c'est d'ailleurs la très grande qualité du film : savoir créer une ambiance lourde, pesante toute autant que fascinante à partir de pas grand chose, nous soumettant aux forces en présence, montrant les crocs quand il le faut. Cette approche instinctive, et animale pourrait-on dire, se retrouve aussi dans le sound-design du film puisqu'il n'y a pour ainsi dire pas un moment qui ne soit pas envahi de bruits parasites, comme si, encore une fois, il était impossible de s'échapper de cet univers très anxiogène. L'effet est redoutable et évident : nous sommes plongés dans la peau de JP et la distance personnage/spectateur s'efface bien vite.

 

photo chien de garde

 

Bien évidemment, rien de tout cela ne serait possible sans de très bons comédiens. Et c'est donc avec un vrai bonheur que nous découvrons deux jeunes acteurs qui, on l'espère, vont percer à l'international : Jean-Simon Leduc et Théodore Pellerin. Le premier, dans le rôle de JP est parfait, tout en violence contenue, en compromis, incarnant le personnage mélancolique dans sa définition la plus pure. Face à lui, Théodore, dans le rôle de Vincent, livre une composition qui vous occasionnera probablement pas mal de sueurs froides. Tour à tour ridicule, pathétique, drôle, violent et franchement flippant, il délivre une performance en béton armé qui risque bien d'épuiser bon nombre de spectateurs.

 

photo chien de garde

 

Le dernier point qui fait très plaisir dans Chien de garde, c'est le fait que Sophie Dupuis n'ait aucunement peur de se confronter à son sujet de fond : les manipulations affectives, les zones de troubles familiales, l'interdépendance à un degré parfois pathologique, dominé par l'absence du père, ciment d'un noyau familial déjà bien délité. N'hésitant jamais à voguer sur les rives de l'inceste, de la perversion, de l'exploitation sentimentale et névrotique, le film livre un portrait de famille extrêmement ambivalent, ambigü, dégénéré et plutôt juste dans ce qu'il veut nous raconter. Si l'on omet les derniers plans du film un peu trop explicatifs et qui n'apportent pas grand chose de plus au récit, nous nous retrouvons face à un film d'une grande profondeur, dense et riche en émotions, un voyage dans les ténèbres des quartiers pauvres de Montréal, loin des clichés, sans concessions. Bref un film coup de poing à voir absolument en salles.

 

Percutant, envoûtant, fascinant, malaisant, Chien de garde dépasse sans problème son cadre de premier film pour devenir un très bel objet de cinéma. De quoi attendre le prochain projet de Sophie Dupuis avec la plus grande des impatiences et une consécration logique au dernier Festival International du Film de Saint-Jean-De-Luz, où le film a remporté le Prix de la mise en scène et celui de la Meilleure interprétation masculine.

 

photo chien de garde

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