Cannes 2018 : critique à chaud de Les Eternels de Jia Zhang-ke

Simon Riaux | 12 mai 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Simon Riaux | 12 mai 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Début des années 2000, la jeune Qiao est amoureuse de Bin, petit chef de la pègre locale de Datong. Alors que Bin est attaqué par une bande rivale, Qiao prend sa défense et tire plusieurs coups de feu. Elle est condamnée à cinq ans de prison.

 

DOLCE TRIAD

Jia Zhang-Ke revient sur la croisette avec ce film somme, audacieux et qui confirme la ligne choisie depuis quelques métrages. Le script s’étend sur plusieurs années, excuse idéale pour le cinéaste qui déroule encore une fois une analyse quasi documentaire de son pays natal, la Chine, territoire en pleine mutation et qui perd les individus.

 

Photo Zhao Tao

 

Son héroïne, Qiao traverse en effet plusieurs époques pendant le grand changement des années 2000, un virage à la fois brutal et rapide. Plusieurs séquences sont construites à cet effet, comme l’attestent les moments de danses, affolantes par leur naturalisme, ou le passage autour des 3 gorges que l’on découvre au milieu du film et qui fait un écho direct à Still Life. La filmographie du cinéaste commence ainsi à se répondre directement, comme si l’œuvre en soi évoluait d’elle-même avec le temps et l’on imagine bien que le réalisateur est beaucoup plus intéressé par l’écrasement qu’une société fait subir à des personnes.

 

photo Les Eternels

 

GANGS OF CHINA

Cette prise de conscience particulière permet au metteur en scène de prendre le prétexte de la recherche amoureuse pour traverser le pays et les époques selon son envie d’analyse. D’une pègre quasi familiale, réglée, et fondatrice de certains usages respectés, l’héroïne est lâchée dans un monde qu’elle ne connait pas, policé, froid, à base de vitrines, de règles éparses et ridicules, peu adaptées à sa mentalité. Tout un symbole chinois qui se cherche et qui tourne à la désespérance, le dernier plan du film appuyant sur cette distanciation nouvelle et glacée. Il y a en fond quelque chose d’horrible et de chaotique, malgré les lignes qui paraissent très définies.

 

Photo

 

Jia Zhang-ke continue à réaliser des films qui observent méticuleusement l’évolution en noir de son pays, loin des aspirations de chacun, dangereux et solitaire. On regrettera à ce titre que la dernière partie s’étire trop en longueur, un écueil qui aurait sans doute pu être évité, le propos étant déjà parfaitement clair lorsqu’on arrive au dernier morceau du film. Mais c’est bien le seul gros défaut du film, qui reste un important ouvrage pour ceux qui connaissent la Chine et qui suivent son devenir. La mise en image est riche, des plans sont souvent d’un grand sens esthétique et certaines séquences marqueront la rétine pour longtemps. On découvre ainsi la folie de l’urbanité des villes galopantes, le paysage massacré par des usines, et Datong, la bourgade à l’ancienne qui subit elle aussi les affres de la modernité, à l’image du personnage principal : fragile et impermanent.  

 

Un film à voir, complexe mais important, et qui confirme le virage amorcé par le cinéaste voici plusieurs années.

 

4/5

 

Affiche officielle

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commentaires
zerco
12/05/2018 à 13:37

Un chinois qui tomberait dans le coma dans les années 80 et qui se réveillerait aujourd'hui ne reconnaîtrait plus son pays. Le bond technologique que la Chine a fait en 30 ans est tout même incroyable.