Cannes 2018 : Critique à chaud de L'Eté (Leto) de Kirill Serebrennikov

Simon Riaux | 10 mai 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Simon Riaux | 10 mai 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58

D'ordinaire, qui dit réalisateur retenu par les autorités de son pays sélectionné à Cannes dit pensum politique noble mais artistiquement dispensable. Kirill Serebrennikov prouve qu'il n'en est rien avec l'ouragan Leto.

 

SERGENT KICKER

Lent travelling dans une ruelle anonyme. Entre les cabanons, escaliers de secours et détritus, trois jeunes femmes installent une échelle de fortune pour pénétrer incognito dans les toilettes d'un bâtiment dont s'échappent par vagues puissantes des riffs de guitare. Nous sommes à l'aube des années 80, et Kirill Serebrennikov vient de nous plonger dans Leningrad avec la poigne d'un pasteur évangéliste baptisant ses ouailles une veille d'apocalypse. Le réalisateur, assigné à résidence en Russie à l'heure où Leto est projeté au Festival de Cannes, adapte les mémoires de Natasha, témoin privilégié de l'ascension de Victor et Mike, deux musiciens russes biberonnés au punk et au rock. Deux amours, tous deux purs, tous deux impossibles, deux aspirations, le concert enfievré et l'échappée estivale, deux blocs, un est tout puissant mais putrescent, un ouest inspirant mais inatteignable. Le noir, le blanc, et entre eux, une infinité de nuances qu'exolore le cinéaste. À la fois romance, plaidoyer politique candide, drame, chronique historique, comédie musicale et manifeste artistique, Leto décrit une matière inclassable et s'efforce d'accorder le fond et la forme.

 

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DREAM AND DESTROY

En résulte un récit usant majoritairement du noir et blanc, mais qui s'évertue constamment à le dynamiter. À coup de surimpressions, expérimentations graphiques à même la pellicule, mise en abîme, parenthèses colorées ou relecture de standards (de Lou Reed à Iggy Pop), Kirill Serebrennikov rend son oeuvre aussi stimulante que positivement imprévisible.Pour virtuose que soit la moindre séquence, la caméra et ses mouvements opératiques ne sont jamais là que pour magnifier les prestations d'acteurs romantiques en diable, pour cristalliser les idéaux complexes d'une bande de rêveurs condamnés à être victimes de leur époque.La grâce qui porte Leto impressionne notamment quand, alors que la tragédie et le manifeste politique propret lui tendent les bras, l'auteur choisit, le temps d'une conclusion lumineuse et embuée de larmes d'enregistrer une promesse d'amour pur. Natasha, Viktor et Mike annoncent la fin du bloc soviétique, autant qu'il prophetisent la fragilité de rêves qui n'adviendront jamais. Dans cette parenthèse entre l'écroulement et la désillusion gît une promesse de liberté bouleversante.

 

Comédie punk, opéra romantique et rock, Leto est un poème russe d'une puissance cinématographique hors du commun.

 

4,5/5

 

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