Interview Zal Batmanglij, réalisateur de The East

Perrine Quennesson | 10 juillet 2013
Perrine Quennesson | 10 juillet 2013

Venu à Paris présenter The East à l'occasion du Champs-Elysées Film Festival, le charmant (car il faut dire les choses) Zal Batmanglij a fait l'effort de répondre en français à nos questions. Et avec le sourire !

 

D'où vous est venu cette idée de scénario à vous et Brit Marling ?

C'était une combinaison de l'anxiété dû à notre époque, notamment celle que l'on a en lisant les journaux ou en écoutant les infos qui nous fait réaliser que nous vivons dans une époque étrange, et du thriller.

 

C'est la seconde fois que Brit Marling et vous, après Sound of my voice, travaillez ensemble sur le scénario puis sur le tournage. Comment se passe ce tandem ?

Très bien parce qu'on a deux phases de travail. La première, on est ensemble, on écrit chaque jour, c'est un véritable partenariat. C'est un peu comme escalader une montagne encordé à l'autre. Ensuite, quand on s'apprête à tourner, elle s'isole pour préparer son rôle, ici devenir Sarah, et moi je vais dans mon coin pour préparer le film. On se sépare pour mieux se retrouver au moment du tournage. C'est alors une autre relation qui se met en place : celle d'une actrice avec son réalisateur.

 

Comment vous êtes-vous rencontrés ?

Elle était étudiante dans la même université que moi. Elle avait 17 ans, j'en avais 20. Et avec Mike Cahill, le réalisateur d'Another Earth qui est un très bon ami et qui lui aussi étudiait là-bas, on a co-dirigé notre premier court-métrage. Et Brit l'a vu dans le festival local, ça lui a donné envie de travailler avec nous. Alors on a dit « bah oui ! ». Ça a commencé comme ça puis on a continué à travailler tous ensemble pendant 11 ans.

 

Il y a quelques années, vous et Brit avez voulu vous éloigner de la société, vous êtes allés vivre un peu comme des marginaux. Pourquoi cette envie soudaine ?

Cette envie est venue car on voulait vivre quelque chose de différent. On voulait vivre une aventure et voir comment certaines personnes parvenaient à construire leur vie en lui donnant du sens. On est allés vivre avec des « freegans » (littéralement « gratuivore » mode de vie qui consiste à consommer ce qui est gratuit et à créer des réseaux d'entraide pour éviter le gaspillage - NDLR) et ça tombait bien car on n'avait pas d'argent ! C'était vraiment un autre monde, ils mangeaient ce qui venait des containers à déchets des supermarchés. C'était différent.

 

Et ça vous a aidé pour écrire The East ?

Pas vraiment aidé, mais cette expérience nous a transformés. On n'arrivait pas à vraiment en parler, à la faire sortir de nous. On a eu besoin d'écrire quelque chose pour mieux la comprendre.

 

Comme un exorcisme... Et y a-t-il des scènes du film qui sont carrément tirées de cette expérience ?

Oui celle du jeu de la bouteille ! Avec une règle celle de demander d'abord aux gens si on peut faire ce que l'on s'apprête à leur faire.

 

Dans cette scène là d'ailleurs, et même dans votre film précédent, on a la sensation que vous êtes très intéressé par la dynamique du groupe...

Oui, c'est exact, beaucoup ! Je crois que nous sommes très aliénés de nos jours et que le groupe est un moyen de combattre cette aliénation. On est aliénés car c'est une société qui est basé sur le « moi, moi, moi » et qu'on ne va pas vers l'autre. Il y a un vrai culte de l'individualisme, et le groupe est mal vu.

 

Mais il existe pourtant des groupes spontanés : les gens qui écoutent la même musique, qui ont la même passion, les hipsters, les hippies...

Oui mais voilà, les hipsters, c'est un bon exemple. Ils s'habillent pareil, ils aiment les mêmes films, la même musique... mais ils ne sont pas gentils les uns avec les autres. D'ailleurs ils ne se parlent pas, ils ne font que se jauger dans la rue ou ailleurs. Le tout n'est pas seulement d'être dans un groupe. Par exemple, vous, vous êtes dans celui des femmes (oui, shocking, I'm a girl !), et vous n'êtes pas toujours gentilles les unes vis à vis des autres. Il n'y a pas de véritable considération, affection dans ces « tribus ». Et je pense qu'on en a besoin. Et dans The East, il y en a.

 

Et ce n'est pas un peu utopiste ? 

Non, non ! Je n'ai pas envie d'être gentil tout le temps avec tout le monde, c'est nul. J'ai juste envie de « kindness », de bonté, d'empathie. Il faut s'entraider, ne serait-ce que pour traverser la vie. C'est dur de vivre, on a besoin des autres pour cela. Vous, vous êtes peut-être proche de votre famille mais aux Etats-Unis, les gens sont souvent très éloignés, ce n'est pas comme ici. C'est pour ça qu'il faudrait faire plus attention les uns aux autres.

Il y a pas mal de similitudes entre Sound of my voice et The East...

C'est notre période bleue. Oui, comme pour Picasso ! (rires) Les deux films ont été écrits en même temps et partagent de nombreux thèmes communs, du moins ils vont dans le même sens.

 

Et vous voulez continuer sur ces mêmes thématiques ?

Non pas vraiment mais en tout cas je veux continuer à travailler avec Brit !

 

Contrairement à Sound of my voice, The East a eu plus de budget notamment parce qu'il a été produit par la Fox. Il y avait aussi un casting avec des noms plus connus. Est-ce que ça a changé votre façon de travailler ?

J'aimerais vous dire que c'est très différent... mais ça ne l'est pas, c'est vraiment similaire. Car les acteurs de Sound of my voice étaient déjà très pro. Ils n'avaient peut-être pas le charisme d'une Ellen Page ou d'un Alexander Skarsgaard mais ils ont de grandes qualités et sont particulièrement sérieux dans leur travail. Donc sur le plateau de tournage, c'était vraiment pareil. Quant au budget, c'est bien car on peut mieux payer les gens. Mais au jour le jour, ça ne change pas grand chose. Car une fois sur le plateau de tournage, ce qui compte, ce sont les acteurs, le scénario, les lumières, les caméras...

 

Pour The East, c'était le casting idéal, celui que vous désiriez dès le départ ?

En fait, je n'avais pas de casting idéal. Et le scénario fut un test. En le lisant, si l'acteur me disait « Je dois être dans ce film » alors c'était le comédien qu'il me fallait. Pas l'inverse. Et de plus, il y a vraiment eu une belle alchimie, les membres du casting s'apprécient vraiment beaucoup.

 

Et comment s'est fait ce deal avec la Fox ?

Sundance ! Ils ont vu Sound of my voice, ils ont lu The East et ils se sont dits « On veut acheter le premier et on veut financer le second ». Ce fut très facile ! (sourire). Sundance a changé ma vie. On n'y avait jamais pensé en arrivant. On l'avait fait un peu « parce ça se faisait » mais jamais on aurait imaginé ça. Je ne m'attendais à rien.

 

Et le prochain projet ?

On l'a commencé. Mais nous n'avons pas commencé à en parler... (sourire)

 

 

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