Interview "Before" avec Julie Delpy

Matthieu Leniau | 25 juin 2013
Matthieu Leniau | 25 juin 2013

A l'occasion de Before Midnight, troisième film des Before qui sort ce mercredi 26 juin, Ecran Large a eu l'occasion de rencontrer l'une des ses chouchous, l'actrice Julie Delpy.  Interprète mais aussi co-scénariste de la trilogie signée Richar Linklater, la comédienne a mis beaucoup d'elle même à chaque film. On n'a donc pas pu résister à l'envie de revisiter avec elle les phrases les plus marquantes que son personnage, Céline, énonce au cours des trois films et de lui demander si elle, personnellement, était en phase avec ce qui était dit. Connaissant bien la dame et sa capacité à monter dans les tours, on s'attendait à du Delpy de gala. On n'a pas été déçu. Dieu que l'on aime cette femme !

 

 


Peur de la mort 24h/24. Vous ou juste Céline ?

Oui, ça c’est moi (rire). Je suis comme ça. Disons que le problème, c’est que j’ai transféré cette peur personnelle de la mort sur mon fils (NDLR/ l'enfant est âgé de 4 ans), et je suis dans un état constant d’inquiétude, c’est un cauchemar. J'ai une grosse angoisse de la mort pour lui. C'est un sentiment que j'ai non-stop, genre 30 heures par minute. Il faudrait peut être que je consulte, ça me ferait peut être du bien. Moi, si je meurs demain, je m'en fous, ça va j'ai bien vécu, mais lui je veux qu'il vive jusqu'à 400 ans !


Céline déteste que les médias prennent le contrôle de nos esprits

Oui, j’ai toujours eu cette sensation, j’en parle dans ce premier film. J’étais parti en Pologne pour tourner un film avant 1989, et le fait qu’il n’y ait pas de pub, c’était une grande sensation de liberté, il n'y avait pas besoin d'aller acheter quelque chose. La société de consommation est envahissante. En Grèce, où j’étais il y a quelques jours, il n’y a désormais plus de pub, de télé, on se faisait interviewer par des gens en larmes, c'était un vrai drame. Tout à coup c’est intéressant, il n’y a plus besoin de consommer. Moi je trouve ça pas mal ! Mais évidemment nous ne sommes pas dans ce type de société aujourd’hui.


« C’est sain de se rebeller contre le passé »

Je ne me souviens pas de cette phrase, ça ne doit pas être moi qui ai écrit ça. Je pense que c’est sain de ne pas trop regarder le passé, je suis quelqu’un du présent et je suis tout le temps dans l’avenir. Je ne suis jamais dans le passé. Les gens me demandent, "ça ne te fait pas bizarre de te revoir toute jeune, toute jolie", enfin bon en vieillissant oui je vais devenir un gros pot vieux, mais je m'en fous. Je ne sais pas, j'y pense pas trop...


« Il sort de bonnes choses du conflit »

Cela, j’y crois profondément. Je pense que les conflits sont de bonnes choses. Un enfant qui résout un conflit, par exemple, c’ est une bonne chose pour lui, psychiquement. Il y a des études qui l'ont montré. Le conflit est une chose constructive lorsqu’on parvient à le surmonter.



« Le féminisme a été inventé par l’homme pour qu’il baise plus »

Je crois que c’est moi qui l’ai écrit. Cela me faisait rire comme idée, de dire : «Les femmes libérez vous comme ça on pourra coucher avec vous». Au fond de moi, je ne pense pas ça. Je suis hyper féministe sans être anti-homme du tout, je m’entends à merveille avec les hommes. Ethan et Richard disent toujours "c'est elle qui a les plus grosses couilles de nous trois" (rire). Je crois même que je me sens autant masculine que féminine, autant homme que femme depuis toujours. Je sens ma part masculine depuis longtemps, pas au niveau sexuel, même si ça ne me bloquerait pas, mais niveau pensée. Quand je lis un livre avec des problèmes de pensée masculine, ça me touche autant que lorsque ce sont des problèmes féminins. Cela m'a permis d’écrire par exemple pour les trois films beaucoup de choses pour Ethan (Hawke). Je me mets très souvent à la place des hommes, je ressens beaucoup ce qu’ils ressentent, j’ai même parfois de la compassion pour eux (rire), sans être méchante.



Qui détruit le plus l’autre, l’homme ou la femme ? (Céline répondant l'homme)

Il y a cette idée dans la littérature que la femme détruit l’homme, à part chez quelques auteurs comme Henry James, ou certains nordiques et anglais, qui ont réussi à prendre le point de vue de la femme. Mais je ne sais pas, il me semble, comme beaucoup plus de livres ont été écrits par des hommes, que ce soit leur point de vue qui soit mis en avant. Cela dépend plus du point de vue, je pense, et celui de la femme fatal qui détruit l’homme a souvent été mis en avant. Moi je ne suis pas du tout une manipulatrice, donc je suis celle qui est détruite, mais c'est en train de changer, je deviens meilleur à ça ! (sourire).


Amoureuse uniquement quand elle connait tout de l’autre

Ah. C'est moi ça, les petits détails, tout ça. Il y a quelque chose dans le quotidien qui peut devenir agaçant, mais l’idée de pouvoir passer chaque matin devant la glace ensemble, moins glamour, mais qui met en avant le côté vie de tous les jours, est excitant. Plus quand on est jeune. C’était moi il y a longtemps ça, maintenant je ne sais pas, je l’ai vécu (rire).



« Tout ce qu’on fait dans la vie, c’est pour être aimé »

D’une certaine manière, je le pense. Même chez les gens qui ont soif de succès, il y a cette volonté d’être aimé. Les artistes veulent être aimés de toute façon, après on peut vous tomber sur la tête et cela peut faire mal. Moi j’ai beaucoup d’humour et je ne réagis pas négativement à ça, même s’il est vrai que je ne l’avais pas au début de ma carrière, c’était différent. Maintenant j’ai l’impression d’être un roc, la méchanceté contre moi me fait presque plaisir. De toute façon, ce n’est pas ça qui va m’empêcher de travailler, mais aujourd’hui je prends le constructif de ces attaques, j’essaie de comprendre pourquoi on me dit ça. C’est notamment pour ça que je fais beaucoup de test screening où je montre les scènes, et si tout le monde me dit que c’est abominable, il ne faut pas chercher 3 heures, c’est que c’est le cas. On peut se tromper et faire des erreurs, donc c’est bien d’être rappelé à ça tout le temps. Quand on est jeune, c’est plus difficile je le concède.



 


On fait le pont entre les Etats-Unis et la France. C’est amusant vous dites dans ce second film que les Etats-Unis sont un pays impérialiste

Bah oui évidemment ! Maintenant c’est l’Allemagne (rire). C’est vachement sympa d’être gouverné par l’Allemagne en Europe, ça fait vraiment plaisir...



Céline trouve que les français ne sont pas assez chauds, excités...

Oui, entre temps j’ai changé d’avis (rire). C’est aussi écrit dans le film pour le flatter lui (Ethan Hawke), cela devient plus un jeu qu’une réalité.



« Ouverte à tout, pas à un seul système de pensée »

Oui, ça je l’ai écrit aussi. C’est vraiment moi. Je ne suis aucun système de pensée, pour moi l’essentiel est d’être libre, d’avoir une vraie liberté de pensée. C'est la chose la plus dure à obtenir à notre époque. C’est ma nature, j’ai été élevée comme ça, et cela a été très dur au début. Etre comme ça dans un système avec des limites, peut être dangereux, et maintenant j’ai trouvé comment fonctionner en électron libre dans un système. Aux Etats-Unis je suis encore plus électron libre, ils ne savent pas qui je suis, et je suis une femme réelle, il y en a trop peu la-bas.


« Les souvenirs sont des choses formidables quand on n'a pas à affronter le passé ». C’est un peu du Van Damme dans le texte cette phrase ?

(rire) Oui, je vous l'accorde. J'ai du la dire en session d'écriture. Je ne sais pas ce que ça veut dire en fait, c’est un peu un paradoxe (rire). L’idée que les souvenirs, c’est bien, tant que cela reste comme des souvenirs, pas comme ce qui vous pèse. Il faut éviter le passé pesant : c'est sans doute ce que j'ai voulu faire passer comme message... enfin, je crois (sourire).

Astrologie, dieu, fantôme, réincarnation, en quoi croyez-vous ? (Céline ne croyant en rien)

En rien. Parfois c’est amusant de lire l’astrologie. Dieu, non c’est sûr, je n'y crois pas du tout. Non, en fait, vraiment, je ne crois en rien. Je crois dans le présent et le moment. Je crois un petit peu au destin tout de même, aux connections inexplicables entre des personnes. Mais il faut être actif dans son destin, oui, forcer son destin en se donnant les moyens. C'est vrai que dans Before sunset, c'est Ethan qui le force en invitant Céline à sortir du train. Mais dans ma vie, je vous promets, je fais le plus souvent les premiers pas, dans mon travail, mes relations amoureuses, partout.

Dernier jour sur terre, vous parlez de quoi ?

Je ne sais pas si je parle. Je crois que je fais plutôt, même si je ne sais pas quoi (sourire).

 


En matière de sexe, l’homme est plus susceptible que la femme quand ça ne se passe pas bien, et il est aussi plus facile a contenter.

C’est moi qui ait dit ça ? Je ne m’en souviens pas. Non justement, je me mets du côté des hommes, et j’ai décidé en fait que c’était l’inverse (rire). L’homme est plus complexe sexuellement que la femme (rire). Enfin, c'est peut-être moi, moi je ne suis pas très complexe, c'est peut-être pour ça (rire). Il ya quelque chose de plus fragile en fait. Je ne vais pas entrer dans les détails mais bon.


Le romantisme, vous y croyez encore ou comme Céline, il n'existe plus.

Oui, alors la chose qui a beaucoup changé c’est mon humour par rapport à tout ça. J’étais une romantique douloureuse dans ma vingtaine, un peu moins douloureuse dans ma trentaine, et désormais, aujourd'hui, je suis devenue une romantique plus du tout douloureuse. En clair,  j’ai un romantisme qui a changé : je ne vais pas me suicider si un truc ne se passe pas comme je l'espérais. 


« Si le désir sexuel était toujours aussi fort dans un couple, les couples ne feraient que baiser. »

Oui, ça c’est une réalité, c'est bien que cela dure que 2,3 ans. Sinon il n’y aurait pas d’économie. (NDR/ on fait allusion à Straus-Khan sans le citer pour la contredire en forme de boutade). (rire) Il s'occupait de l'argent et du cul. C'est vrai ça, quelle bonne remarque. Comme quoi, on peut être obsédé sexuel et obsédé par l'argent. Le problème de la sexualité, c’est que si on est avec quelqu'un, et qu'on baise tout le temps, on ne consomme pas beaucoup. Donc, ça ne fait pas marcher la machine, le cul...



 
 

L’amour moderne. Les deux jeunes qui se rencontrent dans le film, cela aurait pu être vous si votre rencontre de 1994 était transposée aujourd’hui.

Oui, on se serait sans aucune doute skyper. Alors peut-être que nos personnages sont quand même plus romantiques que les deux là. Avec l’époque moderne, la dynamique n’est pas la même du tout. Mais même il y a dix ans c'était différent. Je me souviens des petits amis que j'avais il y a même une dizaine d'années, on s'envoyait des fax, j'ai retrouvé un jour un caisse remplie de plus de 8000 fax, avec des dessins, c'était tellement mignon. Aujourd'hui, on se contente de textos ou on s'appelle effectivement grâce aux moyens modernes de communication.


« On garde un homme en le laissant gagner. Si on veut baiser, il faut qu’il gagne »

Ah oui, alors ça je ne l’ai pas écrite, mais c’est une phrase avec laquelle je suis un peu d’accord. J'en ai d'ailleurs parlé dans mon film, Two days in Paris. L’homme a besoin d'avoir sa place. Il a besoin parfois d’inviter la femme au restaurant, ces choses là. Si la nana paie tout, gagne plus d'argent, prend le dessus sur certains aspects, l’homme peut vite se sentir castré, surtout par une femme forte. Ce n’est pas facile pour les hommes avec les femmes. Moi par exemple, avec ma personnalité je peux sans le vouloir être très castratrice. Juste avec ma personnalité qui est effectivement très forte. A la maison par exemple, je m’occupe tout, je répare les murs, je pose les clous. Mais là quelque part c’est une erreur parce que même si c’est un peu traditionnel et débile, il faut laisser à l’homme ce genre de place, qu’il ait un truc à faire quoi, pour l'occuper (rire).


« La bite d’abord, le reste du monde après »

Ah oui, c'est moi qui l'ai écrit ça ! Mais je ne voulais pas le dire. Je voulais le faire dire à un autre personnage. Je trouvais que c’était trop évident que ce soit Céline qui le dise. C’est très anti-homme, mais finalement je le dis en rigolant. Même si c’est basé sur quelque chose de vrai, une infirmière qui avait remarqué ça. Mais vous voyez, une femme n’ a pas à s’inquiéter de perdre sa chatte. J’ai toujours pensé à cette idée de vulnérabilité du pénis, l’idée qu’on perde son pénis, et Ethan et Richard ne voulait pas qu’on mette ça dans le film ! Cela les faisait flipper que le personnage dise cela. Le simple fait d'en parler est terrible pour l'homme. Je voulais mettre ça dans le film, j’ai réussi à le faire dans Two days in Paris, puisque c’est mon film, et là, je fais ce que je veux. D'ailleurs, l'acteur (Adam Goldberg) m'en a beaucoup voulu sur le coup. Il était furieux et m'a accusé de l'avoir castré. Le fait de parler de la castration, c'est vraiment la pire chose pour l'homme...

 

D'ailleurs, on va arrêter d'en parler si vous voulez bien (sourire).

(rire) Ok, mais c'est fou ce que l'évocation de la perte de votre zizi peut vous gêner (rire).


« Le seul vrai moment de liberté est entre le moment où l'on quitte ses parents, et celui où l'on a soi même des enfants »

Oui, c’est sûr. Et moi j’ai eu un grand moment de liberté (rire), de 16 à 39 ans. Ce fut un choc d'ailleurs pour le coup pour m'y habituer. On perd beaucoup de liberté avec un enfant, on peut la regagner après. Mais cela apporte tellement aussi. Ce n’est pas facile de combiner mère et femme active sans sentir de culpabilité de ne pas s’occuper de son enfant. Je voulais parler de ce sujet là que j’ai vécu, alors que je suis une féministe et que je n’ai pas ce côté mère poule. Il y a effectivement un sentiment de culpabilité qui existe à un moment. Et c’est très difficile d’être femme. Lorsque je suis avec mon fils, je suis vraiment mère, ça m'enlève beaucoup de féminité. C’est très physique en plus, les seins deviennent un objet pour nourrir et non plus un aspect de sexualité, tout est changé. Maintenant je me rends compte que les choses pour lesquelles les femmes se battaient dans les années 60, l’avortement, la pilule, tout ça, le contrôle d'être mère ou pas mère est vraiment, vraiment profond dans le féminisme et dans la liberté de la femme. Car, avoir un enfant, ça nous change toutes profondémement. 



Il y a eu l’affaire Maraval en France avec ce jugement sur le fait que les acteurs français étaient trop payés. Or, pour son dernier film, The Purge, votre partenaire, Ethan Hawke, n’a pas touché de salaire et a été payé sur les éventuels profits. Comme le film a cartonné au box-office, il se dit qu'il va toucher plusieurs millions de dollars, plus que ses habituels cachets. Qu’en pensez-vous ?

Oh le salaud ! Putain mais il joue au mec qui n'a pas d'argent, tout le temps, il me fatigue (rire) ! Qu'il est radin ce mec ! Il joue toujours à celui qui n'a pas d'argent. Mais en même temps, tant mieux pour lui, il a tellement à payer avec son ex-femme (NDR/ Uma Thurman). Moi, je n'ai pas eu des choses comme ça qui sont passées dans ma vie. Mais c'est quitte ou double. C’est poker. C'est pas mal comme idée mais ça me fait un peu peur. Surtout que je réalise donc ça me prend plus de temps, le risque est plus gros, sur une année. Ethan ne fait que jouer donc il prend un risque sur six semaines.


[un peu spoiler, film de l'interview pour ceux qui veulent garder tout "suspense"] Before Midnight est celui des trois  qui a la fin la moins ouverte. Avec le dernier dialogue, on se doute de ce qui va se passer.

Oui, c’est la phrase que Richard a voulu mettre. Je n’étais pas forcement pour, mais pourquoi pas clôturer sur un truc positif après trente minutes d'engueulade. C’est une suite de films sur l’amour, ce n’est pas complètement sombre et dans le négatif. On a donc fait ce choix qu’elle lui cède un peu de son espace masculin pour lui redonner un peu de confiance.

 

Interview Laurent Pécha

Retranscription Matthieu Leniau

Remerciements à Isabelle Duvoisin et Mounia Wissinger (Moonfleet)

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