Eric Rochant : l'interview carrière

Laurent Pécha | 1 mars 2013
Laurent Pécha | 1 mars 2013

Sept ans après avoir longuement interviewé Eric Rochant à l'occasion de la sortie de son film L'école pour tous , la sortie de Möbius nous a donné l'occasion de continuer cet entretien carrière. L'homme pèse ses mots, réfléchit, et nous en raconte un peu plus sur la série Mafiosa sur laquelle il a travaillé les années passées. Mais son amour pour le cinéma ne l'a pas laissé tomber et il signe ici un retour en grande force. 

L'interview que vous allez lire est ainsi un mix entre les deux entretiens que le réalisateur nous a accordé. 

A l'époque de notre entretien lors de la sortie de L'école pour tous, vous me disiez : « il faut que mes films marchent sinon je n'en fais plus ». Et vous revoilà aujourd'hui avec un un nouveau film !

Le rapport coût/rentabilité était bon donc j'ai pu enchaîner sur un autre film. J'avais une sorte d'accord avec mes producteurs. Puis j'ai commencé à écrire Möbius. Je n'ai pas pu le tourner tout de suite parce que je réalisais la série Mafiosa, une réelle opportunité pour moi d'essayer le format série, je n'ai pas pu refuser. Alors j'ai dit aux producteurs : Möbius, on le fera après.

 

Vous n'avez pas eu peur d'être pris au piège par le milieu de la télévision et de ne pas revenir au cinéma ?

Si, bien sûr, certains m'ont dit à l'époque « si tu vas à la télé, on ne te reverra plus jamais au cinéma ». En fait, il s'agissait de gens qui n'avaient pas compris le tournant important que prenait la série. Des réalisateurs comme David Fincher se sont lancés dans la série (House of cards), ou encore Joel Schumacher, Michael Mann, Martin Scorsese. La série a acquis ses titres de noblesses, je pense que c'est le cinéma aujourd'hui qui est à la traîne...

 

Aux Etats-Unis oui, mais en France c'est encore plutôt mal vu...

La France a toujours eu au moins dix ans de retard sur les Etats-Unis.

Pour Mafiosa, c'est vous qui tirez les rênes : vous réalisez et vous écrivez, ce qui est plutôt rare...

En Amérique le véritable auteur de la série est celui qui l'écrit : le show runner. Un véritable homme à tout faire : il est là pour le casting, le montage,... Mais celui qui réalise, c'est quelqu'un d'autre. C'est un jeu auquel j'avais envie de jouer, sans forcément réaliser mais en donnant une charte de réalisation à une autre équipe.

 

Comment avez-vous fait pour vous intégrer à une série dans laquelle vous avez débarqué pour la deuxième saison ?

On m'a demandé de reprendre le projet en main, puis je l'ai réalisé. Cela m'a pris beaucoup de temps, surtout pour écrire..

 

Vous avez réalisé la deuxième et la troisième saison, cela vous est égal comment la prochaine équipe reprendra le flambeau ?

La transition s'est faite en douceur puisque j'ai quand même co-écrit la saison 4 avec Pierre Leccia. Il l'a réalisé, et se débrouille tout seul pour la 5. Bien sûr, ce n'est plus le même projet.

 

Pour vos deux saisons, aviez-vous une vision un peu comme celle que l'on retrouve dans la saga du Parrain, une sorte de réelle descente aux enfers.

Ce qui est intéressant, c'est de mettre ses personnages en difficulté, le format série fait que l'on peut prendre notre temps pour tout installer.

 

Et par rapport à l'argent, il y a des scènes un peu cheap comme certaines fusillades. Evidemment, vous n'aviez pas le même budget que Heat ! Comment avez-vous gérer cela vous qui êtes d'un tempérament exigeant ?

C'était un combat permanent contre la production. Ils aimeraient avoir un Heat pour le prix d'un Mafiosa. Tout repose sur les épaules du réalisateur, qui ne peut malheureusement pas inventer des moyens qu'il n'a pas...

En parlant de moyens, le budget de Möbius semble être annoncé à 6 millions d'euros. Cela paraît bien peu.

On peut faire dire ce que l'on veut au budget, mais le film a coûté entre 6 et 15 millions d'euros. Ce qui ne ment pas par contre, c'est la durée du tournage. Le film a été tourné en 9 semaines et demi, ni plus, ni moins. Les gens qui s'y connaissent savent ce que cela veut dire ! Si on avait dit que le film coûtait 20 millions d'euros, n'importe qui se serait demandé « où est-ce qu'ils sont passés ? ». 6 millions c'est aussi improbable : 9 semaines et demi en compagnie de Jean Dujardin et Cécile De France, impossible. Il faut se mettre dans la tête que ce n'est pas un film comme Astérix...

 

Vous aviez prévu ces 9 semaines et demi en parvenant à vous y tenir ou vous avez dû demander une rallonge sachant que vous êtes souvent coutumier de la chose ?

Au contraire ! Au début, il y a avait 55 jours de tournage et nous avons dû réduire à 45, en grignotant une semaine pour tourner à Moscou en petite équipe.

A l'époque vous aviez pensé à réaliser Les Patriotes 2. Même si ce n'est pas la suite, on y retrouve des similitudes : le jeu sur le multi-langage, les espions... Autant chez James Bond on a envie d'en être un, autant chez vous, ça ne donne pas envie du tout !

C'est pas le même genre de héros, c'est davantage un film de renseignements qu'un film d'espionnage.

 

Est-ce que les producteurs, eux, se sont dit « On va faire Les Patriotes 2 » ?

C'était leur projet, c'est vrai. Je n'avais aucunement envie de faire la suite de Les Patriotes mais d'écrire une histoire d'amour. Une histoire d'amour dans l'univers de l'espionnage, travailler des émotions sur lesquelles je n'avais jamais travaillé : des scènes intimes par exemple. J'ai besoin de me donner de nouveaux challenges et ce film était un défi. Le film d'espionnage n'en était pas un pour moi, contrairement aux scènes d'amour.

 

Au début des Patriotes, vous précisez bien que ce n'est pas tiré d'une histoire vraie, comme pour vous protéger. Pourquoi ne pas le faire pour au début de Möbius ?

Le fait est que dans Les Patriotes je suis parti de situations qui sont vraies, il fallait montrer que je m'en étais simplement servi pour inventer d'autres choses autour. Pour Möbius, je me suis seulement inspiré, et encore de très, très loin, de l'histoire des oligarques avec Berezovski et Poutine dans les années 80, 90, 2000.

A regarder votre film, c'est un réel plaisir de cinéphile, des allusions aux Enchainés d'Hitchcock ou encore Les diamants sont éternels avec la scène du combat dans l'ascenseur.

La scène de l'ascenseur pourtant je ne l'ai pas du tout pompé. Je ne m'en souviens même plus, n'ayant pas vu le film depuis des dizaines d'années. J'ai écrit cette scène il y a longtemps et j'ai eu peur qu'on réduise le film à « y'a une bagarre dans l'ascenseur ». Je pensais que j'allais devoir faire autre chose...

 

Pourtant elle se ressemblent beaucoup même dans les enjeux... 

Comme quoi, on ne peut rien inventer !

 

Certaines scènes comme celle du coup de fil que se passe Cécile et Jean dans la voiture pourraient être réellement ennuyantes sur le papier et pourtant elles sont spectaculaires à l'écran. Comment rendre glamour les écoutes entre espions et donner au spectateur un vrai suspense ?

La scène est complexe et elle était réussie si je parvenais arrive à tout faire comprendre. Or, nous n'avions que notre caméra pour faire comprendre les choses, puisque la scène est silencieuse. Il arrivait que personne ne comprenne rien à ce que l'on tournait. Il fallait que l'on tourne dans le désordre à cause du peu de temps que nous avions. Seuls la scripte et moi comprenions ce que nous faisions. Même Jean Dujardin, il jouait, mais ne comprenait pas forcément. Mais il le faisait très bien. J'étais obligé de lui raconter ce qu'il voyait, ce qu'il entendait au téléphone. Il y a une magie des acteurs qui fait que ça fonctionne... Et Cécile de France est formidable.

Justement, lors de notre précédente interview, je vous avais demandé avec qui vous aimeriez tourner elle faisait partie du top 3.

J'avais failli tourner avec elle sur Une Résistante. Elle m'a épaté, encore plus que ce que je croyais. Elle a une capacité de travail absolument incroyable, de jouer sur sa propre transformation, elle est épatante.

 

Dujardin en espion ça fonctionne, mais Cécile de France, on a plus de mal à l'imaginer en experte de la finance.

On réduit toujours les gens, et encore plus les acteurs, à ce qu'ils ont déjà fait, mais ils ont du potentiel. Cécile y croyait, elle savait qu'elle pouvait le faire, et surtout elle a cru en elle.

 

Möbius est le premier film qui sort avec Jean Dujardin ayant l'étiquette de l'Oscar du Meilleur acteur, est-ce une pression supplémentaire pour le film ?

Ça ne peut qu'aider le film d'avoir Jean Dujardin oscarisé. Puis c'est bien pour Jean, ce qui lui permet d'aborder l'après-Oscar d'une manière plutôt douce. Il est très émouvant dans le film, très discret et touchant. Il a une grande force émotionnelle tragique.

 

L'une des scènes clés du film est celle dans la boîte de nuit.  Il fallait quand même deux personnes très belles pour que l'attirance fonctionne. Les regards et leur beauté à chacun marchent très bien.

On parle beaucoup des regards, mais il ne faut pas seulement les filmer, il faut les faire aussi. Et ils les font ! A la fin, par exemple, la scène au resto, les regards de Dujardin sont incroyables... Il est très expressif, et on comprend tout ce qu'il ressent quand il la voit apparaître. C'est tragique et à la fois complexe, on comprend tellement de choses à cet instant, les trahisons, etc.

C'est un challenge cinématographique parce que le hasard peut paraître grossier pour le spectateur mais en tant que metteur en scène il faut que vous parveniez à le rendre crédible.

Polanski disait « il n'en faut pas plus d'un ». Il peut y avoir un gros coup dû au hasard, mais qu'une seule fois alors. Dans le milieu des renseignements, on ne croit pas au hasard, sinon ce sont des pièges, mais j'assume totalement. Je pense qu'on a le droit à un hasard dans un film, mais pas deux, sinon c'est trop.

 

[spoiler] Vous aimez les fins ouvertes, celle-là est plutôt optimiste.

Cela vient de ma fascination pour le cinéma des années 70. Sur Les Patriotes on m'avait reproché la fin, le fait qu'ils se retrouvent et qu'ils s'embrassent. J'avais envie de créer de l'émotion, surtout à la fin, que les spectateurs aient le cœur serré. Est-ce que celle-là est très optimiste... Il y a un solde positif oui mais bon...

 

« On n'oublie jamais les bras d'un homme » comme le dit si bien le personnage de Cécile dans le film. Vos scènes d'amour sont assez étonnantes : à la fois on ne voit presque rien et pourtant c'est quand même très érotique.

C'était tout l'enjeu du film pour moi. Beaucoup de travail, beaucoup de réflexion et beaucoup du don d'acteur aussi. Ils se sont donnés à fond. La signification de cette scène d'amour est importante. D'habitude dans les films, ils se rencontrent puis il y a cette scène quasi-obligatoire après le dîner : la scène de sexe. Cette scène qui veut dire « ils couchent ensemble et c'est super ». Depuis des années on voit tous ces couples qui rentrent dans un appart' en se déshabillant, bestial, affamés, un peut trop cliché à mon goût. Je ne voulais pas du tout que ça soit ça, je voulais donner les détails du « comment c'est bien », ma scène est presque plus féminine.

 

Le hasard dans vos films est quelque chose de très important, cela permet à l'histoire de changer de rythme. Dans Total western, par exemple, c'est Jean-Pierre Kalfon qui prend le coup de téléphone qui change le cours de l'histoire. Dans Möbius, Cécile de France a déjà été recrutée par la CIA. Même la rencontre dans Un monde sans pitié est due au hasard. Vous semblez souvent vous en servir pour faire faire des bonds à vos histoires.

En fait, ça permet de relativiser les choses, comme si rien n'était écrit.

 

Vous avez souvent été mécontent du choix de vos affiches et de vos titres, votre avis cette fois  sur celle de Möbius ?

Le titre, c'est moi qui l'ait choisi donc je ne risque pas de m'en plaindre. Je l'assume totalement. Pour l'affiche, on voit les deux stars que l'on va retrouver dans le film, je pense que c'est bien. Alors que dans Les Patriotes c'était un plan moyen sur quelqu'un, Yvan Attal, que l'on ne connaissait pas (à l'époque) et ça n'a pas très bien fonctionné. Je n'ai pas choisi cette affiche, c'est le département marketing qui l'a proposé. Tout ce que je peux espérer, c'est que cela marche.

Pour aller dans le sens du titre de votre film précédent, L'Ecole pour tous, est-ce qu'il y a un cinéma pour tous ?

Oui, cela existe. Il y a des films que tout le monde adore. Au moment où les films sortent, le jugement des gens peut être altéré par des considérations d'actualité, de positionnement. Un film comme Les Patriotes, a été bizarrement accueilli, très bien par la critique, descendu lors de son passage au festival de Cannes. L'accueil public n'a pas été bon parce que le film n'a pas eu une exposition énorme et en plus les gens avaient peur d'aller le voir en pensant d'un côté que c'était un film pro sioniste et de l'autre que c'était un film pro palestinien. Et maintenant les gens s'accordent à dire que c'est dommage qu'il n'est pas eu une carrière plus importante. C'est vrai que le jugement contemporain est souvent étrange mais il y a des films qui arrivent à faire l'unanimité pour eux. Le cinéma américain arrive plus facilement à donner à manger à tout le monde. Est-ce que c'est le but implicite de chaque cinéaste ?

Justement, est-ce le vôtre ?

Mon but personnel, c'est de faire des films de telle sorte que je puisse continuer à en faire. Donc, forcement, il faut que mes films soient vus. S'il y en a un qui n'est pas vu, il faut que celui d'après le soit.

 

Sur le thème du film, certains vous reprochent d'avoir dressé un portrait trop caricatural du monde de l'éducation nationale. On retrouve là les mêmes reproches que l'on vous avait faits à l'époque de Vive la République.

Je ne suis pas tout à fait d'accord avec l'aspect soi-disant caricatural du film. Dans une comédie, on force forcément le trait des personnages. Et puis, on a tous eu des profs identiques à ceux qui sont décrits dans L'Ecole pour tous. Et même en pire ! C'est plus une question de choix. Pourquoi j'ai choisi ces profs là ? Je fais une comédie donc forcément je ne vais pas choisir des personnages qui n'ont pas de couleurs. Un prof dépressif comme celui joué par Vincent Desagnat, j'en ai connu.

Alors que les comédies ne sont pas forcément le lieu pour s'essayer à une mise en scène travaillée, on sent tout de suite dans L'Ecole pour tous, le côté Rochant méticuleux qui soigne ses mouvements de caméra, ses plans. …Cela renvoie à votre commentaire audio présent sur Aux yeux du monde où vous expliquez notamment avoir eu besoin de recréer un faux car en studio pour pouvoir déplacer la caméra à votre guise

J'ai eu le même point de vue pour L'Ecole pour tous. À la place de l'autocar, c'était une salle de classe, le décor principal du film. Je ne pouvais pas m'imaginer tourner dans une vraie salle. Dans une salle de classe, il n'y a pas de recul. J'aurai été obligé de filmer en fonction des quatre murs de la salle. Je n'aurai pas pu choisir mes focales et faire les mouvements que je voulais. Je n'aurai donc pas pu filmer avec la liberté souhaitée. Mais comme c'est un film avec un budget modeste, on a du trouver un moyen de tourner en studio sans être en studio. Donc, on a reconstitué la salle dans le gymnase du collège. J'étais donc libre de mon filmage, sans être contraint par le décor.

 
Ce qui est amusant, c'est que toute cette recherche méticuleuse pour filmer tel que vous estimez devoir le faire, ne se voit pas pour la majorité des spectateurs. On a envie dire tout ça pour ça…, il ne serait pas un peu trop méticuleux le Rochant ?

D'abord, tourner uniquement avec les conditions naturelles, que ce soit dans le car pour Aux yeux du monde ou dans la salle de classe pour L'Ecole pour tous, cela aurait donné un résultat laid visuellement. J'ai des exigences de style. J'ai du mal à voir des films laids. Il faut que le film ait une certaine tenue. Pour L'Ecole pour tous, je n'avais pas envie de faire un film dépressif ou sordide. Cela exigeait une certaine qualité technique. En plus, comme il y avait beaucoup de séquences dans la classe (une dizaine), j'avais besoin de briser la monotonie des plans. Cela demande une liberté.

 

Justement, quand on voit vos films, on aurait presque envie de dire Eric Rochant, l'ami des enfants. …D'ordinaire, les réalisateurs disent ne pas aimer tourner avec les enfants. Alors que vous, vous avez toujours de bonnes expériences avec eux que ce soit sur Aux yeux du monde, Total western ou L'Ecole pour tous.

J'étais moniteur dans des colonies de vacances plus jeune. J'ai des enfants (NDR /3 filles). C'est peut être ça. J'ai un côté pédagogique. J'ai un rapport facile avec les enfants, j'arrive à établir un contrat moral et artistique avec eux sur ce film. Je n'ai jamais eu de difficultés avec eux. Je leur ai fait comprendre que c'était du travail, qu'il fallait qu'ils me fassent confiance. Et en échange, je leur promettais un résultat dont personne n'aurait honte.

Concernant le choix de votre interprète principal : pourquoi Arié Elmaleh alors que vous aviez écrit le scénario pour quelqu'un de petit (NDR : Arié étant très grand). Comment avez-vous fait pour adapter votre scénario à sa taille, notamment dans la séquence d'ouverture où il est obligé de jouer les contorsionnistes pour entrer dans un déguisement de mémé.

Cela a été un enfer. Quand j'ai choisi Arié, j'ai tout de suite pensé à cette scène inaugurale. Ce fut un casse tête technique. Pour revenir sur le choix d'Arié, ce sont les producteurs qui me l'ont proposé. Pour moi, Arié, c'était quelqu'un qui avait joué dans Chouchou un rôle que l'on remarquait. Par rapport à ses pubs SFR, il a un charme fou, il est très contemporain et a une candeur dans le visage. J'aimais bien le mélange entre ce côté un peu innocent et son potentiel comique burlesque. Le personnage devait être comme ça. Il avait besoin d'être victime de son imposture.

 

Il y a une autre constance dans vos films, autre que le hasard, c'est la manière dont tout ou presque repose avant tout sur le personnage principal et masculin de surcroit. Un monde sans pitié sans Hippolyte Girardot, c'est quoi, Aux yeux du monde sans Yvan Attal idem. En vous écoutant sur le commentaire audio de ce dernier, vous mentionnez pourtant quelques désaccords avec Yvan.

C'est vrai ce que vous dites. Mais le recul avec Yvan, je l'ai eu tout de suite. Je me suis rendu compte qu'on faisait fausse route sur certaines séquences spécifiques. Alors que je suis assez fier du travail que j'ai fait avec Arié.

Vous l'avez peut être plus écouté qu'Yvan puisque vous mentionnez qu'Yvan avait sans doute raison sur Aux yeux du monde. Une certaine maturité.

Oui sûrement. Je suis très directif mais avec l'âge et l'expérience, je suis devenu plus souple.


Peut être aussi qu'à l'époque d' Aux yeux du monde, vous sortiez du succès énorme d'Un monde sans pitié alors qu'aujourd'hui, vous avez derrière vous plusieurs films qui n'ont pas marché. Un peu plus d'humilité peut être ?

C'est possible. Je suis sûrement plus à l'écoute. À l'intérieur d'une direction assez forte, je suis plus à l'écoute du comédien.

Pourquoi Alain Rocca ne produit plus Eric Rochant (tous les précédents films du cinéaste jusqu'à L'Ecole pour tous,  l'ont été) ?

On s'est séparé d'un commun accord après Total western. Après plusieurs échecs, chacun a voulu aller voir ailleurs. Notre relation n'était plus constructive, elle fonctionnait plus sur l'angoisse que sur l'enthousiasme. On avait l'impression que le prochain film que l'on ferait, serait pour pallier l'échec du précédent. Le dialogue entre le réalisateur et le producteur est là pour nourrir le film la plupart du temps. Le dialogue que l'on avait sur Total western n'a pas servi le film. On en avait conscience tous les deux et on s'est dit qu'il valait mieux arrêter là et aller voir ailleurs. On n'a pas renoncé à travailler à nouveau ensemble pour autant. On a beaucoup reproché à Alain d'être à ma botte et d'être soumis à mon autorité. Ce qui a du le gêner. Concernant la couleur du film, L'Ecole pour tous ressemble justement beaucoup aux deux jeunes producteurs.

 
Que pensez-vous si on vous dit que L'Ecole pour tous, c'est Vive la République en réussi ?

L'idée que L'Ecole pour tous soit le pendant positif de Vive la République, je veux bien le croire. Vive la République était un peu alourdi par son thème alors que justement pour L'Ecole pour tous qui pouvait avoir le même défaut, j'ai fait attention. À l'époque, j'ai essayé de dire quelque chose, j'ai essayé d'avoir un discours politique. Après le dosage, ce fut compliqué. Sur L'Ecole pour tous, j'ai tenté de corriger mes erreurs du passé.

 

Revenons sur l'épisode douloureux de Total western

Les distributeurs n'ont pas cru du tout au film. Il avait pourtant fait un premier mercredi honnête mais après ils l'ont abandonné. Ils n'aimaient pas du tout le film. Je ne pouvais rien faire.

Ce qui est paradoxal, c'est à quel point vous êtes méticuleux sur le tournage et à quel point vous semblez vous désintéresser de la vie de vos films après. Vous ne sollicitez pas les éditeurs de DVD par exemple pour que vos films aient le droit à de belles éditions (NDR : Les Patriotes, superbe édition DVD étant du à l'initiative de Gaumont)

Je ne suis pas une génération DVD et vidéo.

 
Pourtant quelqu'un comme Kubrick aimait contrôler tout.

Oui, mais je ne suis pas visionnaire comme lui (rire). Je ne fais pas attention. Je n'ai pas le réflexe DVD. Alain Rocca n'a pas non plus cette culture là. Encore aujourd'hui, j'ai du mal à dépenser mon énergie pour que mon film soit bien présenté en DVD. Il faudrait que je le fasse, c'est vrai.

 

Avec le recul,comment expliquez-vous l'énorme succès d'Un monde sans pitié ?

C'est toujours une énigme pour moi. Je peux comprendre qu'il y ait eu des audaces dans le film mais je pense qu'il y a autant d'audaces que de maladresses. Je pense que le film est lié à une situation du cinéma français à l'époque. Je me rappelle pourquoi j'ai fait Un monde sans pitié. J'étais très énervé des films sur la jeunesse. Je n'étais pas satisfait de la façon dont on parlait de moi. Ce n'était que des mensonges, c'était n'importe quoi. Je me souviens du film d'Olivier Assayas, Désordre. Il y avait une volonté d'arrêter de dire des conneries et ça a fonctionné. Je pense que le film a quand même vieilli. Il y a deux trucs qui m'énervent sur Un monde sans pitié : d'une part la musique qui est un peu lourde, même si je voulais une BO qui fasse très film, et d'autre part la manière dont est habillée Mireille Perrier. C'est une catastrophe absolue. Même mes propres filles m'ont dit que je devais être bourré le jour où j'ai choisi les costumes de Mireille.

D'où vous est venue l'idée de la séquence où Hippolyte Girardot fait croire à Mireille Perrier qu'il est capable d'éteindre la Tour Eiffel en claquant dans ses doigts ?

Tout simplement, j'habitais une chambre de bonne où je voyais au loin la Tour Eiffel s'éteindre chaque soir. C'était toujours un événement, un peu comme si cela arrivait uniquement pour moi.

 
Est-ce que Eric Rochant se retrouve, s'identifie aux personnages principaux de ses films ?

Hippolyte Girardot, un peu. C'était le mix de plusieurs copains à moi. C'était aussi un peu un fantasme, un héros des temps modernes. Pour les autres films, ce n'est pas vraiment la même chanson. Etre Yvan Attal dans Aux yeux du monde (un déséquilibré qui détourne un bus scolaire pour aller retrouver sa chérie), ce n'est pas du tout un fantasme (rire).

 

Aux yeux du monde, c'est Un après-midi de chien à la française ?

On peut le dire comme ça. Attal, c'est un imposteur dans le film, il n'est pas crédible. Pour faire peur, il fallait qu'il soit dingue. Il y avait un dosage à trouver et je pense que plusieurs fois, on dépasse le niveau d'irritation. Je comprends qu'Yvan ait émis des doutes sur le fait qu'il criait trop dans certaines séquences. Il avait raison. J'aime le cinéma américain des années 70 où il y avait ces anti-héros, très touchants.

 

Un monde sans pitié 2, ce serait possible ?

Ce serait trop mélancolique. Je n'ai pas encore envie de faire un film mélancolique.

Ce qui est frappant sur Les Patriotes, c'est de voir dans les bonus du DVD à quel point un film peut échapper à ses créateurs et avoir sa propre vie.

En fait, il n'y a pas de regret véritablement. On a juste eu un regret sur le passé du personnage joué par Yvan Attal. On m'a aussi reproché de ne pas donner les motivations du personnage et ces scènes du passé ne l'expliquaient pas plus. De toute façon, moi, les versions longues des films ne m'intéressent pas généralement. Je suis toujours déçu. Par exemple, Apocalypse now en version redux, cela n'a aucun intérêt. Le film, c'est une industrie, il y a une vérité qui s'installe. A part les films qui ont été massacrés à l'origine, je ne vois pas l'intérêt de proposer une autre version que celle existante à l'origine.

 

Comment vous est venue l'idée des Patriotes ?

C'est l'idée de faire un film d'espionnage. Je suis un grand fan des romans de John Le Carré et je voulais faire un film de réunions, d'enjeux intellectuels. Un film mental. Comme le contexte de la guerre froide n'était pas possible à l'époque (maintenant, cela serait peut être possible du fait d'un côté nostalgique), j'ai opté pour le Mossad.

 

Pourquoi avoir choisi Yvan Attal qui n'était pas très bankable comme on dit à l'époque pour un film aussi important et ambitieux ?

Je devais un film à Yvan Attal. Il me paraissait digne de ce film.

Malgré les explications données dans l'excellent documentaire présent sur le DVD des Patriotes, on a encore du mal à comprendre pourquoi le film ne marche pas à sa sortie.

C'est autant une énigme que le succès d'Un monde sans pitié. C'est un contexte. Ce n'est pas vraiment un film d'auteur, c'est un film de genre mais pas un film d'action à l'américaine. D'ailleurs, c'est pour ça que les américains ne l'ont pas acheté, ils ne savaient pas où le mettre.

 

Comment on se remet d'un tel insuccès ?

On s'en remet. On trouve cela injuste. Le plus dommageable, c'est que je cherche depuis l'autorisation de refaire un film comme ça (NDR/jusqu'à Möbius donc). Je cours après cette autorisation. Je ne désespère pas de l'obtenir.

 
Vous avez un petit côté le Michael Cimino français. Les Patriotes, c'est un peu votre Porte du Paradis.

C'est gentil ce que vous dites, je suis flatté. Je n'ai pas ruiné une compagnie de cinéma (rire).

 

Il a eu du mal Alain Rocca après Les Patriotes.

Peut être mais il a fait plein de films derrière. Ce n'était pas démesuré non plus.

 

Concernant Anna Oz, comment évoquer un film que quasiment personne n'a vu

En disant que David Lynch s'en est inspiré pour Mulholland drive (rire). C'est un film ésotérique. C'était un échec annoncé. C'est un film incroyable mais c'est une erreur de production. C'est un film qui n'aurait pas du naître. Mais en même temps, c'est un film beau. J'ai fait de l'esthétique dans ce film. C'est un rêve en miroir, c'est quelqu'un qui rêve qu'elle est à Venise et là bas, elle rêve qu'elle est à Paris. C'est quelqu'un qui devient dingue au point de ne pas savoir de qui elle est le rêve. Où est la vérité de quelqu'un ? Dans la réalité ou le rêve ?

Si vous deviez remaker l'un de vos films ?

Total western. Il faudrait réécrire la fin. La séquence finale. Je voulais lui donner un côté Duel au soleil mais par manque de moyens et de temps, c'est parti en couilles. Je voulais quelque chose de sauvage mais la sauvagerie n'est pas là mis à part lors de la séquence de la torture. J'avais en tête comme référence le film Une fille nommée Lolly Madonna (1971) avec Rod Steiger et Robert Ryan. Un film incroyable qui relate l'affrontement de deux familles de bouseux américains et qui se termine en carnage monstrueux.

 

Les 5-6-7 films préférés d'Eric Rochant ?

Il était une fois l'Amérique (même si la fin est ratée). Révélations. Eyes wide shut. Apocalypse now. Raging Bull, Voyage au bout de l'enfer et L'Impasse.

 

Pas de films français ?

Dans la liste de mes 100 films, il y en aura. Il y a des films de Melville, de Becker, de Renoir, un film de Pialat, Le Mépris de Godard.


Concernant les réalisateurs ?

J'adore Michael Mann. Il est enthousiasmant car vu le cinéma que j'aime, vu mes références, je pourrai être déprimé actuellement, mais heureusement grâce à lui, ça continue, le flambeau est donné, c'est moderne. Ce n'est pas du cinéma retro ni à l'ancienne. Il a réussi à trouver son style avec Révélations, il ne l'avait pas encore dans Heat.

Votre casting de rêve ?

J'adorerai faire un film avec Nicole Kidman. J'aime beaucoup Natalie Portman et Anne Hathaway (rire). J'ai un petit faible pour elle. Chez les acteurs américains, Benicio Del Toro, il a quelque chose. Chez les français, j'aimerais beaucoup travailler avec Cécile de France (NDR/ comme quoi il a de la suite dans les idées le père Rochant), Audrey Tautou. En général, les castings des films de Klapisch, j'aime bien (rire). Romain Duris également. Il prend des bons acteurs. J'aimerai bien faire une comédie avec Jamel. J'adore Gad aussi, c'est le Yves Montand contemporain. Il a le talent de music-hall. J'aimerai bien faire le remake de Certains l'aiment chaud avec Gad et Jamel.

 

Et pour Marilyn, vous prenez qui ?

Il y a plusieurs possibilités (il hésite). Il n'y a pas d'équivalent de nos jours à Marilyn. L'anglaise de Klapisch (Kelly Reilly) est intéressante. Elle a quelque chose. Sinon …(il hésite encore) …on n'a qu'à prendre un mec (rires).

 
 
 
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