Looper : interview de Rian Johnson

Perrine Quennesson | 30 octobre 2012
Perrine Quennesson | 30 octobre 2012

Chacun notre tour, l'attachée de presse, nous amène dans une petite pièce. Chacun la sienne, en alternance, et c'est Rian Johnson qui fait le déplacement d'un endroit à l'autre. Lorsqu'il ouvre la porte, surprise : c'est un homme pas très grand, blond, le regard clair, le visage poupon et l'air très avenant. Et cette impression de bonhommie ne sera pas contredite durant le reste de l'interview. Qu'on se le dise, Rian Johnson est un très bon réalisateur mais c'est aussi un mec sympa et clair. Et ça, c'est plutôt bien quand on parle boucles temporelles...

Depuis quand ce film de science-fiction basée sur une histoire d'œuf et de la poule vous trotte-t-il dans la tête ?

Cela a commencé il y a dix ans. A l'époque je découvrais Philip K. Dick et lisait beaucoup de ses livres. J'en achetais un, le lisait et deux jours plus tard, j'allais à la librairie m'en acheter un autre. Et c'est là que j'ai eu cette idée d'opposer une même personne à deux âges différents. La fin était déjà là aussi. J'avais l'idée de ce personnage qui commence en tant qu'homme très égoïste mais qui termine l'histoire avec un acte désintéressé. La fin a toujours été là, même dans le court-métrage de trois pages que j'avais écrit à l'époque, et sur lequel je me suis basé pour construire entièrement Looper.

 

Avez-vous écrit le film pour Joseph Gordon-Levitt ?

En quelque sorte, oui. Après Brick, nous sommes restés très bons amis et nous voulions un projet sur lequel travailler à nouveau ensemble. Et là, je savais qu'il serait très intéressé par ce challenge : celui de se glisser dans la peau d'un autre acteur. Il a beaucoup observé Bruce pour comprendre sa gestuelle, prendre ses tics, son regard. Et il a été vraiment très bon. Mais d'ailleurs, l'acteur auquel j'ai pensé en premier n'était pas tant Joe (surnom de Joseph Gordon-Levitt) que Bruce Willis. Et je n'espérais pas vraiment qu'il accepte. Et pourtant si, immédiatement. Il a été formidable. Jamais il ne s'est plaint d'une quelconque scène ou d'une facette de son rôle : il a juste travailler au mieux pour donner vie à son personnage. Ce fut extraordinaire.

Joseph Gordon-Levitt en jeune Bruce Willis, pourquoi pas. Mais pourquoi cette prothèse sur le visage ?

Dans le film, Joe et Bruce ne sont pas de simples parents genre père/fils ou frères, non, ils sont la même personne à un âge différent. Il fallait donc qu'ils partagent des traits communs comme la mâchoires ou le nez. Cela devait être crédible. Par ailleurs, lorsque Joe, tous les matins, sortait de ses heures de maquillage, il était différent. Son attitude changeait presque radicalement. Soudain, il n'avait plus cet air juvénile sur son visage, il faisait plus sérieux, plus... homme ! Ne lui dites pas que j'ai dit « plus homme » ! (il éclate de rire).

 

La notion d'abandon semble être très prégnante dans le film, tous les personnages en font l'expérience, en étant victime ou bourreau. C'est une notion importante pour vous ?

Vous avez raison, la plupart des personnages, à leur façon, sont dirigés par cette question de l'abandon. Pour moi, comme je savais que le film allait dépendre sur le sacrifice de Joe afin que Cid puisse avoir une chance de devenir quelqu'un de bien, pour que cela ait du sens, il ne pouvait pas le faire par amour pour Sara, ni par haine pour le vieux Joe, ça n'avait du sens que s'il le faisait parce qu'il voyait une partie de lui-même en Cid. Et donc l'achèvement de sa vie serait de donner à Cid une nouvelle chance pour la prochaine génération. Donc pour faire sens à ça, il fallait que Joe perde sa mère en étant enfant, et, comme les enfants perdus de Peter Pan, il a ce manque en lui. Il veut donc donner à Cid la chance qu'il n'a pas eu de devenir quelqu'un de bien car lui a l'impression que ce n'est pas son cas. Mais après vous essayez de jouer avec ça sur plusieurs niveaux. Vous établissez votre thème principal puis vous faites des variations dessus, comme dans une composition de jazz - ça sonne prétentieux, non ? - avec les différents personnages ; Kid Blue/Abe, Joe Vieux/sa femme ou encore Jeune Joe/Seth. Vous pouvez le jouez de façon très différente.

 

Pourquoi devons-nous fermer nos propres boucles ?

J'ai failli mettre une scène coupée à ce sujet où Abe (Jeff Daniels) se plaignait de ce système qu'il trouve stupide. Mais en fait, j'ai pensé que, même dans le futur, les gens sont très effrayés par cette histoire de machine à voyager dans le temps, ils ne la maitrisent pas. Alors afin de prendre le moins de risques possibles : chacun doit boucler sa boucle. Cela évite de laisser des traces.

 

Le futur que vous décrivez dans le film n'est que légèrement différent de notre présent. C'est un vrai choix de votre part ou un choix imposé par le budget ?

Non, c'était très volontaire de ma part. Car honnêtement, je ne pense pas qu'en 30 ans les choses changent tant que ça. Regardez dans la rue. Qu'est-ce qui a réellement changé depuis 30 ans ? Le style vestimentaire, quelques gadgets mais bon on n'a pas des voitures volantes non plus ! (il rit) Les choses évoluent lentement. Et en particulier dans le Kansas (là où se déroule le film).

 

En regardant Looper, on a une pensée pour les films de John Ford. Dans quel mesure vous-a-t-il influencé ?

Clairement, la deuxième partie du film est un western science-fictionnel. On peut vraiment y voir les vestiges des films de John Ford, une émotion similaire mais pas seulement : il y a également la moralité d'un western qu'on retrouve dans cette seconde moitié. Dans la première, la morale est plus ambiguë comme dans un film noir, la seconde, on entre dans la solide morale du western. Mais en fait, le long-métrage qui a eu une forte influence sur moi pour ce film n'est pas un western mais Witness de Peter Weir avec Harrison Ford. Comme dans Looper, le film commence en ville et s'achève dans une ferme, il est également question d'une mère célibataire et d'un petit garçon. C'est assez drôle car quand on le réalise on se dit « oh mais oui, c'est Witness ! ». D'ailleurs j'ai étudié ce film pour savoir comment il parvenait à maintenir la tension dans la ferme.

 

Brick est un véritable polar aux tendances film noir, Une arnaque presque parfaite, est un film de casse mixée avec une comédie et, enfin, Looper est un véritable mélange entre un western et un film de science-fiction. Est-ce une sorte d'hommage au cinéma américain à travers ses genres ?

J'aime les genres au cinéma mais la motivation pour réaliser un film n'est pas une « équation du genre ». Je ne me dis pas « oh et si je prenais ce genre et que j'ajoutais de celui-là là », non, je ne pourrai pas commencer par là, ça ne serait assez intéressant pour moi. Je dois commencer par une histoire, une émotion ou un thème que j'ai envie d'explorer puis, après, le genre vient comme un outil pour l'exprimer. Et, en tant qu'outil, je trouve que le concept de genre est vraiment formidable. D'ailleurs je trouve qu'actuellement, c'est le bon moment de travailler avec les genres car le public en connaît bien les codes. C'est un peu comme si on avait une conversation méta avec lui dans le sens où vous détournez ces genres et jouez avec eux.

 

La scène où le futur Paul Dano est contraint (nous ne pouvons pas dire comment, spoiler alerte) de retourner vers la jeune version de lui-même est très impressionnante. Elle est quasi-horrifique et détonne du reste du film. C'est un genre qui pourrait vous intéresser l'horreur ?

En théorie, oui. J'aime beaucoup les films d'horreur. Avec cette scène, je voulais montrer la noirceur de l'univers dans lequel les loopers sont, montrer le piège dans lequel ils sont enfermés. Mais de là à réaliser un film d'horreur, non je ne pense pas. Car, à mon avis, un très bon film d'horreur n'a pas d'issue positive, doit être vraiment noir. Et je ne me sens pas capable de ça.

 

Vous avez écrit vos trois films, seriez-vous prêt à réaliser un long-métrage à partir d'un scénario qui n'est pas le vôtre ?

Oh oui !!! S'il vous plaît oui ! Je rêve de trouver le projet qui saura m'intéresser afin de pouvoir m'atteler directement à la partie fun d'un film : la réalisation. Car, pour être honnête, je déteste écrire. C'est vraiment difficile, voire douloureux pour moi : je suis si lent !

 

Quel est votre prochain projet ?

Actuellement, je suis en pleine écriture. Et comme je vous le disais, pour moi, c'est un processus très lent, donc je n'ai pas vraiment avancé. Mais ce sera un film de science-fiction. Mais très éloigné de Looper, rien à voir même. Mais bon, ce n'est pas prêt d'être fini...

 

Sur Ecran Large, nous avons sélectionné les 31 meilleurs films de science-fiction, pouvez-vous commenter cette liste ?

(Il regarde la liste en faisant des petits cris de joie et en pointant tout du doigt) Ce ne sont que des films géniaux ! Vous avez les meilleurs, c'est clair, je ne sais pas trop quoi en dire mais...Oh ! L'homme qui rétrécit, ça fait des années que je ne l'ai pas vu ! Je me demande comment ça a vieilli... Tiens Starship Troopers en deuxième place, c'est cool ça ! C'est un film vraiment génial, très apprécié par les fans du genre mais souvent oublié des classements, je suis ravi de le voir là. Aaah Retour vers le futur, classique, indémodable, génial. En revanche, j'aurais mis Matrix à une meilleure place. Pour moi c'est le meilleur film de science-fiction de ces dernières années, je pense qu'il est très important. Akira. Ce film aussi a eu une grande influence sur moi quand j'ai préparé Looper. Vraiment une très bonne liste que vous avez là !

Merci à Etienne Lerbret, Anaïs Lelong et l'équipe de SND. 

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