Ciaran Foy (Citadel)

Aude Boutillon | 22 octobre 2012
Aude Boutillon | 22 octobre 2012

Il y a de ces films dont on a terriblement envie de penser le plus grand bien. Véritable catharsis du traumatisme vécu par son réalisateur, Citadel sonde la peur, la paternité et la rédemption à l'ombre de HLM ô combien familiers. Nos espoirs se seront vus récompensés ; Citadel était un de nos coups-de-cœur de la dix-huitième édition de l'Etrange Festival. Nous avions donc bondi sur l'opportunité de rencontrer Ciaran Foy, autour d'une discussion relative aux mécanismes de la peur et aux rouages de fabrication d'un premier film glaçant et débordant de sensibilité, marqué au fer rouge par la personnalité touchante de son auteur, ses angoisses et ses espoirs. Depuis, le film a obtenu le prix du public au PIFFF, preuve s'il en fallait que ce film est un vrai coup de coeur pour les fans de genre. 

Cette interview comporte quelques éléments-clés du film, notamment relatifs à son dénouement.

 

 

Quelques jours se sont écoulés depuis la projection de Citadel. Avez-vous eu des retours ?

J'ai fait quelques interviews, à l'occasion desquelles tous les journalistes avaient des choses très gentilles à me dire. J'ai également jeté un œil sur Twitter, où j'ai aussi lu de jolis mots. J'en ai déduit que la presse comme le public avaient apprécié le film. En fait, le jour de la projection, je m'étais installé dans le fond de la salle, ce qui me permettait d'observer les réactions du public lorsque je savais qu'une séquence effrayante était sur le point de survenir à l'écran.

 

Un public qui avait d'ailleurs bien des raisons d'être tendu...

Je me demande ce qui justifie cette tension. Peut-être est-ce lié au fait que le film comporte des éléments réels, auxquels il est possible de s'identifier. La plupart de mes films d'horreur préférés sont ceux auxquels on continue de penser une semaine après les voir vus. Ils se glissent en vous. Je n'aime pas particulièrement les slashers, ni les films d'horreur qui fonctionnent sur les musiques angoissantes et les sursauts, et qu'on oublie immédiatement après les avoir vus. Une grande partie de Citadel est axée sur ce que j'ai vécu, ou bien de cauchemars que j'ai commencé à avoir lorsque je souffrais d'agoraphobie. J'entendais alors un bruit au rez-de-chaussée, je descendais les escaliers, et derrière la porte d'entrée -exactement identique à celle que vous voyez dans le film- se tenait un de mes agresseurs. C'est une image très simple, concrète. Par exemple, si vous prenez The Grudge, il y a une scène dans laquelle Sarah Michelle Gellar se douche, et sent soudain une main dans ses cheveux. Il n'y a aucune chance que ça vous arrive ! A contrario, tout le monde peut s'identifier à la notion d'espace privé, et à la menace que représente une personne qui s'en tient si près. C'est terrifiant. J'imagine qu'il existe une sorte de peur universelle à ce sujet.

 

L'immersion du spectateur doit aussi beaucoup à votre évidente implication dans ce récit.

De nombreux films d'horreur adoptent un point de vue nihiliste, avec un twist particulièrement cynique, en faisant mourir le personnage principal, par exemple. Je voulais explorer le centre de la peur, mais il fallait que Citadel constitue avant tout une histoire d'espoir et de rédemption. A la fin du film, Tommy est un meilleur papa, après avoir traversé tous ces obstacles.

 

 

De l'espoir pour Tommy, certes ; le traitement des « créatures » est toutefois radicalement différent. Elles sont littéralement traitées de gangrènes incurables.

Au sujet des créatures, le prêtre finit par dire qu'elles sont au-delà du salut. Il a tenté de les sauver, et a fini empoisonné. Le premier thème que je souhaitais explorer était celui de la paternité. Tommy ne souhaitait pas être père. On lui a donné un enfant, en lieu et place de sa femme. J'ai donc appréhendé ce cheminement, non pas de la peur vers le courage, mais de la peur de la paternité vers son acceptation, avec l'amour qui en naît. Le prêtre est aussi le Père des voyous, qu'il abandonne. Il s'agissait de montrer les conséquences de l'abandon et de l'absence d'un père, qu'on le symbolise ou non par une institution, ou par Dieu. L'abandon transforme les personnes. Tommy, lui, est présent pour Elsa ; elle ne subira pas cette transformation. Dans le premier jet de scénario, le film se terminait par un fondu au blanc, car je l'ai toujours perçu comme un cauchemar, dont Tommy essayait constamment de se réveiller. Mais il s'agissait d'un cauchemar thérapeutique. A la fin, quand il serre Elsa contre lui, ses peurs ont disparu, et il peut contrôler sa destinée. Je ne voulais vraiment pas que le film s'achève sur une note cynique. Je le voulais cathartique, optimiste.

 

D'où vous est venue votre inspiration pour les créatures, leur aspect visuel et sonore ?

C'était une combinaison entre ce que j'avais effectivement vu chez mes agresseurs et une apparence qui serait à la fois sauvage, et qui rappellerait l'aspect de la peau et des dents des meth addicts. S'agissant du premier aspect, il s'agissait par exemple des rétines qui se dilatent fortement devant une lumière. Pour les sons qu'ils émettent, nous nous sommes également inspirés de bruits produits par les meth addicts, dont la gorge est très abimée, et qui donne un son guttural terrible. Nous avons mélangé cela à des bruits d'animaux, et de cris de bébés, pour aboutir à un son vraiment unique et terrifiant.

 

Aneurin Barnard incarne un Tommy saisissant de sensibilité. Comment avez-vous porté votre dévolu sur lui ?

Ma directrice de casting, Shaheen Baig, a joué un grand rôle. J'avais dressé une liste des caractéristiques que devrait avoir Tommy. J'avais une crainte particulière ; nous avons ici à faire à un père contre son gré. Voir quelqu'un de si impuissant et détaché de son enfant peut amener l'audience à se distancier du personnage. J'avais donc besoin d'une personne dont la première apparence à l'écran susciterait l'empathie. Je voulais également que ce père soit très jeune. J'ai grandi dans une banlieue, certes pas aussi foutue que dans Citadel, mais où l'on pouvait voir de nombreux pères pousser un berceau. Il me fallait donc un homme de 21, 22 ans, mais qui ait la maturité indispensable pour saisir la part sombre de Tommy. Quand Aneurin est entré dans la salle, on ne voyait que ses yeux. Il s'est assis, et il avait clairement accès en son for intérieur à une part d'émotions matures, doublées d'un certain vécu. J'ai rencontré en tout une trentaine d'hommes. On a fait une improvisation, dans laquelle je jouais un assistant social qui allait lui enlever son bébé. Il était purement et simplement Tommy. A la fin de l'improvisation, la directrice de casting était en larmes. C'est à cet instant que nous nous sommes dit « Il nous faut ce type ». C'est la première fois qu'il interprétait le premier rôle d'un film. Il y a quelque chose de fascinant chez lui. La directrice de casting m'a dit que d'après son expérience, c'est ainsi que naissent de grandes stars. Je suis certain que de très beaux projets l'attendent.

 

 

Vous avez basé Citadel sur une expérience et un traumatisme qui vous sont propres. Vous en êtes-vous inspiré pour guider Aneurin Barnard dans son interprétation ? A-t-il fait appel à vos conseils ?

Absolument. Il me demandait parfois ce qui me serait passé par l'esprit dans certaines circonstances, quand il essaie par exemple d'ouvrir la porte d'entrée de sa maison. Je lui ai ainsi expliqué que dans cette situation, les paumes de mes mains étaient très moites, et il courait donc au maquillage se couvrir les mains de la substance appropriée. Je lui disais aussi que je me sentais désorienté, comme sur un bateau. Il faisait alors son maximum pour se mettre dans cette situation. Il a passé beaucoup de temps, avant le tournage, en compagnie de groupes pour agoraphobes. Il a pris connaissance de détails, grâce aux témoignages des participants, sur leurs crises de panique par exemple. Ils lui parlaient alors de souffle court ; la plupart des gens pensent que c'est dû à une respiration insuffisante, alors que c'est en réalité le contraire. Ces détails ont concouru à le maintenir dans un état de paranoïa permanent. En plus de cela, le planning était vraiment serré. Nous avons tourné en 33 jours, et il n'a pas pris le temps de redescendre ! A la fin de la journée, alors qu'il était déjà épuisé, il allait à la salle de sport pour courir et se fatiguer davantage. Il s'est vraiment donné à fond.

 

Qu'est fut-il de la production de Citadel ? L'élaboration d'un film dit « de genre » ne vous a-t-elle pas posé d'obstacles ?

Le projet a pris 6 ans pour décoller. Le contexte n'était pas idéal, car Citadel a commencé à se construire en 2007, au beau milieu de la crise financière. De nombreux investisseurs se sont retirés du projet. Au final, notre budget était donc bien inférieur à ce dont nous disposions au départ. Nous avons été financés par l'Irish Film Board et Scottish Screen, deux organismes publics qui, en temps normal, ne cherchent pas à financer des films de genre. De ce point de vue, il était en effet un peu délicat d'obtenir le financement. Mais je pense que nous avons bénéficié de l'aspect très personnel du film ; je racontais ce qui m'était arrivé. Pour beaucoup de personnes, le mot horreur est presque une insulte. J'ai tenté de leur faire comprendre que je souhaitais faire Citadel avec toute la réalité d'un véritable drame, avec des aspects horrifiques. Malgré cela, ils n'étaient toujours pas partants. Ce qui m'a grandement aidé, c'est la sortie de Morse. J'ai pu leur montrer que ce film, en-dehors de la présence d'un vampire, est un très beau drame sincère. Avant cela, je faisais référence à des films comme L'échelle de Jacob ou L'exorciste. Beaucoup d'organismes de financement sont influencés par la possibilité pour un film de remporter des récompenses, davantage que par des questions de box office. Morse a gagné à la fois des récompenses et le respect de critiques qui n'aimaient a priori pas l'horreur. Je leur ai donc dit que Citadel ressemblerait davantage à cela qu'à Vendredi 13 !

 

 

L'un des aspects marquants des récentes productions britanniques, pour nous autres Français, réside dans le traitement impitoyable d'une jeunesse violente, à l'innocence révolue. Le traumatisme est-il à ce point enraciné ?

Les journaux affichent des nouvelles terribles toutes les semaines. Quand j'avais 18 ans, les jeunes qui m'ont attaqué m'ont frappé avec un marteau. Ils avaient 13 ou 14 ans. Je revenais du cinéma, et je suis passée devant ces quatre gamins, qui avaient avec eux un enfant de 9 ans. Lorsque je les ai dépassés, ils ont poussé l'enfant vers moi. Je me suis excusé. L'un d'entre eux s'est planté devant moi, et m'a demandé « Pourquoi est-ce que tu l'as poussé ? ». Avant même d'avoir le temps de répondre, le marteau était sur mon visage. Une part conséquente du problème réside dans le fait, au Royaume-Uni notamment, que les gangs de 13-14 ans savent qu'ils sont intouchables, et que la loi ne peut rien contre eux. En parallèle de ça, ils sont suffisamment matures pour comprendre comment fonctionnent les choses. Je ne suis pas certain de ce qui a causé cette espèce de « mouvement de capuches ». Il y a quelques temps, Tony Blair voulait bannir les capuches. Les mecs qui m'ont attaqué en portaient ; c'est évidemment pour éviter d'être vus. C'est leur uniforme dédié. Ce que vous voyez dans des films comme Harry Brown, je le vois chez moi, comme par exemple ces gangs qui restent assis sur un mur devant un tunnel. Là où j'habitais, je devais inévitablement traverser un de ces couloirs pour accéder à l'arrêt de bus, qui était le seul moyen de quitter cet endroit. Il s'y passe constamment des choses horribles. Cette intimidation a un aspect très territorial. Là repose la différence entre la ville et la banlieue ; la ville appartient à tout le monde, par opposition à la banlieue, qui est territoriale. Ils savent si vous n'êtes pas du coin. Ca peut être un endroit très effrayant, en particulier si quelque chose vous est déjà arrivé, auquel cas vous êtes deux fois plus terrifié de sortir de chez vous. Pour cette raison, ils vous repèrent, et vous avez de grandes chances de vous faire à nouveau attaquer.

 

Vous abordez ici un point primordial de Citadel : les voyous sont capables de voir littéralement la peur.

Exactement. C'est une chose qu'on m'a expliquée lorsque je me faisais soigner pour mon agoraphobie. Une conseillère nous parlait de langage corporel. Elle m'a dit que des recherches avaient prouvé qu'un pédophile pouvait entrer dans une salle, et immédiatement identifier une victime d'abus, sur la base de minuscules signes corporels. Elle m'a dit qu'il en était de même avec les prédateurs de la rue, comme elle les appelait ; c'est presque comme s'ils pouvaient voir votre peur. Vous pouvez traverser la pire des zones ; si vous avez l'air confiant, ils ne vous voient pas. Je trouvais cela fascinant. Quand je traversais ce fameux couloir, par le passé, j'étais probablement agité, courbé... Un peu comme une gazelle avec une patte blessée. Après avoir parlé à cette conseillère, je me suis dit que je voulais retenter de traverser le tunnel. Je me souviens avoir pensé, à ce moment précis, à quelque chose qui m'énervait profondément, ce qui transparaissait probablement sur mon visage. J'ai traversé le couloir, et ils ne m'ont rien fait. C'était comme si je n'étais même pas là. Je voulais vraiment que cet aspect soit très présent dans le film. Quand la conseillère m'a dit que ces personnes pouvaient voir la peur, j'ai trouvé l'idée terrifiante, prise au premier degré. La seule manière de leur échapper est alors de  vaincre cette peur.

 

 

Citadel sera à nouveau projeté à l'occasion du PIFFF, qui se déroulera du 16 au 25 novembre.

 

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.
Vous aimerez aussi
commentaires
Aucun commentaire.