Interview de Serge Bromberg : Retour de flamme, Annecy, Méliès & co.

Nicolas Thys | 17 août 2012
Nicolas Thys | 17 août 2012

Début juillet 2012, nous avions rencontré Serge Bromberg au Festival International du Film de La Rochelle à l'occasion d'un Retour de flamme spécial Charles Chaplin qu'il venait présenter. Producteur, programmateur, réalisateur, animateur, il est l'une des figures incontournables du cinéma des premiers temps. Ce fût l'occasion de discuter avec lui tant de l'actualité de Lobster, sa boite de production (l'édition et la restauration du Voyage dans la lune de Méliès) que de son départ du festival d'Annecy où il était directeur artistique, de ses différentes activités et de son parcours si particulier.

 

 

Quel est votre parcours ?

Mon parcours. 1968, j'ai 7 ans : pas de DVD, pas de VHS. Mon père m'offre un projecteur Super 8mm avec le film Charlot au musical. C'est, à l'époque, la seule manière de voir images à domicile. C'est le début d'une passion, pour le cinéma muet et le cinéma en général. J'ai fait mes études en banlieue, au Perreux sur Marne, puis l'école supérieure de commerce de Paris. Je ne voulais pas spécialement faire du commerce mais mes parents m'ont dit : « On te paie un film si tu fais des études. » J'ai voulu faire des études courtes, et le plus court c'était ça ! A l'ESCP, j'ai animé un ciné-club, je ne parlais que de cinéma et je collectionnais déjà les films. A ma sortie, en 1983, pendant les vacances, j'ai été assistant réalisateur sur La Diagonale du fou de Richard Dembo. Puis service militaire au cinéma des armées. Je me demande comment j'ai pu y atterrir puisqu'on y entre en principe par recommandation, et que je ne connaissais personne. En 1985, je me suis dit pourquoi pas la production et j'ai fondé Lobster films avec Eric Lange sans savoir trop quoi en faire. Entre temps, j'ai réalisé trois films, dont un moyen métrage en 16mm que je n'ai jamais montré, Noirboue et les sept fées, et j'ai vite compris que je n'étais pas Orson Welles. Beaucoup rêvent qu'ils sont Welles, au premier tour de manivelle ils savent que non mais ils persévèrent. Welles était Welles dès son premier film (qui s'appelait vaguement Citizen Kane !). Donc, en m'orientant vers la production, j'ai pensé que je pourrai aider des Welles à le devenir. Et je suis venu assez vite à la restauration de films, notamment la restauration du son, avec Le Crime de M. Lange en 1988. Et, en 1992, j'ai créé Retour de flamme.


Comment sont nés les spectacles Retour de flamme ?

J'ai une amie qui était en relation avec une petite salle de concert et cinéma dans Paris, le Passage du nord ouest. La salle bénéficiait d'une petite subvention et voulait diffuser du cinéma de patrimoine mais elle n'avait pas de films à passer. Donc je leur ai fait la proposition suivante : je prends la subvention, je restaure une heure de film, comme ça au moins ils sont restaurés et en échange vous pouvez les utiliser autant que vous voulez et vous empochez les recettes. Eric Lange et moi voulions évidemment passer les films avec un accompagnement piano, et il n'était pas prévu que je joue. Mais nous nous sommes aperçus un quart d'heure avant le début de la première séance qu'on avait oublié d'embaucher un pianiste. Du coup, je me suis retrouvé, quinze ans après avoir touché mon dernier clavier, à m'assoir et écorcher ce que je pouvais en improvisant lamentablement. Et, pour palier la catastrophe musicale et faire oublier le désastre, entre les films, pendant que les amorces se déroulaient, je me levais et je racontais une anecdote sur le film suivant. Cela a fonctionné  immédiatement ! Les gens me disaient qu'ils appréciaient que ce soit la même personne qui aille chercher les films, qui les restaure, qui joue du piano, qui raconte les anecdotes, etc. Ils avaient face à eux la personnification de la démarche langloisienne. A mon sens, on est, avec Retour de flamme, plus proche de la démarche de Langlois dans son époque que ne l'est aujourd'hui La Cinémathèque française. On retrouve dans ces spectacles la rareté et la fascination cinématographique des débuts des cinémathèques davantage que dans les nombreux festivals de films restaurés.


Comment vous choisissiez les films ?

Un peu au hasard, parmi ceux qu'on avait et qui nous plaisaient. Pour la première séance, nous avons passé Philips Broadcast of 1938 de George Pal, Cunégonde ramoneur, un film étrange produit par Lux et un film perdu avec Stan Laurel, Picotin noctambule (Pie Eyed, 1925) qu'on avait trouvé trois ou quatre ans plus tôt et que l'on rêvait de restaurer. Uniquement des films "de grenier". Philips Broadcast par exemple fut récupéré chez un marchand de films qui avait eu un accident de la route : les bobines de film nitrate s'étaient retrouvées dans le caniveau, et étaient donnée pour perdues. Nous avons tout ramassé, et une fois restauré c'était parfait !


Pourquoi des « films de grenier » ?

C'est le seul endroit où on peut trouver des choses relativement rares. Mais attention : montrer ce genre de films implique de passer des heures à chercher sans relâche des bobines sur des marchés où on ne trouve rien, et ensuite de dépenser beaucoup pour pouvoir les restaurer ! Par contre, une fois trouvée, la pellicule ne coute rien et elle n'intéresse personne. Si vous avez une bobine de Cunégonde ramoneur, que voulez-vous en faire et à qui voulez-vous vendre ça ? Tout le monde s'en fiche ! D'ailleurs, une chose amusante : le temps passant, avec l'ouverture des cinémathèques, l'heure du secret est passée, de jeunes conservateurs sont arrivés, pratiquant internet et les bases de données centralisées. Et soudain, l'on s'aperçoit qu'il y a moins de films perdus qu'on ne le pensait. Plus de 50% du patrimoine cinématographique s'est envolé, c'est vrai, mais par exemple, des bobines avec Charlot, ce n'est pas si rare. On estime qu'il existe plusieurs dizaines de milliers de copies dans le monde de Charlot fait une cure. C'est tout sauf rare ! Mais par contre, si quelqu'un a une bonne copie, tirée du négatif original, alors je suis prêt à lui donner une fortune car apparemment, il n'en survit aucune..


Vous fêtez les 20 ans de Retour de flamme, qu'est ce qui a évolué ?

Le temps a passé, et l'enthousiasme des premiers spectacles a fait place à une délectation plus réfléchie et plus gourmande de cinéma. J'ai plus de métier, une réputation internationale plus importante aussi , et je prends de plus en plus de risques. Je fais la plupart des Retour de flamme à l'étranger maintenant, dans de très grandes salles. Mais ce qui a le plus changé, c'est mon regard. J'étais plus dans les films grand public au début. Vingt ans après, Retour de Flamme est devenu un rendez-vous. Les gens viennent en confiance, et j'essaie  de leur faire découvrir autre chose ; je n'hésite plus à donner dans le film documentaire, ou le film de contrepoint.


Le Retour de flamme spécial Chaplin cette année à La Rochelle c'est un retour aux sources ?

Nos allons passer trois courts métrages de Chaplin et deux surprises, mais ce que je montre aujourd'hui n'est pas une "cause". Je ne les montre pas parce que le festival organise une rétrospective Chaplin. Vous le savez peut-être mais de 2003 à 2010, Bologne, le BFI et Lobster ont restauré tous les Chaplin de 1914, ceux produits par la Keystone. En mars 2011, nous avons démarré un plan international pour restaurer les 26 films de Chaplin tournés entre 1915 et 1917, ceux de la période Mutual et Essanay. Nous travaillons à nouveau avec la Cinémathèque de Bologne, sous le haut patronage de l'Association Chaplin et de ses héritiers. Ces films n'avaient jamais été correctement restaurés. En ce moment, je vais d'archive en archive pour trouver les meilleures sources pour chaque film, comme pour Charlot fait une cure comme je l'expliquais. On ne trouve pas à ce jour, mais nous finirons par trouver. Il faut avoir terminé pour juin 2013. Samedi dernier, au festival Il Cinéma ritrovatto de Bologne, sur la piazza maggiore, on a montré en première mondiale les trois courts métrages du programme dans ces nouvelles restaurations, accompagnés par un orchestre symphonique. Et en replay ici, avec Gianluca Farinelli, le directeur de la Cinémathèque de Bologne, nous profitons du rendez-vous annuel de Retour de flamme à La Rochelle pour organiser la première française et présenter ces films.


Vous êtes aussi l'un des spécialistes de l'animation. D'où vient votre intérêt pour le cartoon ?

De l'enfance, un peu comme tout le monde. Et puis Arte m'a demandé si Lobster pouvait produire Cartoon factory, compilation de dessins animés des années 10 à 50. C'était au début des années 1990. J'ai glané des films dans le monde entier, cela m'a passionné, et c'est insensiblement devenu une spécialité. Puis il y a eu Cellulo de 1995 à 2001 et Ca tourne Bromby pour La Cinquième (France 5), deux émissions que j'animais en chair et en os, confronté à l'adversité des perosnnages en cartoon agressifs et désopilants.


Beaucoup vous ont découvert dans ces émissions, comment sont arrivés ces projets ?

Un peu par accident. Un jour où je visitais la chaine pour un tout autre projet, je passais dans un couloir et l'on m'a demandé : « Vous connaissez l'animation ? » Oui. « Vous pourriez faire une émission ? » Oui. « Vous connaissez quelqu'un pour l'animer ? » Je me suis dit que si je ne le faisais pas moi même, l'année d'âprès, cela se serait peut-être retrouvé entre les mains d'un autre producteur alors que si c'est moi qui le présentais, j'étais garanti que je pourrais continuer à le produire. J'ai donc dit que je pouvais le faire. J'avais déjà présenté quelques petites émissions sur Paris Première comme La Nuit du cartoon (avec Jean Teulé !). Mais il y a une vite après la télé ! Maintenant, je continue simplement à présenter sur Ciné Cinéma Classic  l'émission mensuelle Retour de flamme, un magazine du film retrouvé. C'est un mensuel de 90 min, et c'est le paradis.



Puis l'aventure du Festival d'Annecy est arrivée...

Oui ! En 1998, on m'a demandé d'animer la cérémonie de clôture du Festival d'Annecy. Cela a plu à l'équipe, et je dois dire que cela m'amusait beaucoup. Jean-Luc Xiberras, mon prédécesseur, est décédé quelques mois plus tard. Dominique Puthod et son équipe cherchaient quelqu'un qui connaisse le passé, le présent et le futur de l'animation pour le remplacer et ils se sont dit : « Pourquoi pas lui ! ». Ils ont fait le pari avec un mandat d'un an, et cela en a duré 14 !


2012 était votre dernière année en tant que délégué artistique. Pourquoi ?

Je pense qu'il faut prendre garde à ne pas prendre racine. Annecy un festival formidable, il a besoin de dynamisme, d'imagination, d'une projection vers le lendemain. Il faut toujours faire attention au danger de la personnification extrême. C'est drôlement bien d'ouvrir les fenêtres et de laisser place aux jeunes - même si Marcel Jean, mon successeur, est de la même génération que moi, nous devons avoir à peu près le même âge. C'est important de laisser la chance à d'autres visions de s'exprimer pour le bien du festival. Et puis ces dernières années j'ai fait deux long métrages qui ont plutôt bien marché, et j'ai eu envie de me consacrer un temps à cette autre vie, de me ressourcer et d'aller voir ailleurs. Mais je reste proche du festival, c'est devenu ma famille.


Qu'avez-vous apporté au festival ?


Annecy est avant tout une aventure collective. Près de quarante personnes y travaillent toute l'année, et nous sommes 400 (avec les bénévoles) pendant la durée du festival. Mais je pense avoir accompagné l'ouverture au monde du festival. En 14 années, il a pratiquement doublé en importance. Il est exact que j'ai un peu cassé le code, car dans l'ADN d'Annecy était inscrit une sorte de cri identitaire : « l'animation indépendante existe bien, et elle est à Annecy. » Mais j'ai toujours pensé que c'était un moyen maladroit au sens où pour promouvoir une animation indépendante, exigeante, de qualité, intellectuelle, diverse, éclectique, on excluait les grands studios et le secteur commercial de l'animation qui nous a donné de grands chefs d'oeuvre... Parler de l'animation sans inviter Warner, Disney, Ghibli ou Paramount c'est aussi stupide que de parler de bière sans parler des bulles et de la mousse ! Je suis arrivé sur le festival en Mars 1999 : les contours de l'édition étaient dessinés donc j'ai fait mes gammes cette année là. Et pour ma première véritable édition, en 2000, président d'honneur : Roy Disney, membre du jury : John Lasseter, ouverture du festival sur Fantasia 2000. Voilà ! Au moins, le signal était clair. On m'a dit que j'avais laissé entrer le loup dans la bergerie, mais je crois au contraire qu'Annecy est ainsi devenu un lieu de respect, de passage et de diversité. Les gens qui font de l'animation commerciale sont extrêmement ouverts sur l'animation indépendante, souvent très connaisseurs, et parfois ils y ont fait leurs premières armes. En ce sens, je pense avoir gommé les lignes. Cela a toujours été mon crédo : j'ai essayé de faire ce que festival, qui est le 2ème festival de cinéma en France , soit un très grand festival qui reste "petit", à taille humaine. J'ai voulu privilégier la rencontre entre les gens et la convivialité. Quand, en 2003, on a invité Roy Disney et Richard Williams, qui s'était fait voler son film (The Thief and the Cobbler) par Roy Disney, le but c'était de les faire assoir à une même table pour refaire le film. Et ça a marché ! C'est cela qui me plait. Comme faire une projection de Gertie le dinosaure de Winsor McCay déguisé en indien qui joue du fouet, avec David Silverman (le réalisateur des Simpson) m'accompagnant au tuba pour la musique. J'aime ces non-sens qui sont le sens même de la vie : On passe devant un restaurant, on entre, on goute, il y a un piano, on se met autour et on joue. Rien de plus compliqué. Mais ça disparaît un peu des festivals qui deviennent trop normés et trop calibrés... Pour moi, le festival ultime, c'est Telluride au Colorado, au bout du bout du monde ! Ca dure trois jours et on y va sans savoir ce qu'on y verra. On arrive dans l'avion et on nous dit ce qu'il y aura le premier jour mais pas le deuxième. J'ai demandé au programmateur comment il faisait et il m'a dit : « C'est simple, on ne le sait pas vraiment nous-même ». Et je trouve ça formidable ! C'est ce genre de choses que je veux préserver, où tout est possible, où avant un long métrage de Warner, on passe un film Sony. « Quoi ? Sony et Warner dans une même séance, mais c'est pas possible ! » « Et pourquoi pas ? Vous êtes à Annecy.  « Ah d'accord. »


Vous êtes donc revenu à la réalisation ?

Oui. Cela me démangeait tout de même. J'ai réalisé quelques documentaires pour la télévision à la fin des années 1990. Et quand on a ouvert les archives Clouzot pour L'Enfer, les images étaient tellement formidables que je me suis mis au service de Clouzot, et je l'ai fait. Le résultat a été salué par la critique, et a rencontré un grand succès public (Sélection à Cannes 2009 en hors compétition, César en 2010). D'où l'idée du documentaire autour du Voyage dans la lune de Méliès. Ce sont de belles histoire de cinéma, il y en a d'autres, et j'adore raconter des histoires !


Finalement, avez-vous été producteur ?

Pour le cinéma, uniquement des deux longs métrages que j'ai fait. En fait, nous restaurons surtout les films. Les derniers sont Tess et Les Enfants du Paradis (piste son uniquement, l'image a été faire chez Eclair pour Pathé). Quand on a commencé à restaurer des sons, en 1988, pratiquement personne n'avait encore fait de restauration sonore. On me l'a demandé (à l'époque c'était les Editions Montparnasse), et on s'est lancé dans cette activité avec Jean-Paul Darras. Nous travaillons essentiellement pour des tiers, les propriétaires de catalogues de films. Nous sommes au service de ces films et des sociétés, nous ne cherchons pas à nous mettre en avant.


En plus de la restauration, vous avez le projet Europa Film Treasures...

Il s'agit d'un site Internet gratuit, qui ressemble à la fois à un pari formidable et à un pari stupide ! Nous voulions réunir les cinémathèques européennes sous une même bannière, pour donner envie au grand public de découvrir leurs collections. A l'origine, nous avions imaginé un coffret DVD où chacun proposerait deux ou trois films, et cela donnerait quelque chose de formidable ! Mais rapidement, nous nous sommes aperçus que le DVD était en perte de vitesse, que c'était compliqué à distribuer, et coûteux et pratiquement impossible à disséminer dans le monde entier. Du coup, les responsables de MEDIA (le programme de soutien de la communauté européenne) m'ont dit : « Pourquoi pas internet ? » Et nous nous sommes lancés. L'idée était de fédérer et de partager, donc nous avons fait un site gratuit, où les gens visitent et découvrent. Le principe était celui du menu devant le restaurant : chaque cinémathèque choisit deux ou trois films que nous mettrons ligne, et cet ensemble de démarches individuelles forme un imaginaire collectif du cinéma conservé en Europe. On y découvre que la France, par exemple, va sauvegarder des films australiens, américains, croates, polonais, etc. Idem dans les autres pays et à la fin, cela devient un fabuleux morceau de mémoire du monde. Ce qui me fait rire, c'est que, fin décembre 2012, la Cinémathèque Française monte un festival de films de patrimoines qui s'intitulera Toute la mémoire du monde (reprenant le titre du film d'Alain Resnais de 1956 sur la Bibliothèque Nationale). N'allons pas jusque là : disons que Europa Films Treasures en propose seulement un fabuleux morceau. Si on peut avoir des petits bouts de mémoire, ces petits bouts de plaisir de cinéma sont déjà un pas énorme des cinémathèques vers le grand public. (www.europafilmtreasures.com)

 


 

L'avantage d'internet c'est aussi de pouvoir rajouter des films ?

Bien sur. Et puis c'est aussi d'avoir une diffusion dans le monde entier. Des gens à Bornéo, dans le Klondike ou en Sibérie profonde, avec une simple connexion internet, peuvent aller voir des films du monde entier, et en 5 langues. Cela nous coute une fortune mais c'est formidable ! Je suis heureux que cela dure depuis 5 ans, mais le modèle économique fait que le site est en péril pour les années à venir, et un financement par la publicité serait incompatible car avec cette démarche, car on nous dirait bien vite « Mettez des films qui plaisent davantage, plus connus ». Or ce n'est pas du tout notre objectif.


Et d'autres sources de financement ? Vous avez été administrateur de la Fondation Gan pour le cinéma.
 
J'avais demandé à Gilles Duval (Directeur Délégué du la Fondation) de participer, mais il n'a pas souhaité s'y associer. Je ne peux pas lui en vouloir : la Fondation a été un grand soutien de Retour de flamme depuis longtemps, puis de L'Enfer et de la restauration du Voyage dans la lune en couleur, qui a été une restauration d'une complexité et d'un coût inouïs. Ils ont un budget limité, il ne faut pas pense qu'on tape dans une tirelire sans fond. De plus plus, le groupe fait beaucoup d'efforts pour conserver la  Fondation  alors que sa situation financière n'est pas très bonne. Il faut donc bien choisir.


Au sujet du Voyage sur la lune, vous avez travaillé avec la Film Foundation pour la restauration ?

Non, pas du tout. Mais ce sont des gens formidables, et je suis simplement admiratif devant la qualité de leur travail de soutien, de restauration et de présentation des films à travers le monde.


Pourtant on a vu Scorsese présenter le film à plusieurs reprises...

Et alors ? Méliès appartient au monde entier, pas seulement à ceux qui l'ont restauré ! Avec Hugo, Scorsese a fait connaître Méliès plus que quiconque. Cela me fait penser à un cas connu de marketing prouvant que, quand une marque de pâtes faisait de la publicité pour elle-même, ça faisait monter les ventes de Panzani, car ils sont tellement ancrés sur le marché que les gens arrivent dans le rayon des supermarchés, ils voient des pâtes et à chaque fois, ils achètent la marque leader. Là c'est pareil. Scorsese.  Je lui dois énormément, il nous a constamment soutenus, il nous a à plusieurs reprises directement aidés, et puis Hugo Cabret a mis Méliès sur le devant de la scène de manière surréaliste ! Mais il n'a pas directement participé à la restauration couleur du Voyage sur la lune au point même que lorsque j'ai voulu l'interviewer pour savoir ce que représentait Méliès, il n'a pas souhaitée participer au documentaire Le Voyage extraordinaire. Scorsese, sa Film Foundation et la World Film Foundation font un boulot formidable, résultant d'une démarche collective extraordinaire à laquelle participe une kyrielle de grands réalisateurs du monde entier.


Comment en êtes-vous venus à restaurer le film de Méliès ?

 

La restauration du Voyage dans la lune a été initié par Lobster en 1999 après la découverte d'une copie couleur du film (à la cinémathèque de Catalogne, qui nous a transmis la copie car elle était décomposée). Nous sommes restés seul sur ce projet jusqu'en 2010, et avons pratiquement tout fait nous-mêmes jusqu'à l'étape de l'intégration numérique des sans, dont nous avons juste supervisé les travaux, effectués par Tom Burton et son équipe chez Technicolor Digital Service, à Hollywood. Tous les huit jours, nous faisions des Conference call, plein de choses comme ça. C'était très hollywoodien, et cela a duré près d'un an pour 12 minutes de film !


Pourquoi la restauration a pris autant de temps ?

Nous n'avions pas un rond en commençant le projet, mais si nous attendions trop, le film achèverait de se décomposer et c'en serait fini. Quand, en 2003 on a terminé la migration numérique des fragments d'image survivants, les moyens techniques disponibles n'étaient pas encore assez performants. Ce n'est qu'à la fin des années 2000 que ces technologies ont vu le jour, mais cette fois, c'est l'argent qui n'était pas là (environ un demi million de dollars pour 12 minutes de film qu'évidemment, nous n'avions pas). La Fondation Groupama Gan et la Fondation Technicolor ont apporté l'argent dans le cadre d'un véritable partenariat à trois. Mais nous avons eu 4 ou 5 années de creux total, où on était là avec nos fichiers en nous disant qu'on n'en ferait jamais rien. Nous les regardions sur l'étagère, les disques durs prenaient la poussière. Nous faisions des sauvegardes d'un disque à l'autre avec la même chose dessus. « Pourquoi continuer ces sauvegardes ?  Fondamentalement on ne pourra rien en faire. » Et finalement, cela c'est fait. Le documentaire sur le DVD/Blu-ray explique tout ça vraiment bien (Edition Lobster Film, www.lobsterfilms.com).


Vous avez aussi été l'administrateur d'une association pour la lutte contre les myopathies ?

Oui, l'AFM, qui organise et gère les fonds du Téléthon (j'en ai démissionné cette année, après 12 années de bons et loyaux services). A ce titre, j'ai été animateur de l'antenne du Téléthon sur France Télévision trois années de suite. C'est un combat personnel dont je parle peu : mais toutes les grandes sociétés ont leur Fondation dont elles ne parlent pas forcément. Par exemple, pour Groupama-Gan, il y a également les maladies rares. Je pense que c'est important d'avoir une ouverture sur le monde hors du cinéma. Il y a une vie au dehors, et c'est formidable par exemple de voir un festival comme celui de La Rochelle s'intéresser aux plus jeunes enfants, qui ne sont pas cinéphiles par définition, ou encore aux personnes incarcérées à qui l'on demande de participer à des projets. Même derrière les barreaux, on reste un citoyen. C'est le côté partage et ouverture sur le monde qui me passionne, et le cinéma est avant tout un regard sur le monde.J'aime faire découvrir des mondes différents aux spectateurs ! Pour moi, le spectateur est au coeur de la démarche car c'est celui vers qui on transmet. Je te parle, ce qui m'intéresse c'est que toi qui m'écoutes, cela t'intéresse aussi si tu le souhaites, et que nous puissions partager. Ce dont je me méfie, ce sont ces dérives trop analytiques où les gens ne parlent de cinéma qu'à des gens de cinéma. C'est un emprisonnement, on tourne en boucle et voilà ! A la Rochelle, les gens viennent de partout : ils ne sont pas forcément très cinéphiles, mais ils viennent car l'équipe concocte un menu complètement cinglé dont la moitié est peut-être très extrême, mais ils aiment ça, ils ont envie de le montrer. Alors, parce qu'on les aime aussi, on a envie de partager ces films avec eux et d'en parler après. Au fond, ça s'arrête là. Le cinéma n'est qu'un prétexte, c'est une excuse pour se rencontrer et partager. Ce qui fait de nous des vrais gens, c'est que nous aimons les autres, si on n'aime pas les autres, alors le cinéma tout seul et pour soi doit être bien triste.

 


C'est ce qui se passe à Annecy !

Oui et je suis certain que cela va continuer ! Il ne faut pas regarder les films, mais il faut regarder le monde, il faut regarder la vie ! Vous m'avez demandé quel est le film de ma jeunesse, le film dont je me souviens le plus aujourd'hui : sans aucun doute, c'est Les Enchainés d'Alfred Hitchcock. Non parce que je l'ai aimé tant que cela lors de ma première projection, mais parce que j'étais avec une jeune fille très jolie et dont j'étais très amoureux, et nous nous sommes embrassés durant tout le film : je n'en ai pas regardé une minute !  C'est de ça dont je me souviens le plus, et c'était drôlement bien ! C'est banal, mais tout revient à cela au fond : lorsque vous êtes avec quelqu'un d'ennuyeux dans un restaurant 4 étoiles, vous vous ennuyez : « Hum c'est délicieux, qu'en pensez-vous chère madame ? » Par contre, lorsque vous vous retrouvez dans un refuge de montagne avec un bout de saucisson rance et des gens avec qui vous avez grimpé toute la journée, vous êtes exténué, mais si heureux d'être là ! Et tout à coup, ce simple moment de convivialité devient simplement l'un plus beaux moments de votre vie !

 


  Merci à Serge Bromberg et Noémie Sornet pour les photographies.

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