Boaz Yakin (Safe)

Laurent Pécha | 27 juin 2012
Laurent Pécha | 27 juin 2012

Boaz Yakin fait partie de ces metteurs en scène dont la carrière recèle maintes orientations contradictoires, choix détonnants ou expérimentations sans filet. Alors que le réalisateur nous revient avec une série B énervée dans le plus pur esprit des seventies, nous ne pouvions que nous précipiter pour soutenir l'artisan derrière Safe, un des meilleurs Jason Statham à ce jour. L'occasion de discourir sans fard ni fausse pudeur sur le fonctionnement de l'industrie Hollywoodienne, les attentes de l'artistes, et les moules frites.

 


Comment on en vient à faire Safe avec votre carrière ?

Premièrement, même si on parle de cinéma américain, il faut faire la différence entre le système hollywoodien et les studios d'une part, et le cinéma indépendant de l'autre. J'ai la chance de pouvoir travailler en tant que professionnel dans l'industrie cinématographique, très peu de gens ont réussi à faire cela en écrivant et en réalisant seulement ce qu'ils voulaient faire. Il y a Wes Anderson, P.T. Anderson, les frères Coen, grâce à leur talent et le succès de leurs films, ils peuvent continuer. Beaucoup d'entre nous sont entre les deux, nos projets ont du mal à se monter, et il faut rester viable pour l'industrie. Le plus souvent, je dois payer mes factures, et j'accepte du boulot. Je crois qu'il y a une erreur, ou une mauvaise perception, quand les gens regardent ma page IMDB. Ce n'est pas pour me trouver des excuses, mais vous vous retrouvez propulsé « auteur » d'un film, alors que quand vous travaillez sur Prince of Persia, vous n'êtes qu'un scénariste parmi au moins une demie-douzaine. Vous serez ou non crédité selon ce qu'il reste de votre travail dans le film, c'est un fait, et ça paie plutôt bien. Or, c'est plutôt bien de pouvoir payer son loyer.

J'essaie d'exister entre ces deux mondes, l'indépendance et les studios. Je veux rester quelqu'un qu'on veut embaucher, et pouvoir faire des films plus personnels. Ma dernière réalisation était tellement sombre et difficile que je n'ai pu le financer que grâce à mes économies. Je ne crois pas que ce soit sorti en France, ça s'appelait Death in Love, avec Jacqueline Bisset et Josh Lucas. On ne peut pas faire ça tout le temps, ce n'est pas tenable, il faut revenir bosser pour les studios de temps en temps. Si je regardais mon C.V. Moi aussi je serais perdu ! La vérité c'est que si le script que j'ai écris pour Prince of Persia reflétait ce que je considère comme mon orientation, vous regarderiez un film beaucoup plus consistant.


Et Safe ? Quelle est sa place dans ces univers ?

Je venais de faire ce film Death in Love, c'était un petit film compliqué, très peu rentable, et je me suis retrouvé dans un de ces moments où si je n'arrivais pas à créer quelque chose qui puisse attirer un plus large public, plaire aux studios, je ne retravaillerai plus jamais. Et je voulais voir si j'étais toujours capable de faire preuve de l'énergie et des qualités que j'avais apporté à l'écriture scénaristique à la fin des années 80 et au début des années 90. Et cette histoire est arrivée, j'ai commencé à l'écrire, à me connecter au personnage principal, et trouver intéressante cette idée d'un homme qui a perdu toute motivation pour quoi que ce soit et qui va s'accrocher à quelque chose qui lui est tout à fait étranger pour revenir à la vie. Je pouvais m'y identifier, Safe était l'occasion idéale d'explorer certaines techniques et un certain style de réalisation, en restant attractif.


D'habitude, vous ne réalisez pas ce type de projets...

J'avais besoin de mettre en scène un nouveau film, je n'étais pas retourné derrière la caméra depuis quatre ans. J'aimerais tourner plus, mais je me suis retrouvé dans une position... Le rythme de production est très intense ici, si vous ne prouvez pas que vous pouvez faire des films en rentrant dans un certain moule, vous ne trouverez pas de travail. C'était donc l'occasion de montrer que j'étais capable de réaliser des choses qu'on ne m'avait pas encore vu faire.

 

Le Plus beau des combats a été un gros succès aux États-Unis, ce n'était pas suffisant ?

C'est le syndrome de « Qu'est-ce que tu as fait depuis ? »...


Pourquoi ne pas avoir enchaîné directement après celui-là ?

Honnêtement, après celui-là, j'ai eu le choix entre réaliser une autre grosse production, ou faire quelque chose de plus personnel. Je suis devenu nerveux, et j'avais peur de ne plus faire qu'un certain type de films... j'adore Le Plus beau des combats, mais je ne m'étais jamais imaginé faire ça un jour. Je suis fier de ce que j'ai accompli mais c'est plus l'œuvre d'un artisan appliqué qu'un travail de passionné, ensuite j'ai eu quelques occasions de faire des gros films, et j'ai paniqué. J'ai voulu écrire un scénario beaucoup plus personnel, qui n'a pas abouti. Après ça j'étais vraiment déprimé, je ne voulais plus travailler dans ce milieu. J'ai accepté de réaliser une comédie (NDLR/ Filles de bonne famille avec  la regrettée Brittany Murphy) pour faire un peu d'argent et travailler avec des amis, je voulais me retirer, et je l'ai fait pendant un moment. Je me suis occupé en restant producteur, de films d'horreur, j'ai produit les Hostel. Ça me permettait de voyager, en Europe, à New York, en Israël...

J'essayais de trouver quoi faire de ma vie : me tuer ou ne pas me tuer... puis j'ai décidé de faire ce petit film dont je viens de vous parler, même si ça signifiait sacrifier toutes mes économies et ne plus retravailler. Je me suis retrouvé fauché, et maintenant je me sens plus ouvert.


J'ai vu Death in Love, c'est effectivement un film sombre, dépressif...

Ce n'est pas une surprise qu'on ne m'ait pas engagé à Hollywood après ça hein ? C'est un film où je luttais avec ma dépression, et j'essayais d'en finir avec beaucoup de cycles négatifs dans ma vie. Mais je sentais qu'après ça je me sentirai prêt à être plus commercial, plus ouvert à nouveau.


On dirait un film de seventies, si on ne connaît pas les comédiens, l'illusion est parfaite.

J'ai tenté la même chose sur Safe. Je ne prétends pas que c'est comme dans les seventies, mais je veux effacer l'aspect clean des productions actuelles, et retrouver un peu du style et de la patine de French Connection transposée dans le New York d'aujourd'hui. Ce sont deux films différents, mais j'ai essayé de retrouver ce ton dans les deux.


Safe était-il dès l'écriture destiné à Jason Statham ?

Non, il est arrivé après. Je pense qu'il est plus intéressant d'écrire pour un personnage qu'un acteur, même en terme pratique, vos chances d'obtenir le comédien que vous voulez sont d'une sur un million, vraiment. Du coup j'écris, et espère trouver quelqu'un qui fera bien le job, c'est pourquoi Jason n'est arrivé qu'après.


Peu d'acteurs de nos jours sont capables de semblables performances physiques...

Je ne sais pas... Très peu de gens peuvent le faire comme Jason, physiquement parlant, et vous permettre de le filmer avec cette liberté, puisqu'il sait à peu près tout faire lui-même. Mais bon, on a réussi à faire botter des culs à Matt Damon ! Vous pouvez presque faire n'importe quoi, c'est un challenge. C'est intéressant, dans la saga Bourne, ils sont parvenus à faire de Matt Damon, un acteur délicat et sensible, un homme dangereux, c'était leur défi. Le nôtre était contraire, on savait bien que Jason peut être brutal et dangereux, comment lui donner l'occasion d'exprimer un côté plus émotionnel ou vulnérable ? On n'est pas allé super loin dans cette direction, mais on a pu apporter des nuances qu'il n'avait pas l'habitude de montrer.

 

 

On sait le plus souvent qu'on est face à un bon film quand les deux premières minutes suffisent à nous happer. Votre introduction est très efficace, quelles étaient vos intentions ?

Je trouvais intéressant de faire un film d'action impressionniste, où l'on retrouve les figures du genre, mais d'une manière très brève et impressionniste. Lorsque l'épouse du personnage se fait tuer, on est obligé d'avoir ces scènes de couple, où le gentil et sa femme prennent un petit déjeuner, rigolent, avant que les méchants ne la tuent. Je me suis dit, on sait qu'elle va mourir, ne la montrons pas. La réaction de Statham quand il rentre chez lui est plus forte. C'est la même logique qui amène à ne pas montrer les parents de la petite fille qui se fait kidnapper. Je voulais vraiment vous donner assez pour que vous ressentiez le personnage, et que ce que vous connaissez du genre vous permette de ressentir l'émotion plus que par des séquences lourdingues. C'est une expérience qui fonctionne ou non, certains spectateurs voudraient mieux connaître les personnages, d'autres aiment cette direction, mais ça reste une expérience.

Vous savez... Il y a plusieurs aspects très codifiés dans cette histoire. À chaque fois que vous avez un film de vengeance, le héros essaie de sauver sa fille, sa femme, ou de venger son ami tué, c'est toujours basé sur une relation établie. Et je me suis dit, faisons un film basé sur une relation qui n'est pas une relation. Pendant les trente premières minutes, les deux héros ne se rencontrent pas, la gamine le sauve alors qu'elle le voie pour la première fois, il n'y a pas de construction préalable. Il se passe très peu de choses entre eux jusqu'à ce qu'il soient à nouveau séparés, il y a un bref dialogue dans la chambre d'hôtel, c'est tout. Je trouvais excitant le challenge de voir si avec deux arcs narratifs indépendants, on pouvait créer pour le public le sentiment que ces deux histoires étaient liées bien qu'elles ne se rencontrent presque jamais. Encore une fois, une partie du public aimera, l'autre non, mais c'est ce que je voulais expérimenter.


Le fait que l'on ignore ce que tout le monde cherche, c'est votre façon d'utiliser les préceptes narratifs d'Hitchcock ?

Je crois que ce qui se trouve dans le coffre est effectivement un Mcguffin, et que c'est très drôle de voir tout le monde se taper dessus pour quelque chose et courir et s'entretuer, pendant que Jason tente d'aider cette fillette, sans comprendre ce qui se passe. Je ne voulais pas de profondeur de ce côté là.


Comment mettez-vous en scène l'action, qui est ici très différente des canons hollywoodiens ? Vous avez travaillé avec le monteur de Taken...

Frédéric Thoraval est un monteur fantastique. Il est brillant dans tous les domaines, pas seulement l'action. Dans Taken, ce sont les séquences les plus calmes qui sont très intéressantes, qui m'ont le plus impressionné. Il a un côté très traditionnel, Nouvelle Vague, mais il est aussi très focalisé sur la clarté de l'histoire, c'est la combinaison parfaite pour donner de l'énergie à un film. Je crois que la principale différence entre Taken et Safe, c'est que Jason est capable de faire des choses que Liam ne peut pas faire. Frédéric a fait un boulot formidable en donnant le sentiment que Liam accomplissait des actes qu'il ne fait pas vraiment. Sur Safe, on était beaucoup plus libres de laisser tourner la caméra pendant que Jason jouait et tapait sur les gens. Quand vous réalisez un film au budget modeste, comme c'est le cas ici, en termes hollywoodiens, et que vous êtes en compétition avec des budgets énormes, vous ne jouez pas dans la même cour. Vous devez trouver des choses, des gags, ou des idées, qui sont différentes.

 

Je pensais à la scène où il conduit et percute des gens, qui est vue à travers le rétroviseur de la voiture...

On dit que la contrainte est le moteur de la créativité... J'avais beaucoup de séquences comme ça, quand la petite fille se fait kidnapper la première fois, que les russes foncent dans la bagnole, pour tourner tout ce qui se passe à ce moment, il faudrait trois jours pour tout emballer correctement, hors, je n'en avais qu'un. Donc on est forcé de trouver une manière intéressante de filmer, qui demeure forte et puissante. Je me suis donc dit, tu vas tout faire en trois plans, ne pas bouger de la voiture, et tout filmer de ce point de vue, comme si tu étais piégé. Je crois que c'est plus immersif et impactant, mais c'est aussi parce que je ne peux pas filmer quelque chose de cher. J'aimerais avoir un gigantesque budget, mais les limites amènent à être plus créatif qu'on ne le serait avec trop de liberté.


Le dernier combat a-t-il été écrit tel quel ou avez-vous dû vous adapter au faible budget ?

[spoiler] En fait, les producteurs, les financiers, qui étaient très sympas et nous soutenaient avaient une grande peur, c'est que les spectateurs n'aiment pas être privés d'une dernière grosse baston. Je n'ai jamais voulu d'une scène de combat à cet endroit. Je me disais « les mecs, si vous n'avez pas eu votre dose de castagne jusque là, qu'est-ce qu'il vous faut ?! » je préférais prendre le contrepied, et que la petite fille agisse. Qu'elle montre au bad guy qu'il n'aura pas l'occasion de se la jouer Bruce Lee, je préférais mettre un éclat de rire qu'un combat dans cette scène. Et je crois que ça marche bien. [fin du spoiler]


Il y a plus de gunfight que de combats mano a mano. Vous préférez les armes ? 

On a de la baston dans le train, dans l'hôtel, et dans le restaurant. Mais trouver la combinaison est difficile, avec toutes les armes de nos jours, trouver comment faire se battre les personnages à la main peut être délicat. J'ai essayé de mixer les deux au mieux.


Dans la séquence de l'attaque du casino, vous vouliez décrocher le record du monde de morts ?

Je ne pense pas qu'on en tue tant que ça, notre body count est un peu ridicule en réalité. Des gens sont choqués par le nombre de types flingués dans le film, je les crois hein, mais je me suis juste dit que ce devait être un tout petit peu over the top. Mais je ne crois pas qu'on ait le record du monde, même si des gens sont choqués.


Je suis un grand fan de Cosmopolis Commando de Cronenberg Mark Lester, pour moi c'est un long crescendo, c'est très compliqué de maintenir ce type de rythme.

J'adore ce film. J'avais envie de ça, une première demie heure qui installe le tout, puis une constante accélération. Ce que j'aime dans Commando, c'est que tout le monde mitraille Schwarzenegger à dix mètres et le loupe. Et il fait genre deux mètres !

 

 

 

 

Le sous-texte homo-érotique est très intéressant.

À ce titre, l'ouverture de Double détente est incroyable. Il y a un combat dans une salle embuée de vapeur avec des russes culturistes...


Vous réalisez un des meilleurs Statham, et il n'a pas marché aussi bien que ses autres films, qui sont beaucoup moins bons...

Ça ne fait pas plaisir. Honnêtement, j'étais fou quand ils ont déplacé la sortie du film une semaine avant les Avengers. On devait sortir en octobre, quand des concurrents ont mis en face un autre film avec Statham, il fallait donc se déplacer. Le studio n'arrêtait pas de changer de date, personne ne savait que The Avengers serait un tel succès interplanétaire, mais j'étais persuadé que c'était une mauvaise idée de démarrer l'exploitation juste avant. Ça n'aide pas beaucoup de dire « je vous avais prévenu », mais c'est le cas, hélas tout cela ne me surprend pas beaucoup.


Le problème vient peut-être du fait qu'il tourne beaucoup (trop ?) de films...

Vous sauriez dire cela mieux que moi, puisque vous faites partie de la critique. Mais j'ai l'impression que même si le film est plutôt bon, une partie des réactions vient du fait que Jason a fait beaucoup de films d'action, et que les gens se sont dit : « quoi ? Encore un ? » D'un côté c'est très bien de bosser avec quelqu'un d'aussi bon que Jason, qui est parfait pour ce genre et se donne à fond, et d'un autre ça donne peut-être un sentiment de déjà vu pour certaines personnes. Il y a aussi le fait que les cinéphiles peuvent repérer ce qui fait la réussite du film, mais il y a encore beaucoup de gens (même si on a eu d'excellentes critiques, celle d'Empire notamment) pour dire : « mouais, Statham tue encore des gens. » Même chez les critiques c'est dur de sensibiliser les gens à la tonalité du film et à sa mise en scène, parce qu'il appartient au même genre que les précédents, quelles que soient ses qualités.

 

La version française est souvent plus drôle que le texte original, on dirait que le distributeur a tellement aimé et compris le film, qu'il a voulu aller à fond dans le sens du film.

Je n'ai pas vu de films en français depuis très longtemps. J'étais très jeune, je vivais en France, j'y suis resté un an, et j'ai vu la-bas La Relève, avec Clint Eastwood, que j'avais écrit, c'est le dernier film qu'il a fait avant de redevenir talentueux (rire).


Oh non, j'aime ce film, et je ne suis pas le seul !

Allez, c'est monté avec les pieds, ça a le rythme d'un escargot, alors que ça devrait fuser !


Bon, j'admets, j'étais très jeune. Comment avez-vous écrit le script pour Clint Eastwood ?

Je n'avais que 23 ans alors. Et Clint, très gentiment, m'a laissé rester sur le plateau pendant le tournage. J'ai énormément appris en le regardant travailler, et diriger le plateau. Quand j'ai vu le résultat je me suis dit qu'il fallait que je quitte ce milieu et je suis parti un an à Paris, écrire un roman. À l'époque je pensais que j'allais devenir romancier, écrire des livres. C'est un ami, qui produisait Reservoir Dogs, qui m'a appelé pour me dire que si j'avais un scénario à petit budget, il pourrait trouver des fonds, et que je pourrais m'en occuper, faire des films à nouveaux. La Relève est sorti pendant que je vivais en Franc,e je l'ai donc revu en français. C'était génial, sa voix était très proche de la vraie, mais en français ! Je crois que le doubleur a fait quasiment tous ses films.

 

 

 

Ok. Mais comment vous y êtes vous pris pour écrire La Relève ?

Mec, j'avais 23 ans, je ne m'en rappelle même pas ! J'essayais d'écrire des films d'action j'étais tout jeune... je ne suis même pas sûr de la date. 1988, 1989... ou peut-être bien 1990. J'étais un gamin, qui voulait écrire des films d'action, c'était il y a longtemps.


Pour votre premier script produit, Punisher avec Dolph Lundgren...

Je lisais des comic books tout le temps, personne n'en adaptait à tire-larigot alors. J'ai apporté l'idée du personnage au studio, ils ont dit ok, qui m'a abattu en transformant tout, changeant ce que j'avais écrit, virant le crâne du t-shirt du héros, prétextant que c'était trop “comics“. Ce qui était négatif à l'époque. Six mois après avoir fini le film, le Batman de Tim Burton sortait... Soudainement, c'était génial de faire dans le comics, mais quand j'ai bossé sur le film, il n'en était pas question.

 

 

 

Ça reste le meilleur Punisher.

On ne peut pas dire que la concurrence soit rude... Mais il y a quelques scènes marrantes dedans. Le réalisateur est un très bon monteur (NDLR/ il s'agit de Mark Goldblatt), c'est encore un des meilleurs monteurs de film d'action.


Comment voyez-vous les autres du coup ?

Comme je le disais, la concurrence n'est pas féroce ! On va en rester là je pense...


Sur Imdb, on peut lire que vous avez essayé de bosser sur Batman ?

J'aimerais bien qu'ils virent ça de leur site. Parce que quand on bosse deux mois sur quelque chose et que ça devient ce que tout le monde vous demande sans cesse... À la base, c'était après Le Plus beau des combats, mon agent pensait que je devais faire encore un film commercial avant de revenir à un film indépendant. Du coup, j'ai déclaré, si je dois faire un film commercial, ce sera Batman ! Une semaine plus tard il me rappelle et me dit « tu as rendez-vous chez Warner Bros pour parler de Batman ! » Je me suis dit « oh merde ! » Il y a avait ce show en animation, Batman Beyond, qui se déroulait dans le futur, et qu'ils voulaient développer pour le grand écran. J'ai rédigé une première version du script, et avant même de finir, j'ai réalisé que je n'avais pas vraiment envie de le faire. Je doutais de vouloir passer trois ans de ma vie dans cet univers. Je leur ai annoncé, et je crois que je me suis fait quelques ennemis. Ils ne comptaient pas vraiment en faire un long-métrage, mais personne n'aime se faire envoyer balader. Mais je l'ai fait, et je n'aime pas me dédire.

Mon expérience Batman se résume à ça, un premier jet, et un abandon. C'est tout. Mais on continue de m'en parler, parce que c'est sur IMDB.

 

 

Je suis un grand fan du Conan le Barbare de John Milius, vous avez travaillé, à une époque, sur un script de Conan...

Oui j'ai écrit un script. Ça m'a valu une note inoubliable d'un exécutif, je crois qu'ils ne m'aiment pas beaucoup chez Warner Bros. L'un d'entre eux m'a envoyé une note qui disait : « Je n'ai absolument aucune idée de comment rédiger une note sur ce script. » Ce fut tout pour Conan. Mais j'aime mon Conan, il aurait été fantastique.


Vous avez vu le remake ?

Oui. Je l'ai vu.


Et ?

Je ne devrais peut-être pas trop m'exprimer sur le travail de confrères... Je voulais refléter le travail de Howard, je voulais écrire quelque chose qui soit entre le Satyricon de Fellini, et un film d'aventure. Mais je ne pense pas qu'Hollywood soit prêt pour ce genre de concept. Et puis ils n'en feront plus jamais après ça, c'est dommage, le personnage mérite mieux.

 

 

Vous avez écrit le scénario de Now you see me, que Louis Leterrier vient de réaliser. Vous n'avez pas cherché à le mettre en scène ?

Un ami avec qui j'ai co-écrit le scénario a eu l'idée, le concept est de lui. Il m'a parlé de ces quatre magiciens, je trouvais ça débile, il m'a dit, j'ai les dix premières pages, lis-les. Il me les a donc montrées, et j'ai adoré sa direction, cet Ocean's eleven avec des magiciens, il y avait une couleur complètement folle là-dedans, alors on s'y est mis, et on s'est marré comme des gamins. Je ne l'ai pas réalisé parce que personne ne m'aurait confié un film de cette taille. Du coup je leur ai dit : allez-y trouvez quelqu'un, et ils ont engagé Louis. Je dois vous dire, j'étais sur le plateau à la Nouvelle Orléans, pendant trois ou quatre jours. Il avait retravaillé le script, donc je ne sais pas trop à quoi ça ressemblera, mais sa réalisation, le ton, le style, l'énergie qu'il donne au film sont formidables. Je ne crois pas que j'aurais pu faire quelque chose d'aussi stylisé, le crédit ne reviendra qu'à lui. Il a fait un boulot formidable. Moi, qui suis très nerveux sur un plateau, surtout le dernier jour, j'ai toujours l'impression que je n'arriverai pas à finir, lui est beaucoup plus cool. On a vraiment trouvé le bon réalisateur. Je pense que le film sera très beau.


En France, on connaît mal la différence entre producer et executive producer, ce qui est votre poste sur Now You see Me.

Et bien, le producteur est le boss, il est facile de confondre et déterminer qui fait quoi. Je n'ai pas vraiment de réponse, parce c'est confus, mais l'executive est souvent quelqu'un qui est impliqué dans l'écriture ou la direction artistique, la définition de ce à quoi ressemblera le film, il n'est pas forcément sur le plateau et n'est pas aux commandes. Plus que le producteur, il est impliqué dans les décisions de terrain, au jour le jour. Mais ce n'est pas toujours le cas.


Quel était votre intention sur ce film ?

Franchement, c'est malin, c'est fun, j'aime beaucoup l'idée d'écrire une histoire sur les tours de magie, qui se révèle en être un elle-même. C'est un film de braquage, divertissant et coloré. Il faudra demander à Louis ce que c'est devenu, il le saura mieux que moi.

 

 

 

 

Que pensez-vous du casting ?

Il est intéressant. Je crois qu'il a fait beaucoup de choix intelligents, quelques uns à contre-emplois, d'autres non. Jesse Eisenberg par exemple m'a énormément surpris, je n'aurais jamais pensé à lui, et ce que je l'ai vu faire est fantastique. Morgan Freeman est excellent en vieux magicien.


Vous étiez à Deauville où votre deuxième film était présenté...

C'était il y a longtemps ! J'ai mangé les meilleures moules-frites de ma vie !


Je n'aime pas les moules (scoop !) mais...

Moi non plus mais celles de Deauville sont délicieuses, il faudrait que j'y retourne un de ces quatre...


En France, Safe et The Raid vont sortir presque en même temps, j'ai demandé au réalisateur de ce dernier ses cinq films d'action préféré, quels sont les vôtres ?

Je veux bien, mais ça va sonner un peu prétentieux. Les Chiens de paille, French Connection, où il n'y a qu'une seule scène d'action, mais laquelle ! C'est ma préférée. Le Bon la brute et le Truand, les 7 Samouraïs, et le dernier... Je ne sais, un qui m'ait vraiment influencé dans ma jeunesse... Opération Dragon sans doute.


Et A toute épreuve e John Woo ?

C'est comme Piège de cristal quand il est sorti, à l'époque je n'aimais pas, maintenant je l'aime beaucoup plus. Vous savez cet esprit blagueur des années 80 ne me plaît pas beaucoup. Il y a avait de l'humour chez Leone, mais jamais sous cette forme américaine que je trouve trop goguenarde. J'aime beaucoup le premier Inspecteur Harry.


Vous n'avez pas vu dans Piège de cristal et Une journée en enfer une nouvelle manière de filmer l'action ? C'est ce que pensent les français.

Tout à fait, on doit lui reconnaître ça, et d'avoir libéré la mise en scène ainsi que l'usage des focales, bien sûr. Mais ce n'était pas mon truc, je préférais les années 70.


Il a d'ailleurs anticipé ce que tout le monde considère aujourd'hui comme le style « Greengrass ».

C'est aussi le cas dans French Connection. C'est à mon avis un de ceux qui a le plus d'influence, avec La Bataille d'Alger, qui est le premier de toute cette vague. L'usage de la caméra, son énergie a influencé le cinéma tout entier.


Qu'avez-vous pensé des Avengers ?

Il atteint son but avec réussite. C'est une nouvelle forme de cinéma. Je ne sais pas. Ce n'est pas un film selon l'appellation classique, c'est une sorte de big mac géant.


On dirait qu'Hollywood ne sait plus produire que des adaptations de jeux vidéos et/ou de super-héros...

Tant que ça marchera, ça ne sera pas prêt de changer.


C'est un peu le cas de Prince of Persia...

Encore une fois, c'est un film, où je suis un scénariste parmi cinq ou six autres personnes. Je ne peux pas me revendiquer de ce qui est bon et renier ce qui est mauvais. C'est une grosse machine, on n'est qu'un rouage. Quelques unes de mes idées sont à l'écran, mais il y a deux tiers du film que je ne reconnais pas. C'était un job, j'espère que les gens ont passé un bon moment, mais je ne peux pas en dire grand chose. Un film comme Safe, ou même Le Plus beau des combats, si les gens aiment, vous savez que c'est de votre travail qu'il s'agit, si les gens n'aiment pas, c'est que vous n'avez pas réussi ce que vous avez tenté de faire. Quand vous êtes scénariste sur un gros film hollywoodien, votre nom est au générique, mais ça n'a plus grand chose à faire avec votre travail, c'est bizarre de devoir en parler.

C'est un peu comme travailler sur une voiture, et ne vous occuper que du design des pneus. Quand quelqu'un vous demande : « vous la trouvez comment la bagnole ? » vous n'avez pas l'expertise nécessaire.

 

Ce sont des jobs qui peuvent jouer contre vous, selon la réputation du film ?

Non, pas dans le business. Il y a les fans sur internet qui vous vomissent, mais à Hollywood, les gens connaissent le système. Franchement, que le film soit un succès ou pas, si c'est un gros film, c'est une bonne chose. On sait que vous n'êtes pas aux commandes, si vous êtes réalisateur, et que c'est un gros flop, c'est beaucoup plus compliqué. Scénariste, les gens comprennent bien ce que cela recouvre.


Préférez-vous réaliser ce que vous écrivez ou...

Je préfère de loin filmer un scénario que j'ai écrit. Les seules fois où ce n'était pas le cas, c'est parce que ce que j'avais fait n'allait pas dans la bonne direction.


Spielberg par exemple n'a presque rien écrit.

C'est un artiste figuratif de génie, un réalisateur d'exception. Il sait très bien s'entourer, même s'il n'est pas scénariste, il a les meilleurs autour de lui pour écrire de bons scénarios. C'est très dur à faire.


Vous aimeriez être à sa place ?

Non, j'aime trop écrire, je trouve ça plus intéressant que la réalisation en fait. Personnellement, je trouve la réalisation très dure, physiquement, il y a des choses que j'adore évidemment, mais je suis plus à l'aise en écriture. C'est le talent de Spielberg, de savoir rassembler une équipe talentueuse, tout le monde n'en est pas capable.

 

Mais si vous ne pouviez plus qu'écrire, vous ne seriez pas frustré de voir d'autres mettre en image vos scripts ?

Encore une fois, lorsque vous vendez un film à un studio... Dès le début de ma carrière, quand j'avais la vingtaine, j'étais très frustré qu'on change mon script. Sur Now you see me, il y a eu trois autres scénaristes après moi, je serais très surpris de reconnaître quelque chose à l'écran. Quand mon co-scénariste a vu qu'ils allaient transformer beaucoup de choses, je lui ai dit : « c'est la seule façon de faire un film à Hollywood. Ça veut dire surtout qu'ils vont peut-être faire notre film. » Un long-métrage sur cent n'a qu'un seul scénariste à son actif. Cela fait partie du processus industriel. Point barre.


Quel sera votre prochain projet ?

J'ai écris quelques trucs, et j'essaie de trouver les fonds pour les réaliser, c'est difficile, comme toujours, la réponse est donc : je n'en ai aucune idée.


De nombreux réalisateurs en France écrivent en se demandant si leur scénario pourra être produit en l'état. Vous inquiétez-vous lors de l'écriture de la faisabilité du script ?

Et bien, quand j'écris quelque chose dont je pense que cela peut faire un film intéressant, j'essaie de ne pas me concentrer là-dessus, mais sur ce qui rendrait le film intéressant... et personne n'en veut. En revanche, quand je me focalise sur ce qui a des chances d'être produit aujourd'hui, parfois ça arrive jusque dans les salles.


André Dussolier m'a dit une fois : il y a le scénario, qu'on écrit, celui qu'on filme, et celui qu'on monte. Qu'en était-il pour Safe ? Le résultat ressemble-t-il au script ?

Le résultat est très proche. Le scénario se voulait juste un descriptif de l'action, et le long-métrage est bien plus fort à l'écran que ce que laissait présager le script. Mais c'est dur à dire, parce que au fur et à mesure que le projet avance, votre imagination s'efface et votre esprit se fixe sur le résultat final. Aujourd'hui Safe pour moi, c'est Jason Statham. Je ne me rappelle même pas à quoi ressemblait le personnage avant son arrivée. Finalement, au cours de ce processus, votre fantasme disparaît au profit du film lui-même.


Accepteriez-vous n'importe quel gros projet hollywoodien aujourd'hui ? Quel est votre état d'esprit ?

J'essaie actuellement d'écrire un petit film d'horreur, je ne pense pas que quiconque voudra le produire mais bon. C'est un peu Le Locataire de Polanski avec un gamin de douze ans dedans, tout le monde me dit que je ne peux pas faire un truc pareil avec un gosse. Premièrement personne ne m'offre de supers films à Hollywood, deuxièmement je préfère réaliser mes scénarios en ce moment.


Quand on voit Safe, on a envie de vous voir continuer dans l'action !

J'écris aussi quelque chose, si les studios aiment ça se fera, c'est une comédie d'action.


On ne peut pas dire que vous ayez beaucoup donné dans la comédie...

C'est une comédie de caractères, on verra bien !



Autoportrait de Boaz Yakin

 

Retranscription Simon Riaux

Un grand merci à Boaz Yakin pour sa disponibilité et à Louis Leterrier pour avoir rendu cette interview possible.

 


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