Rencontre avec Regina Pessoa autour de Kali, le petit vampire

Nicolas Thys | 13 juin 2012
Nicolas Thys | 13 juin 2012

Regina Pessoa était présente au festival d'Annecy 2012 pour son nouveau court métrage, Kali, le petit vampire, coproduction ONF/NFB, Folimage, Cyclopes films et GPS. Kali est son troisième film court après La Nuit en 1998 et Histoire tragique avec fin heureuse, en 2005. Elle utilise une technique de gravure unique. Nous l'avons rencontrée d'abord au cours d'un entretien croisé avec le réalisateur Frank Dion menée par la productrice de l'ONF Julie Roy, puis pour une interview. C'est un mélange des deux que nous vous proposons ici.


Comment êtes-vous arrivée à l'animation ?

J'ai d'abord travaillé comme animatrice sur les films d'Abi Feijo pendant quelques années dans son studio, d'abord à temps partiel pendant mes études aux Beaux-Arts. Je n'ai pas de formation particulière en animation, je suis arrivé là par hasard. La politique de son studio est d'encourager les nouveaux arrivants à présenter leurs propres projets. Quand j'ai commencé, il y avait un manque de formation important au Portugal dans l'animation. On a donc organisé un stage de formation avec un studio breton et l'une des étapes était l'écriture d'un scénario. Moi, à l'origine, je viens de l'image, de la peinture et j'avais des problèmes pour écrire une histoire. Abi m'a dit de ne pas m'inquiéter, qu'il ne fallait pas que j'essaye d'écrire une histoire parfaite mais une histoire forte car si elle est forte, on va transposer cette force sur les images et le public va la sentir aussi. Cette phrase m'a touchée. J'ai donc pensé à ma peur du noir car c'est un bon exercice pour commencer. C'est stimulant car c'est un défi plastique et graphique intéressant. C'est de là qu'est née l'idée de mon premier film, La Nuit. J'ai donc fait un storyboard et j'ai aimé la couleur, la texture et avec Abi on s'est dit que ce serait intéressant de conserver le style graphique. J'ai donc commencé à penser à la technique à utiliser : la gravure sur plâtre. Un important réalisateur polonais, Piotr Dumala, utilisait cette technique et on a voulu le contacter mais c'était impossible car on avait pas les mêmes facilités de communication qu'aujourd'hui. J'ai donc effectué mes propres recherches et j'ai trouvé ma propre manière d'utiliser la gravure sur plâtre.

 

 

Vous êtes donc arrivée à l'animation un peu par hasard ?

Oui, je ne connaissais pas grand chose sauf le tout venant de l'animation : les cartoons et les dessins animés qu'on voyait à la télévision. Et ça ne m'intéressait pas. Je cherchais juste un travail à mi-temps, mais en découvrant l'univers d'Abi et la possibilité qu'offraient les courts-métrages d'auteur, j'ai été séduite.


C'est le passage du dessin fixe au mouvement qui vous a attiré ?

Voir des images bouger séduirait n'importe qui. Un peintre qui n'est pas convaincu par l'animation, s'il voit ses tableaux bouger, sera séduit. Ils n'ont pas envi de les voir parce qu'ils n'ont jamais essayé, sinon ils passeraient à l'animation.


Parlez nous de l'appel à projet du festival d'Annecy.

C'était pour mon deuxième film, Histoire tragique avec fin heureuse. J'ai soumis projet et j'ai eu la chance d'être primée. C'est très important pour moi car mon premier film a eu une jolie carrière donc je pensais que ça allait être assez facile de trouver un financement pour le second. J'ai commencé par présenter un projet à une commission équivalente à celle du CNC au Portugal mais il a été refusé. J'étais donc sans travail et c'était problématique d'autant plus qu'il n'y a pas quatre commissions par an comme en France mais une de temps en temps. En même temps, j'ai reçu une communication d'Annecy et j'ai donc envoyé mon projet pour le concours espace projet. Quelques mois après, j'avais totalement oublié ça, on m'appelle pour me dire que mon projet a été primé et que je suis invité à recevoir le prix. C'était merveilleux ! Dans la même journée je reçois un mail d'Arte me disant que mon film étant primé, ils allaient préacheter le film et m'aider à le produire. De plus, au cours de la cérémonie, j'entends mon nom une troisième fois, pour un prix surprise, le prix GTC qui m'offre le kinescopage du film. J'ai donc attiré l'attention des producteurs sur moi. Jacques-Rémy Girerd de Folimage m'aborde et me propose de travailler avec lui dans un programme d'artiste en résidence. D'un coup ça voulait dire que l'ONF de Montréal allait s'impliquer dans le projet car ils développaient un partenariat avec Folimage. Et lors d'une soirée du festival, j'étais assise à côté de Normand Roger et je lui ai demandé s'il voulait bien faire la musique de mon film. Il a accepté et d'un coup, toute la production du film s'est trouvée établie ici grâce à l'espace projet. Je ne peux donc qu'avoir une immense gratitude pour Annecy !


 

Comment est venue l'idée d'Histoire tragique ?

Comme je l'ai dit, je viens de la peinture. Aux Beaux-Arts, j'ai appris la gravure et de la sérigraphie. Mais je travaille souvent mieux si je suis une ligne de pensée qui ressemble à une petite histoire. J'ai donc développé une petite histoire, qui à cette époque-là m'aidait à travailler. A la fin, j'avais donc quelques images et un très court récit. Les gens du studio m'ont conseillé de prendre cette petite histoire et de l'adapter en film. En fait, je l'avais déjà depuis un bon moment.


Comment s'est organisée la répartition du travail sur Histoire tragique ?

C'était une coproduction entre trois pays alors on s'est arrangé. J'ai fait la préparation, dont le layout, au Portugal. Puis je suis allée en France pour faire l'animation avec des animateurs français. Ensuite les intervalles ont été réalisés au Portugal, et je suis revenue en France pour la finalisation avec la gravure à l'encre de chine car l'équipe de Folimage a une grande expérience dans la finalisation avec une qualité graphique époustouflante. Enfin, au Canada, dans les studio de l'ONF, j'ai fait toute la partie sonore, musique, bande son et mixage.


Quelle est la technique utilisée sur Histoire tragique ?

J'ai fait mon premier film avec une technique de grattage sur plâtre. C'est une technique solitaire avec une animation sur caméra. J'aime la gravure et je voulais utiliser à nouveau cette technique mais pas seule car c'était trop pénible. J'ai donc développé une technique qui me permettait de travailler avec une équipe. Après quelques recherches j'ai d'abord animé normalement sur du papier comme un dessin animé traditionnel, puis j'ai pris du papier couché, qui ressemble au papier qu'on utilise pour les affiches. Je me suis rendue compte que si je le couvrais d'encre de Chine et si je grattais le papier, je pouvais avoir un bon visuel de grattage sans abimer le papier. Donc j'ai fait l'animation sur papier normal, j'ai photocopié mes dessins sur le papier couché que j'ai couvert d'encre de Chine de manière à ce qu'on voit encore le trait de l'animation puis j'ai gratté en suivant la ligne. On obtenait un bon visuel et ça permettait un travail en équipe.

 

 

Comment s'opère le passage d'un film à l'autre ?

J'ai appris après trois films qu'à chaque étape on recommence quasiment à zéro. A la fin d'un film on perd beaucoup en confiance, car on ne sait pas si ça va marcher à nouveau. Quand on montre son film on est exposé, alors bien sûr on gagne en expérience, et je suppose que si l'on répète la même formule on doit se sentir en confiance mais dans mon cas, et je pense que c'est pareil pour beaucoup de monde, on a envi d'essayer autre chose. Et donc il y a toujours un moment de fragilité, de manque de confiance pendant lequel on se demande : « Est ce que je vais en être capable ? »


Comment se passe l'écriture du scénario ? Vous passez davantage par les mots ou l'image ?

C'est plutôt l'image qui m'amène à l'écriture mais j'aime aussi écrire. Sur mon premier film, il n'y a aucune voix off, mais sur mon deuxième film j'ai voulu en introduire une. C'était un challenge pour moi. Quand j'ai écrit cette histoire, j'ai commencé par écrire une phrase et ça m'a donné une idée pour l'image et pour des séquences d'images puis pour une nouvelle phrase. J'aime travailler ainsi. L'image m'apporte une phrase, la phrase m'apporte une image. Mais j'ai du mal à rédiger un scénario classique, c'est aride et ça ne m'excite pas.


Quels phrases vous donnent des idées ?

Sur Histoire tragique, la première phrase est venue comme ça : « Il était une fois une fille dont le cœur battait plus vite que celui des autres personnes. » Et à partir de là, toute l'histoire s'est déroulée. Pour Kali c'était pareil. J'ai écrit sur un papier quelques mots : « Kali, le petit vampire ». Un jour, je travaillais avec un ami, on a fait une bataille de papiers et je lui ai envoyé la feuille où j'avais écrit ces mots. Il l'a gardée et plus tard, j'avais oublié ça, il m'en a reparlé en me demandant ce que c'était « Kali, le petit vampire ». Je lui ai dit que c'était une petite histoire venue comme ça et il m'a conseillée de l'approfondir. Tout ça m'a stimulée pour le développement. Et le sens pour moi vient du fait que Kali est un vampire. C'est l'histoire d'un garçon qui veut être comme les autres et le vampires se nourrit des autres. Et d'ailleurs, il vole les objets des autres.

 

 

Quels sont les enjeux de la narration, de la voix off ?

C'est un apprentissage car sur Histoire tragique je voulais une voix off narratrice et j'ai donc dû apprendre comment ça fonctionnait. Cette fois c'était facile car le texte que j'ai écrit est tel quel à l'image. J'ai dû faire attention à ne pas utiliser un langage trop sophistiqué mais naturel, pas comme à l'écrit mais comme à l'oral. Pour Kali, c'était différent. Le scénario a dû subir plusieurs versions et j'ai appris beaucoup de choses sur l'écriture.


Etes-vous fidèle à vos assistants ?

Je suis très fidèle. Certains travaillent avec moi depuis mon premier films. Dans le premier c'était un travail solitaire mais j'avais un assistant que j'ai toujours conservé. Sur le deuxième film, l'équipe était plus grande donc j'ai gardé la même équipe pour le troisième avec de nouvelles personnes. C'est fascinant car ça permet de nouvelles expériences mais en même temps ça fait peur car on ne sait pas si ça va fonctionner aussi bien. Par exemple, dans Kali le petit vampire, je voulais d'autres musiciens. J'ai travaillé avec un groupe de rock industriel alternatif suisse dont le son allait très bien avec mes images. J'ai trouvé le moyen de les contacter, ils ont accepté et on a fait un très bon travail.


Avoir gagné le Cristal d'Annecy a dû vous aider à trouver des financements pour Kali...

Non, pas du tout. Le cristal n'apporte rien sauf une certaine notoriété et puis ça fait beaucoup de bien à l'égo. Mais à un moment ça commence à faire mal car on pense que tout sera plus facile alors que ce n'est pas le cas.


Comment avez-vous fait finalement pour produire Kali ?

J'en ai d'abord parlé à mes producteurs. Julie Roy, de l'ONF, a été très rapidement d'accord. Folimage par contre attendait de voir quelque chose de plus développé, mais Hélène Vayssière les a bien poussés. Et donc, d'un coup j'ai pu retravailler avec mêmes personnes. Ensuite, quand j'ai trouvé les musiciens suisses, j'ai demandé à Georges Schwizgebel s'il voulait entrer dans la production avec sa société et il a accepté.


Une coproduction entre quatre studio, ce n'est pas trop dur à gérer ?

Non, quand les gens sont à fond dans le projet, quand tout le monde est là pour travailler, les quelques petits différents qu'on peut avoir se règlent facilement. La répartition des tâches a toutefois été différente d'Histoire tragique car la plus grosse partie de la préparation - tous les lay-out - s'est faite au Portugal. En France, on a fait l'animation de ligne et la finalisation du grattage. Ensuite le visuel final a été fait au Portugal. Donc, on est revenu là-bas où j'ai fait la plus grande partie du film avec mon équipe portugaise. J'ai ensuite fait la finalisation chez moi, ainsi que le compositing. Et pour la musique, on a tout fait par correspondance. Avec internet, les échanges de fichiers sont faciles. Ils sont juste venus une semaine chez moi pour régler les derniers détails. Ensuite je suis partie au Canada pour le sound design, et toute la post-production image et son.

 

 

Quelle est votre part du travail par rapport à celle de l'équipe ?

Je fais déjà tous les lay-out et je les pousse très loin. L'animation est souvent déjà là car je veux absolument garder ma touche personnelle. Je suis mes assistants de très près. Je prépare tout et ils n'ont plus qu'à exécuter ce que j'ai préparé. Je garde le contrôle de toute la préparation et je laisse à mes assistants ce que la préparation me permet de leur passer.


Vous poussez l'animatique de vos films très loin.

Oui, pour moi le montage du film se fait pratiquement avec l'animatique. C'est là qu'on voit le film, et le timing. La technique que j'emploie est souvent lente et fastidieuse, et je ne peux pas me permettre de retirer des choses lors du montage final. Donc, plus l'animatique est précise, moins le risque de perdre du travail inutile est élevé. Je la pousse le plus loin possible afin que la production gagne du temps sur le temps que perds en créant mes images.


Quelle est la différence entre la technique de gravure d'Histoire tragique et celle de Kali ?

Sur Kali, j'ai beaucoup travaillé sur ordinateur donc je n'ai pas du tout utilisé de papier, je n'ai pas eu besoin de scanner ou de traiter l'image scannée. Donc, je n'ai pas eu besoin d'assistants là-dessus. En plus, sur l'ordinateur, j'ai pu faire plein de calques pour chaque détails de l'image. Et aussi, j'ai pu partir de l'image précédente pour animer. Je crée une image et, pour la suivante, je n'ai qu'à récupérer une partie de l'image précédente et ne changer que ce que le mouvement m'impose de changer. C'est un énorme avantage. Je peux aussi utiliser les outils informatiques pour agrandir, rétrécir, copier, coller, ce que je ne pouvais pas faire à la main.

 

Pouvez-vous nous décrire votre personnage ?

Kali est le troisième épisode d'une trilogie dédiée à l'enfance. C'est une réflexion personnelle qui a commencé avec La Nuit sur une fille qui a peur du noir. Puis on accompagne l'enfant qui grandit et dans Histoire tragique, elle n'est pas acceptée dans l'endroit où elle vit, donc elle trouve une solution magique : elle s'envole de là où elle est avec des ailes et en même temps elle captive et suscite l'admiration de ceux qui la méprisaient. Je voulais boucler ce trajet autour de la peur et de la différence avec Kali. Ici, le personnage n'a finalement aucune solution magique mais il doit se confronter, comme en un choc, avec la réalité et s'accepter comme il est. Le fait de grandir réside dans son auto-acceptation. Les trois films font sens ensembles.

 

 

Vous avez travaillé sur la peur du noir, sur un vampire. Le fantastique vous attire ?

Je suis surtout attirée par l'ombre et la lumière. Ça me fascine. Dès qu'il y a une ombre et de la lumière, c'est parfait pour la composition. C'est stimulant et je peux créer plein d'histoires.


Vos histoires, très personnelles, touchent beaucoup les spectateurs...

Oui, je raconte beaucoup de choses personnelles. J'aime raconter des choses, mais je ne suis pas écrivain et c'est beaucoup plus facile de parler d'émotions que je connais bien. Et ce qui me fait le plus peur c'est que les gens ne me comprennent pas. Mais, plus on parle de ce qui nous touche, plus on touche les gens. Et j'ai souvent remarqué ça, quand on cherche à faire un film universel, on risque d'être superficiel et de ne toucher personne. Par contre, quand on fait un film personnel, on touche les gens car on est tous des êtres humains et on a tous les mêmes émotions même si on ne l'avoue pas. Finalement, quand on est personnel, on est moins original.

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commentaires
SKWrVUr
19/11/2014 à 22:27

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