Rencontre avec Franck Dion autour de Edmond était un âne

Nicolas Thys | 11 juin 2012
Nicolas Thys | 11 juin 2012

Franck Dion est un cinéaste français né en 1970. Edmond était un âne, produit par l'ONF/NFB, Papy 3D et Arte, en compétition officielle au festival d'Annecy 2012, est son troisième film en tant que réalisateur après L'Inventaire fantôme et Monsieur Cok. Nous l'avons rencontré à l'occasion d'une discussion avec la réalisatrice Regina Pessoa et leur productrice Julie Roy ainsi que lors d'un entretien personnel. Nous vous proposons une transcription des deux.


 

Quel est votre parcours ?

Alors, c'est une histoire un peu particulière car je n'ai pas fait d'école. Initialement j'ai une formation de comédien. J'ai commencé assez tôt, quand j'avais 12 ans et j'ai vécu du métier de comédien jusqu'à mes 25 ans. En parallèle, j'ai fait pas mal d'illustration. De l'illustration de jeux de société, de jeux de rôle mais aussi pour des maisons d'édition comme Gallimard. Et j'ai toujours eu envie de faire du cinéma et du cinéma d'animation.


En étant acteur, vous venez donc du cinéma en prises de vues réelles ?

Oui, mais même si mes influences viennent plutôt du cinéma live, l'animation a toujours été une passion. Il faudrait être fou pour se lancer là-dedans sans être vraiment passionné. C'est difficile et fastidieux mais ça réunit les arts plastiques, le théâtre, le jeux des comédiens, l'écriture. J'aime le cinéma et le cinéma d'animation, avant d'être de l'animation, c'est du cinéma. Tout le monde n'est pas d'accord avec ça et on peut en discuter mais c'est mon point de vue et c'est pour ça que je fais du cinéma d'animation. Et, même si mes influences plutôt du live action que de l'animation, j'admire beaucoup d'animateurs comme Jean-Françaois Laguionie. J'ai découvert ses films quand j'étais gamin et ce sont eux qui m'ont fait comprendre qu'on peut faire de vrais films d'auteur en animation, qu'on peut faire autre chose que ce qu'on voit tout le temps.

 

 

Comment s'est passée la réalisation de votre premier film, Inventaire fantôme ?

J'ai écrit plusieurs scénarios quand j'étais plus jeune. En 1997, j'ai participé au concours de projet d'Annecy. C'est l'année où j'ai découvert le travail de Sylvain Chomet sur La Vieille dame et les pigeons. J'ai retenu le nom du producteur, Didier Bruner. Je me disais que c'était intéressant qu'un homme produise des films comme celui là. Quand j'ai commencé mon projet, qui s'appelait Avez-vous donc une âme ? et dont l'univers graphique et le personnage étaient les mêmes que pour Inventaire fantôme, j'ai été aidé par deux amis. On l'a donc écrit à 6 mais et on l'a envoyé à Annecy ainsi qu'à une dizaine de producteurs. Au festival, mon projet a remporté le prix SACD et ça m'a mis le pied à l'étrier. La même semaine Didier Bruner m'a appelé pour me dire qu'il était intéressé pour produire le film.


Comment s'est effectué le passage entre votre premier film et le second, Monsieur Cok ?

Déjà j'ai eu la chance de voir ce projet remporter deux prix à Annecy : le prix Canal + pour un pré-achat et le prix GTC qui offrait un kinescopage du film donc c'était parfait pour commencer la production. En plus, le passage du premier au second film s'est fait de manière particulière car Inventaire fantôme a bien marché et il m'a permis d'obtenir une crédibilité que je n'avais pas avant, notamment auprès du CNC et d'autres partenaires comme le CRAV ou la Région Nord Pas-de-Calais. Entre temps, avec des amis nous avons monté une société de production, Papy 3D, qui fédère plusieurs réalisateurs, ce qui a rendu l'aventure encore plus intéressante. J'ai essayé de me mettre en danger en utilisant une technique nouvelle, celle du papier découpé, afin d'éviter de refaire le même film. Et puis j'ai eu la chance d'être mon producteur dans un soucis d'indépendance et de contrôle artistique du film. J'ai donc pu choisir les gens avec qui je voulais travailler et j'ai commencé une collaboration avec un studio basé à Lille, le studio train-train avec qui tout s'est très bien passé. J'ai ensuite retravaillé avec eux pour Edmond était un âne.

 

 

Etes-vous fidèle à vos collaborateurs ?

Oui, plutôt fidèle. Je travaille avec certains d'entre eux depuis le début comme Pierre Caillet mon compositeur, et j'ai fait deux films sur trois avec le studio train-train. J'estime que si le travail fonctionne bien, si on se comprend bien et qu'on est efficace, on gagne du temps. Une relation se construit et la fidélité est un avantage.


Monsieur Cok est un film très engagé...

Oui mais je pense que l'art et l'engagement sont très liés. Le propos de Monsieur Cok est anti-libéral et anticapitaliste, c'est clairement un film de gauche. Ca m'a posé quelques soucis car tout le monde n'aime pas ces idées mais tant mieux car ça ouvrait le débat et j'en suis content. Le cinéma est un vecteur de messages et je trouve ça normal d'en envoyer. Je donne mon avis, je dénonce ou je m'interroge mais le propre de l'art de poser des questions.


Comment écrivez vous vos films ?

La plupart du temps mes scénarios viennent de personnages dessinés. Mais après cette première idée, je me concentre sur l'écriture, sur la construction du scénario avant de revenir à l'illustration. Je n'y reviens qu'après que le scénario soit dans sa deuxième ou troisième mouture donc bien avancé. Là je passe à l'image et au découpage.


Et comment travaillez vous vos animatiques ?

Elles sont très précises, essentiellement dans un soucis de clarté vis à vis de l'équipe. C'est une manière de me rassurer sur l'aspect définitif du film. D'autant plus que je ne suis pas animateur, je dirige une équipe comme on dirige des acteurs et les gens avec qui je travaille font l'animation. La précision de l'animatique me rassure et me permet de donner un maximum d'indications sur les lumières, les décors, etc. C'est la colonne vertébrale du film, un premier montage avant la réalisation de l'animation a proprement parler dans lequel je perçois certains problèmes. Par exemple, j'avais besoin d'un rythme particulier mais comme je ne suis pas animateur, c'est grâce à l'animatique que je suis arrivé au résultat désiré. Je fais aussi la musique à ce moment là.

 

 

Et les dialogues ?

Mon premier film avait peu de dialogues, assez discrets. Le principe du second était de n'entendre que du charabia. Les dialogues ont été plus important pour Edmond car c'est un film raconté. Initialement je voulais faire croire que le film était tiré de faits réels d'où la forme du témoignage dans la narration. Je voulais faire un faux documentaire mais finalement le dispositif a changé et j'ai conservé l'idée d'un personnage disparu depuis longtemps dont on reparle. Et ça a été un bonheur de faire un film raconté. C'est une envie qui me tenait à cœur car j'aime faire travailler les comédiens et là j'avais l'opportunité d'entendre un texte dit, et bien dit !


Comment s'est passé l'enregistrement des voix ?

Le film est une coproduction entre Papy 3D, l'ONF et Arte. Arte est le diffuseur du film, ils le défendent et mettent de l'argent dans le projet. Avec l'ONF, c'est un apport en industrie. J'ai fait tout le son du film là-bas, ainsi que les voix. Comme ils sont basés à Montréal, ils font le film en deux versions, française et anglaise. A l'origine je voulais faire le film en anglais, vu qu'il se passe à New York, c'était donc parfait pour moi. Et la direction d'acteurs a été très agréable. L'ONF est un studio très efficace malgré l'énorme aspect contractuel et administratif. J'ai passé un mois là-bas et les conditions techniques sont exceptionnelles, j'ai travaillé avec un chef de plateau qui faisait l'interface entre l'anglais et le français. Ca a été parfait.


Pouvez-vous nous parler d'Edmond ?

J'ai beaucoup d'affection pour mes personnages, ça me permet d'aller plus en profondeur dans ce que je veux dire sur eux. C'est un homme avec la grisaille de la simplicité. Il est petit, il ne parle pas, il est sans intérêt et c'est ce qui le rend fascinant. Il est très bien entouré de gens qui l'aiment et il leur rend bien même si d'autres le malmènent. Il est doux et aimant mais il n'est pas comme les autres et il va se prendre pour un âne.

 

 

Comment est venue l'histoire ?

Elle est venue de plusieurs choses. Déjà elle est venue d'un dessin. J'ai eu l'idée de le faire porter un bonnet d'âne et d'en être content. Je voulais raconter quelque chose sur sa personnalité. Et puis ça a été un concours de circonstances. Il y a un peu moins de 15 ans j'ai fait un peu d'animation sur un documentaire sur des ânes. Je trouvais ça étrange qu'on me propose ça car j'en avais rien à faire des ânes. Et j'ai découvert un animal insoupçonné, extraordinaire, doux, réfléchi et qui pèse le pour et le contre de chaque chose. C'est pour ça qu'on le latte, pour aller plus vite car il prend son temps. Et c'est un animal courageux, prolétaire et pas toujours bien traité. La problématique de l'âne et de l'homme qui se prend pour un âne me plaisait.


Quel est le message ?

D'un côté j'aime l'idée de parler des gens qui ne sont pas nés dans la bonne peau. Ce n'est pas mon cas mais je trouve ça fascinant. C'est un problème qui appelle mon empathie. Je suis fasciné par la violence des gens qui naissent dans une peau qui n'est pas la leur. Mais au-delà de ça, je voulais parler de la maladie mentale. Je ne voulais pas tant parler de la problématique du transgenre que de l'enfermement, de la maladie et de la façon de se sentir bien dans sa maladie. Je voulais explorer des zones très vastes.


Pourquoi avoir voulu utiliser l'ordinateur ?

Edmond est mon premier film en CGI. Je voulais changer de technique après la stop motion et le papier découpé. Et puis la gestuelle lente des personnages du film m'a encouragé à avoir recours à cette technique. En papier découpé ce serait moins bien passé. Là l'équipe s'est adaptée et l'ordinateur a facilité les choses.

 

Qu'est ce qui vous touche le plus dans les commentaires des spectateurs ?

Mais j'avoue que j'apprécie davantage les commentaires sur l'histoire, le scénario. Ils me touchent encore plus que quand on me dit que c'est joli. J'apporte un soin particulier au graphisme, mais je suis plus sensible à l'histoire. J'adore écrire et en ce moment je crois que j'aime encore plus écrire que dessiner, je suis porté par l'histoire.

 

 

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