Xavier Gens (Interview The Divide - Part 2)

Aude Boutillon | 8 juin 2012
Aude Boutillon | 8 juin 2012

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Fort de son indépendance nouvellement acquise, Xavier Gens saisit, avec The Divide, l'opportunité de porter à l'écran ses propres visions, sans devoir se préoccuper de concessions à l'égard des studios. L'occasion d'adopter des partis-pris surprenants, et d'envisager plus sereinement la suite de sa carrière et de bien alléchants projets.

 

Un élément distingue The Divide de la plupart de ses congénères ; là où l'on attend une première partie introductive centrée sur les personnages et leur passif, tu as choisi de propulser le spectateur dans une situation brutale.

Ce qui m'intéressait, c'était d'adopter le regard du personnage de Lauren German sur le monde. Elle est témoin de l'apocalypse, puis des restes de l'humanité. C'est finalement l'histoire de sa propre perte d'humanité. Nous nous sommes beaucoup posé la question d'une scène d'introduction classique, lorsque nous avons réécrit le scénario. Nous nous sommes dit qu'une personne ne se définissait pas par son passé, mais par ce qu'elle fait au quotidien. Tous les acteurs avaient une histoire écrite, mais nous avons décidé d'oublier le monologue typique, qui n'arriverait jamais dans une situation pareille. On s'est mis en situation, en fait : on a convoqué quelques personnes du groupe, et on s'est mis à courir, dans le studio, vers le décor. Finalement, on s'est rendus compte qu'on se figurait plus ou moins qui on avait en face de soi, et qu'il était totalement improbable de partir d'emblée dans des conversations intimes, ou de demander des détails sur la vie privée de l'autre. Nous nous sommes dit que nous construirions nos personnages sur la longueur. On sait que Sam (Ivan Gonzalez) est un type lâche, encore amoureux de sa femme, qui est quant à elle au bord du précipice et ne l'aime plus, c'est évident. Beaucoup de personnes n'ont pas compris une chose : nous voulions faire du personnage de Lauren German une ancienne droguée. Nous avons consulté des médecins, qui nous ont dit que les ex junkies avaient une manie de tripoter des briquets. Nous avons donc filmé Lauren avec un briquet, mais beaucoup de spectateurs sont passés à côté de la signification de ce geste. Avec le personnage de Delvin (Courtney B. Vance), nous avons construit toute une histoire : c'était un ancien mec de la rue devenu gardien de supermarché, dont la tenue peut d'ailleurs être aperçue dans un des placards. Rosanna Arquette était une mère hippie et volage, et Milo Ventimiglia un trader arrogant. Il a même passé une journée à la Bourse de New-York, pour s'imprégner de la mentalité ambiante. Bobby (Michael Eklund), c'est un type qui vit la nuit, insouciant et extrême, c'est pourquoi il se laisse totalement dériver. Michael Biehn est un ancien pompier. Chaque protagoniste bénéficiait donc d'une histoire dense, mais que nous avons fait le choix de ne pas exposer directement, ce qui demande aux spectateurs de prêter une certaine attention. Beaucoup de critiques n'ont pas apprécié le fait de se voir privés d'une structure classique d'exposition des personnages. Je pense pourtant que ce principe, s'il est accepté, fonctionne véritablement. Dans Drive, par exemple, on ne sait strictement rien des protagonistes, et le procédé est terriblement efficace. Je ne supporte plus qu'un personnage me raconte sa vie. Dernièrement, j'ai vu ça dans MI4, où tout un passage est consacré au passé de Jeremy Renner, qui a suffisamment de charisme pour se contenter d'une phrase résumant la situation. Dans la structure narrative, il faut cesser de prémâcher les éléments au spectateur. Quand tu regardes certaines séries télévisées, à l'image de Boardwalk Empire, ils prennent le risque ne rien dire de certains personnages. Dans Duel, de Spielberg, tu ne sais rien du personnage qui conduit. Pareil dans Jaws ; à l'exception de la fameuse séquence de l'Indianapolis, qui raconte le passé de Robert Shaw, tu ne disposes de rien. Si tu n'es pas capable de tourner une scène pareille, mieux vaut encore ne rien faire, car il s'agit là de la meilleure scène d'exposition d'un personnage. Nous avions écrit une scène, pour Michael Biehn, où il racontait son parcours à Lauren German. Lorsque nous l'avons montée, nous avons décidé de nous en débarrasser. Michael était déçu, il trouvait que c'était sa meilleure scène, mais j'estimais qu'elle n'était pas nécessaire. C'est ce qu'on nous a reproché, notamment.

 

 

Certains spectateurs préfèrent peut-être se voir servir un portrait déjà dressé, ce qui ne nécessite pas d'efforts de compréhension supplémentaires.

Je trouve au contraire qu'il est plus intéressant de le construire. Un personnage a plusieurs facettes, et il est susceptible d'évoluer. Le figer dans le marbre dès le début est un piège. Je l'ai fait sur Hitman ; Olga Kurylenko avait une back story préécrite, avec laquelle elle avait beaucoup de mal. On croyait à son personnage, il n'avait pas besoin de se voir infliger une couche de pathos supplémentaire.

 

Nous n'avons dans un premier temps pu voir qu'une première version non définitive de The Divide, et plus courte d'une vingtaine de minutes. Comment as-tu obtenu la diffusion de ton director's cut par la suite ?

La version définitive n'était pas prête au moment de l'Etrange Festival. Je ne l'ai montée qu'au mois d'août, et nous n'avions pas le temps de préparer les sous-titres pour l'évènement. Au départ, les producteurs m'ont dit : « Monte le film comme tu le souhaites, à condition qu'il ne dépasse pas une durée d'1h45 ». Nous n'avions pas de distributeur, à l'époque. Nous avons dû nous résoudre à sacrifier un certain nombre d'éléments, pour rentrer dans ce format, puis présenter le film dans divers festivals. Anchor Bay nous l'a acheté sous cette forme, et nous a demandé si nous avions plus de matière. Je leur ai montré mon director's cut, qu'ils ont préféré à la version courte. La première a donc été totalement abandonnée. Je suis sorti de cette expérience ravi, en me rendant compte que ça pouvait bien se passer, parfois ! Il y a des scènes que je n'avais même pas l'espoir de voir passer en version longue, comme la scène de viol avec le crucifix. De même lorsque Milo Ventimiglia abaisse son masque sur son visage, qui ne se trouve pas dans la version courte, et qui montre que le groupe a basculé de manière irréversible. Si tu as un film classé R, qui ne va peut-être pas faire énormément d'entrées, mais qui va vraiment au bout de son propos, ça en vaut la chandelle. Anchor Bay supporte nos choix, et veut cet objet un peu arty, fait par un Européen. C'est vraiment mon film, alors que Frontière(s) et Hitman étaient davantage des films de producteurs. Bien sûr, The Divide n'aura pas le succès d'un Transformers, mais il n'a pas coûté beaucoup d'argent, donc nous pouvons nous le permettre.

 

Le film est d'ailleurs sorti, aux Etats-Unis.

En effet, il est sorti dans quelques villes : New York, Los Angeles... Je pense que le DVD devrait bien marcher. Les Américains anticipent les ventes de DVD, avec un système de pré-commandes sur le site d'Anchor Bay en l'occurrence. C'est visiblement leur plus gros chiffre depuis le lancement de la compagnie (Lors de la première semaine de sa sortie en DVD en Amérique du Nord, The Divide a caracolé en tête des ventes, NDLR). Ca m'aide aussi à reprendre confiance en moi. En sortant d'Hitman, j'étais détruit. Je me disais que je ne voulais plus travailler dans un domaine pareil, d'autant que le film porte ton nom, et tu dois en rendre compte à la presse, même s'il s'agit d'un produit de consommation qui t'a complètement échappé. Je pense qu'il y a un manque de discernement sur ce qu'on va voir au cinéma. Certains films sont de vraies œuvres d'art, et d'autres de purs produits. Concernant Hitman, je suis tombé dans le piège de ma propre naïveté, en faisant malgré moi un film commercial, sans m'en apercevoir. Finalement, cette expérience m'a appris beaucoup. Notamment à parler anglais !

 

 

De quoi te dissuader de tourner des films en France ?

Non, à vrai dire : j'ai un projet en France, « Les Authentiques », adaptation de la vie de deux personnes qui avaient volé des tableaux de Monet et les ont revendus à des yakuzas, au Japon. Cette année, « House of Horror » doit démarrer, mais prend un certain temps. Un autre projet, « Cold Skin », est en financement. Enfin, « Le serment des limbes » l'est également.

 

Et le fameux segment d'ABCs of Death !

En effet. Je l'ai tourné en décembre dernier. Il dure 6 minutes, et tout ce que je peux dire pour l'instant, c'est que c'est une critique de la publicité, mais je ne peux dévoiler la lettre qui m'a été attribuée ! Nous n'avions pas beaucoup de budget, mais ça m'a l'air assez barge, d'après ce que j'ai pu voir.

 

Tu as aussi disposé de beaucoup de liberté.

Complètement. J'ai écrit le scénario dans un aéroport, avant de partir au festival Afterdark, à Toronto, en octobre. Les films sont tournés un peu partout dans le monde, c'est un projet assez dingue. Le résultat va être très spécial, j'ai hâte de le voir.

 

Comment es-tu arrivé sur le projet ?

Par Facebook ! Un des producteurs m'a envoyé un message, c'était aussi simple que ça. Je pense qu'ils ont tout fait ainsi, sans passer par les agents des réalisateurs.  Ce film s'est fait de manière très officieuse ; le budget était dérisoire, et nécessitait des tournages d'une journée, où tout le monde demandait l'aide de ses potes. Comme il n'y avait pas d'argent en jeu, tout le monde se faisait plaisir. Nous avons utilisé des litres et des litres de faux sang, à la fin de la journée, il y en avait partout ! Jamais je n'aurais pu m'autoriser ça sur un film normal.

 

Une année bien chargée, donc.

Espérons. Le financement prend beaucoup de temps. C'est comme à la Bourse, il n'y a pas de certitudes, et beaucoup d'attente. Il faut toujours écrire et avoir de nouveaux projets sous la main. Peut-être que ça se stabilise après un gros succès commercial...!

 

 

 

Un grand merci à Xavier Gens pour sa disponibilité... et son honnêteté !

 

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