Patrice Leconte (Le Magasin des suicides)

Nicolas Thys | 7 juin 2012
Nicolas Thys | 7 juin 2012

Réalisateur français avec à son actif des films comme Les Bronzés, Monsieur Hire, Tandem, La Fille sur le pont ou Ridicule, Patrice Leconte réalise avec Le Magasin des suicides, son premier film d'animation, l'adaptation d'un roman de Jean Teulé. De passage au festival d'Annecy pour le présenter, nous avons pu le rencontrer. Le film devrait sortir en France le 26 septembre 2012.

 

 

Vous sentez vous proche du cinéma d'animation ?

Oui, quand la proposition m'a été faite de diriger ce long-métrage, ça ne m'a pas semblé absurde. Je ne sais pas comment le producteur a pu le savoir mais en dehors du fait que j'ai fait de la bande dessinée, que j'aime dessiner, je connais assez bien le cinéma d'animation, les courts ou les longs-métrages. Je ne me suis pas du tout senti étranger mais plutôt comme un poisson dans l'eau.


Quels sont les films que vous aimez par exemple ?

On peut remonter jusqu'au Yellow Submarine de George Dunning car j'adore le travail graphique de Milton Glaser qui a fait le design de tout le film. C'est une pure splendeur. Et il y a ce chef-d'œuvre indétrônable, L'Étrange Noël de monsieur Jack. Personne ne pourra faire mieux. Valse avec Bachir me touche énormément aussi et, pour moi, le scénario de Monstres & cie est une merveille. Cette liste part dans de nombreuses directions mais c'est ça aussi l'animation. Il y a deux ans, j'ai fait parti du jury des courts-métrages et j'ai vu des tonnes de courts-métrages. C'est dans ces moments qu'on se rend compte de la diversité, de l'inventivité, de l'incroyable créativité de l'animation, plus que nulle part ailleurs.


Y a t-il une grande différence entre la réalisation d'un film d'animation et d'un film non animé ?

Pas vraiment, un film d'animation ça se met en scène également, même s'il n'y a pas de tournage sur un plateau avec une caméra. On prévoit le découpage, le point de vue, la manière de raconter, le rythme et la manière de diriger les comédiens. C'est parallèle et assez proche du cinéma traditionnel. La seule chose qui me manque et la seule différence énorme, c'est que quand on fait du cinéma en prises de vues réelles, les émotions sont immédiates. On fait un plan, l'acteur joue et on capte tout immédiatement et on n'a plus qu'à passer au plan suivant. Le rapport humain et émotionnel est irremplaçable. Avec l'animation, il faut que le film soit terminé pour se rendre compte de l'allure générale, on n'est pas payé tout de suite du travail fait. Il faut être patient comme quand on fait de la laque chinoise.

 

 

Quand vous parlez des comédiens, s'agit-il des voix ou de la manière dont les personnages dessinés se meuvent ?

Les deux. La direction d'acteurs ce sont d'abord les voix, évidemment puisqu'on fait les voix avant toute chose alors qu'on a pas encore d'image. Il faut absolument savoir ce qu'on veut. Mais la direction d'acteurs s'exerce aussi sur la gestuelle des acteurs dessinés sur papier, sur ces acteurs qui n'existent pas en chair et en os. Il faut communiquer aux animateurs l'élégance ou la mollesse du geste, ou ce qu'on attend pour que l'animateur le communique à ces acteurs virtuels. Parfois j'ai dû mimer des choses pour être plus explicite.


Etiez-vous souvent en contact avec l'équipe du film ?

Avec l'équipe de base, les directeurs artistiques, les storyboarders, les animateurs principaux, on avait rendez-vous tous les vendredi pour faire le point et on passait la journée à travailler. Ensuite je rendais parfois visite aux studios d'exécution à Liège, Montréal ou Angoulême mais c'est plus pour le plaisir de passer et pour soutenir le moral des troupes. Quand je voix ces jeunes gens vissés devant leur ordinateur à faire des choses auxquelles je n'entends rien, en aucun cas je ne peux être au-dessus de leur épaule pour conseiller ceci ou cela. A ce stade de la technique, je suis largué, je me rends compte que c'est très compliqué et je ne peux plus agir mais ce n'est pas grave.


Vous voyiez donc régulièrement ce qui était tourné ?

Oui, toutes les semaines on voyait le film en cours de fabrication. Parfois on recevait les premiers éléments de l'animation, des bribes de séquences avec des éléments non encore incorporés au décor. Et j'étais là tout le temps, surtout aux moments où on peut encore agir et modifier des choses, même si la marge de manœuvre est plus étroite. Cela peut paraître envahissant mais je ne voulais pas que quoique ce soit se passe sans moi. Je voulais être tenu au courant de tout, qu'on me montre tout, pas pour le plaisir de valider chaque chose avec un tampon « lu et approuvé » mais pour être sûr que le film soit comme ce que j'avais en tête.

 

 

Vous avez vous-même fait des propositions graphiques ?

Un peu, des croquis pour les véhicules par exemple, car on gagnait beaucoup de temps en faisant ça. Mais face à l'équipe composé de très bons dessinateurs, j'étais un nain. On a des complexes quand on est un autodidacte du dessin, mais je m'en fichais car c'était beaucoup plus pratique de communiquer certaines choses par les dessins. Pour les personnages principaux, je les ai longuement décrit dans des fiches puis on me faisait une première proposition et je leur disais que je les voulais plus comme ci, moins comme ça et de corrections en corrections on est arrivé au résultat final. Pour les personnages secondaires, les « figurants » l'équipe en a dessiné beaucoup et j'ai pris ceux qui m'intéressaient, comme un casting.


Et pour les décors, vous vous êtes inspiré de Paris ou d'autres villes ?

C'est un peu un mélange. Il y a des villes comme Le Havre que je connais un peu. Elle a été reconstruite après la guerre de manière un peu sinistre, raide, sérieuse mais nous n'avons pas fait de photo là-bas. La ville c'est plutôt Paris mais en fait je voulais une ville triste, dans les tons gris/bleus pour que le seul élément coloré soit le magasin des suicides qui ressemble un peu à un magasin de farces et attrapes. Et je me suis beaucoup promené dans le 13ème arrondissement de Paris qui est un arrondissement dont certains immeubles ont une architecture raide qui me plaisait beaucoup pour l'ambiance.


De quand date le projet ? Et pourquoi avoir voulu adapter le roman de Jean Teulé ?

Ca fait 4 ans à un mois près que le producteur, que je ne connaissais pas, est venu me trouver pour me proposer Le Magasin des suicides. Je connaissais le livre, j'aime beaucoup Jean Teulé qui est même un ami. Mais je pensais que le livre n'était pas adaptable et quand le producteur m'a parlé d'un film d'animation, j'ai trouvé ça brillant. Cela décale les choses et j'ai accepté tout de suite. L'idée de l'adaptation ce n'est pas moi qui l'aie eue, l'idée d'en faire un film d'animation non plus. Mais les producteurs sont aussi là pour avoir des idées à notre place !


Pourquoi pensiez-vous que le livre n'était pas adaptable ?

Je pense qu'en prises de vues réelles, j'aurais été victime d'une forme d'autocensure, je n'aurais pas osé aller trop loin. Avec des vrais gens et une image naturaliste en filmant des rues, des auto, ça aurait été tellement vrai avec notre vie et nos désespoirs quotidiens que ça n'aurait pas été supportable. Ou alors il aurait fallu le tourner entièrement dans des décors comme chez Burton, mais il aurait fallu un budget faramineux. L'animation propose un monde à part et on peut aller plus loin dans la noirceur joyeuse du film.


Et plus loin dans l'exagération ?

Oui, pas besoin d'avoir froid aux yeux, on peut aller jusqu'au bout des choses en animation car c'est un monde quasi virtuel. On peut dessiner des choses affreuses qu'on ne pourrait pas filmer en vrai. Mais on s'est interdit une chose : le sang. Un mort est un mort, et on ne se voile pas la face, qu'il se fasse sauter le caisson, qu'il se pende ou qu'il boive du poison, mais on ne voulait pas de sang et on n'en voit pas une goutte, c'est mieux. Un type qui attend un bus sur la chaussée pour se le prendre de plein fouet, si on doit montrer le devant du bus avec les lambeaux de chair ou le type sanguinolent, c'est affreux. Je ne voulais pas faire un film gore. Il y aurait eu une complaisance à vouloir montrer les viscères. Ce n'est pas nous et ça n'aurait rien apporté au film.

 

 

Pourquoi avoir choisi une fin différente entre le livre et le film ?

J'en ai beaucoup parlé avec Jean Teulé qui me racontait que tout le monde était contre sa fin à lui. Sa compagne, ses amis, les lecteurs, tout le monde. Il n'y a que lui qui voulait vraiment cette fin. Et ça n'a pas nuit au succès du livre. Mais c'est inadmissible et tellement triste et désespéré d'imaginer que le petit Alan, qui part en chasse contre le suicide et la morosité finisse par se jeter du haut d'un immeuble... Ce n'était pas possible ! Et Jean m'a dit : « c'est ton film, tu fais ce que tu veux » et plus je prenais de libertés, plus il était content et bienveillant. J'ai inventé pas mal de choses et il me disait même parfois qu'il aurait aimé avoir cette idée. Quand il a vu le film fini il m'a dit : « C'est parfait car c'est vraiment ton film mais sans mon bouquin tu n'aurais pas pu le faire ! » C'est une adaptation à la fois fidèle et infidèle mais de toute façon, je ne voulais pas être un illustrateur mais un adaptateur. Mettre en images un livre en le suivant point par point ça ne m'intéresse pas.


Vous avez choisi d'aller volontairement vers l'autre extrême ?

Oui ça m'amuse beaucoup cette fin. Je voulais que ce soit énorme et qu'on ait un côté too much dans la joie de vivre finale, comme dans une fable. C'est cette exagération qui me plait car on évite une conclusion trop cul-cul la praline. Si on avait quelque chose de réaliste avec un petit bonhomme qui fait son discours : « la vie est belle, profitons-en », ça aurait été chiant. Là, le message est le même mais au moins c'est kitsch.


Et la musique ?

Avec Étienne Perruchon, on est sur la même longueur d'onde et je savais qu'il n'irait pas timidement faire une musique discrète mais qu'il oserait aller au bout des partis pris. Par exemple, quand le piéton monte pour avaler une fiole de poison, la chanson est d'une telle tristesse et d'une telle noirceur, on est pile dans ce que je veux raconter. On m'a dit hier : « vous ne respectez pas la mort, vous lui rentrez dedans c'est ce qui faut faire », et je trouve ça bien !


Comment s'est passée votre collaboration avec Étienne Perruchon ?

On avait déjà écrit d'autres chansons ensemble mais là c'était un vrai travail en commun. J'écrivais les paroles dans mon coin, je lui décrivais où ça allait intervenir dans le film et la tonalité de la musique et puis on s'appelait, car lui est à Annecy et moi à Paris, il me jouait le thème au piano et on corrigeait le thème ou les paroles jusqu'au résultat final. Mais j'adore travailler avec lui car on se complète bien, on n'a pas besoin de se parler beaucoup pour savoir ce que veut l'autre.


Où vous situez-vous par rapport aux personnages ?

Un peu dans la famille Tuvache comme dans Alan. On n'est pas monochrome. J'ai déjà exprimé des choses positives, lumineuses ou joyeuses dans mes films comme des choses noires. On a tous une zone d'ombre et je vis très bien avec elle. Si je n'étais qu'ombres et pensées noires, je ne tournerai pas rond, si j'étais dans un état de fantaisie permanente, ce serait ennuyeux.


Après cette expérience, referiez-vous un film d'animation ?

Un nouveau projet est déjà lancé, sur un scénario original. Là on en est à la recherche des personnages, c'est reparti pour 4 ans !

 


 

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