Entretien avec Patrick Bouchard pour Bydlo

Nicolas Thys | 5 juin 2012
Nicolas Thys | 5 juin 2012

L'ONF/NFB (Office National du Film/National Film Board) est une structure financée par l'état, née en 1939 sous l'impulsion du documentariste John Grierson puis de l'animateur Norman McLaren. Depuis plus de 70 ans, ils produisent et accueillent des documentaristes, cinéastes expérimentaux et animateurs de tout horizon dans un cadre de travail unique. Vous pouvez consulter en ligne des centaines de titres gratuitement sur leur site www.onf.ca

Cinéaste d'animation canadien, Patrick Bouchard est en compétition officielle cette année à Annecy pour son film Bydlo produit par l'ONF (plus de détails sur la fiche film et la bande-annonce en suivant ce lien). Nous l'avons rencontré pour lui poser quelques questions sur son parcours et la réalisation de son court métrage, très particulier mais d'une beauté à couper le souffle.

 

   

 

Comment être vous arrivé à l'animation ?

J'ai commencé par faire un bac interdisciplinaire en arts à l'université. Là, on touchait à tout : cinéma, peinture, sculpture, théâtre, musique, etc. Et pour moi, le cinéma d'animation rend compte de cette profusion des disciplines. On peut mettre en pratique le dessin, la sculpture, la mise en scène, etc. C'est un médium qui se rapproche des arts visuels et du cinéma. Mais j'ai aussi fait d'autres choses comme de la sculpture sur neige pendant plusieurs années pour des concours au Québec. On prend des gros blocs de 4 mètres sur 4 mètres, on les sculpte en quelques jours. J'ai beaucoup pratiqué la musique également, et j'en suis naturellement arrivé à l'animation qui m'a toujours fasciné. J'avais envie d'en faire j'ai pu à l'université.


Vous avez essentiellement fait des films de marionnettes...

Oui, le lien est logique pour moi par rapport à mon parcours. J'ai donc d'abord réalisé mon film de film d'étude en 1998 : Jean Leviériste, l'histoire inventée d'un type dont le travail est d'actionner un levier et il fait a toute sa vie. Le film a été remarqué par un producteur indépendant, Alain Corneau qui a fait le lien avec Pierre Herbert qui était le producteur exécutif de l'ONF à l'époque. Puis Pierre Hébert s'est intéressé à mon travail et Marcel Jean, qui connait bien Pierre Hébert, a pris le relai. J'ai été chanceux, je suis vite arrivé à l'ONF avec des gens extraordinaires. J'ai été très bien appuyé, encadré. Marcel a été un producteur déterminant dans ma carrière. J'ai donc fait un premier film là-bas : Les Ramoneurs cérébraux. C'est un des seuls films de l'ONF qui ne s'est pas fait dans les studio mais dans ma région natale, le Saguenay.

 

Pourquoi hors des les studio ?

L'ONF avait initié un projet pilote. Ils sont installés à Montréal et ils voulaient aller dans les région et éjecter argent dans région pour développer projet hors du noyau central. C'est une excellente idée mais on s'est rendu compte que la production était compliquée et que ça revenait plus cher donc mes autres films ont été fait dans les studios. J'ai ensuite réalisé Dehors novembre, scénarisé par Marcel Jean. Puis Révérence en 2008 qui devait être une coréalisation mais que j'ai finalement réalisé seul. Et maintenant Bydlo.

 

 

Ce sont des films de marionnettes. Vous vous êtes essayé à d'autres types de techniques ?

Entre mes films, je fais souvent des essais. Par exemple en 2002 j'ai fait un petit film sur 4 jours en pixillation. C'est toujours du volume. Le dessin animé m'intéresse mais je n'ai pas eu l'occasion tout simplement. Puis on m'a étiqueté et je me suis inscrit dans un style, j'ai difficulté à me détacher de ça mais je dis pas que je ne le ferai jamais.


Que signifie Bydlo ? D'où vient le projet ?

Littéralement je crois qu'en polonais ça veut dire « bétail ». C'est d'abord un des Tableaux d'une exposition, une suite de dix tableaux peints qui ont donné lieu à des pièces de musique écrites par Moussorgski. Et ce tableau représente un bœuf sous le joug. Quand on écoute la pièce, qui est un poème symphonique, on entend la force, la puissance, la lourdeur de l'animal. On le sent fortement et c'est le moteur du film.

 

Pourquoi cette adaptation ?

Ca remonte à 1986 lors d'un cours de musique à l'école secondaire. Mon professeur parlait des poèmes symphoniques et pour nous donner un exemple nous avons écouté Bydlo de Moussorgski. Il fallait fermer yeux et imaginer l'animal qui marche. Ca a été l'élément déclencheur. Quelque chose a été semé en moi qui a germé avec le temps. Je ne pensais pas vraiment pouvoir faire un film avec ça mais c'est extraordinaire qu'une musique soit aussi imagée. Puis l'idée a suivi le cours des années. J'ai présenté à Julie Roy, ma productrice à l'ONF, plusieurs idées de films dont Bydlo qui a piqué sa curiosité. Je lui ai conseillé d'écouter la musique mais pour le moment je n'avais pas la matière pour en faire un film. Ce que je voyais dans ma tête c'est bœuf qui tire une charrette, simplement le bœuf qui tire et qui s'en va. Et l'impression du joug sur le bœuf car on sent une marche dans le rythme de musique : la lourdeur des cuivres, des tuba, etc...

 

 

Vous n'aviez pas de scénario ?

Non, l'essence est là mais il fallait scénariser. Il ne faut pas faire un film simplement avec ses tripes, il faut une histoire. J'ai donc travaillé avec une scénariste, Cynthia Tremblay, qui vient de la même région que moi. Elle a lancé des idées et elle m'a amené à avoir des images et des idées plus précises. En fait le film est né quand j'ai vu le bœuf sortir de terre, la manipulation de la mtière, la sculpture de cet animal imposant. Ca a été le plus gros déclencheur. L'autre élément a eu lieu au festival de courts-métrages en Trouville-sur-Mer. Ils faisaient beaucoup de Kino et là-bas j'ai pu prendre un bloc d'argile et improviser à partir du bloc, m'éloigner de la marionnette, saisir la matière et la transformer à volonté pour en faire un petit film. Ca a donné Talon d'argile tourné en une après-midi à partir de 666 photos (le nombre est un pur hasard) et prêt à être montré le lendemain. Malgré sa très courte durée il a très bien marché en festival. C'était intéressant et émouvant de voir cette matière bouger et se métamorphoser.

 

Les marionnettes de Bydlo sont faites en quelle matière ?

C'est de la plastiline, un mélange d'argile et de soufre qui donne une pâte qui ressemble à la plasticine sauf qu'elle réagit beaucoup plus à la chaleur, elle peut fondre jusqu'à devenir très liquide. Ce n'est pas la meilleure matière pour l'animation car elle casse facilement, la plasticine est plus flexible. Mais sur certaines scènes, j'ai plus de 50 personnages à animer donc c'était beaucoup plus simple pour faire des tirages à partir de moules et créer de nombreux personnages. Et l'armature des marionnettes est très simple, un simple fil de fer.


Et comment a été fait le bœuf ?

J'en ai fait deux. Un à une échelle pratiquement grandeur nature pour les gros plans essentiellement car il fallait aller chercher la texture et la matière et on va la chercher dans les détails. Et puis une marionnettes plus petite pour le reste du film et filmer l'animal en entier.


Est ce la première fois que vous utilisez de la plastiline ?

Oui, c'est la première fois. Avant j'utilisais simplement une armature de métal et les membres étaient faits avec une sorte de pâte magique, un peu comme celle qu'utilise les enfants. C'est une matière légère et qui sèche facilement.

 

 

Vous avez créé les marionnettes directement à l'ONF ? Et les décors ?

Oui, on fait tout nous-mêmes. Pour les décors, je mets d'abord sur papier ce que je veux, je vais des propositions esthétiques et le décorateur, Dany Boivin, fait le plein technique. Il choisit les matériaux de construction, la taille du décor, les entrées, sorties, etc. Par contre la décoration générale comme les couleurs, et les accessoires c'est un travail en commun car je considère que c'est le choix artistique du réalisateur. Et pour les marionnettes, j'ai sculpté en quelque sorte les marionnettes 0 : un enfant, une femme, un homme maigre, un normal et un corpulent. Je commande ce dont j'ai besoin. Ensuite j'ai fait appel à Claire Brognez, une française de passage à Montréal, qui a réalisé les moules et les tirages.


Et pour l'animation ? D'habitude vous êtes seuls et là vous étiez deux...

Oui, c'est une collaboration qui aurait pu être difficile. J'en ai déjà eu, et pas seulement pour l'animation. Pour moi le geste d'animer fait le film, c'est donc le travail de l'artiste et j'ai des difficultés à déléguer ce travail que j'aime faire seul. J'ai mon biorythme et ma propre façon d'animer. Mais pour Bydlo, le travail était trop colossal. J'ai essayé mais ce n'était pas possible. Une production, il faut que ça se termine, on ne peut pas éternellement tirer, tirer, tirer et exploser les budgets. Nous avons donc fait appel à Pierre Trudeau que je connaissais déjà. C'est quelqu'un de très réservé et de talentueux qui a plusieurs films à son actif. En plus d'être très expérimenté, il est à l'écoute, il n'a jamais cherché à prendre les commandes. Je n'ai donc pas eu à me battre avec un autre réalisateur mais à collaborer avec quelqu'un qui cherchait à rendre ce que je voulais avoir. C'était extraordinaire, une collaboration presque en tout point parfaite.


Comment avez-vous partagé le travail ?

Déjà je m'occupais de la mise en scène. Et je gérais les personnages que je voyais clairement, les principaux. Et sinon pour les scènes de bataille un petit jeu s'est instauré entre nous. On interagissait, on faisait moitié moitié. On communiquait à travers nos personnages et nos actions. Les siens battaient les miens et je prenais ma revanche. C'était très drôle, on s'amusait beaucoup. Pierre Trudeau est un homme qui parle peu et on parvenait à s'exprimer de cette façon.

 

 

Pour la musique vous avez travaillé avec Robert M. Lepage. Comment ça s'est passé par rapport à la pièce de Moussorgski ?

En cours de production, à la mi tournage, ça n'allait plus. Le scénario de départ ne rentrait pas dans le timing de la musique. Sur papier ça marchait bien, mais concrètement ce n'était pas possible et j'avais beau essayé de monter, ça ne rentrait pas. Par exemple, je voulais dire quelque chose à l'image, ça devait me prendre une minute en temps de film et il ne me restait que 10 secondes de musique. Donc je me suis dit : qu'est ce que je fais ? Est ce que j'oublie totalement la musique et je fais autre chose avec ce que j'ai déjà tourné ? Mais je me suis rendu compte en discutant avec Julie Roy, Marcel Jean et d'autres, que je ne devais pas faire le film pour la pièce musicale mais que je devais adapter cette pièce déjà existante à mon film. Je ne devais pas faire de l'illustration musicale. Une fois que j'ai compris ça et que je l'ai assumé, ça a été une révélation. On a simplement pris la musique d'origine, pour la triturer et la démolir et faire en sorte que le film fonctionne. Le film est découpé en trois parties : d'abord le bœuf émerge, puis les hommes sortent de terre et le chaos s'installe, et enfin la sécheresse et la fin. D'une part, pour la première partie, nous avons ralenti la musique par rapport à la pulsation d'origine d'environ 1/3. Ca donne quelque chose d'assez différent de l'orchestration de base de Maurice Ravel que nous avions choisie. Puis, pour la suite, nous avons voulu faire dérailler la musique : le chaos arrive, on part dans une autre direction. On a gardé la sonorité d'origine, les cuivres, la puissance mais on la triture pour amplifier la lourdeur et la douleur.


A quel moment du tournage la composition a t-elle été réalisée ?

Pratiquement à la fin du tournage. Je savais ce que je voulais, j'arrivais à la visualiser mentalement. Mais attention, je n'ai rien écrit. Robert M. Lepage faisais des propositions que nous discutions.

 

 

On a aussi une grande musicalité des sons...

Oui on a travaillé le son comme la musique : gros, immense. Tout devait être plus grand que nature et donc on a cherché à faire un bruit de chaînes lourd. Je travaille beaucoup avec Olivier Calvert qui est un véritable artiste du son et avec ma sensibilité, on se complète bien. Pour moi le son du film est son second langage, il est primordial et il aide à la compréhension. Et bien sûr la musique, la relation entre musique et cinéma d'animation semble logique, elle va de soi et ce sont deux choses que je porte profondément en moi.


Faites-vous un storyboard ?

Non, je ne travaille pas avec un storyboard. Alors bien sûr, c'est l'assise du film, pour la production. On doit avoir une ligne directrice mais je fais plutôt des propositions visuelles de chaque scène. Le découpage se fait au fur et à mesure, surtout lorsqu'on travaille sur une pièce musicale à la base.


Aviez-vous la volonté de faire passer un message politique ou autre avec Bydlo ?

On a toujours ce genre de volonté mais je ne veux pas que ce soit trop visible ni marqué. Ma volonté était d'abord de parler de l'homme, de ce qu'on est mais en restant assez général. Je ne cherche pas à coller à l'actualité mais je veux simplement énoncer une idée de l'homme et de son évolution. Le message a proprement parler, l'interprétation du film, je la laisse à chaque spectateur.

 

 

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