Rencontre avec Geoffrey Enthoven (Hasta la Vista)

Aude Boutillon | 6 mars 2012
Aude Boutillon | 6 mars 2012

Ce mercredi 7 mars, Hasta la Vista débarque sur nos écrans. Ce petit concentré d'émotion et de bonne humeur, déjà récompensé par le Prix du Public à l'Alpe d'Huez, narre les périples d'une bande d'amis handicapés bien décidés à assouvir leurs désirs au terme d'un road trip haut en couleur avec l'Espagne pour destination. A la sortie de la projection du film, nous avons pu discuter avec son réalisateur, Geoffrey Enthoven.

 

 

Hasta la Vista trouve son origine dans un documentaire centré sur un tétraplégique ayant voyagé jusqu'en Espagne pour goûter aux plaisirs d'un bordel. « Cette histoire était aussi drôle que triste. Nous avons cherché à établir un contact avec le principal protagoniste, quelqu'un de très positif. Il nous a beaucoup inspiré par sa joie de vivre ; c'est à travers lui que nous avons su que le film devrait être une comédie ».  Il devient dès lors indispensable de s'interdire de parler de handicaps, mais d'une bande d'amis frustrés. « Lors de mon année Erasmus, j'ai réalisé un documentaire sur une femme dont les muscles fondaient petit à petit. Elle avait 29 ans, et elle était pleine de vie. Lorsqu'elle rêvait, elle se voyait toujours comme une personne normale. C'est ce que j'ai voulu transmettre dans la scène du rêve, dans Hasta la Vista. J'ai montré le film à une association d'handicapés, et nous avons eu des retours très positifs. Il n'était en aucun cas question de parler de revendications pour les personnes handicapées. Après tout, ce sont juste des jeunes qui veulent niquer ! ».

Difficile, en ces temps de succès de comédie bien de chez nous mettant en scène un handicapé moteur, de ne pas avoir un autre film à l'esprit. « Intouchables ? Je l'ai trouvé fantastique. Je ne sais pas si la concordance de nos sorties jouera ou non à mon avantage. Je crains un peu que le public, avant de voir mon film, ne fasse un raccourci facile, en l'assimilant immédiatement à une comédie sur les handicapés ».

Le succès de Hasta la Vista doit beaucoup, comme son réalisateur l'explique, à Claude Lelouch, qui, de passage à Montréal, découvre par hasard le film de Geoffrey Enthoven. « Après la projection, il est venu me voir. Il avait un véritable coup de cœur, il voulait absolument l'avoir en France. Après cela, d'autres pays ont manifesté leur intérêt. Le succès a été exponentiel, à partir de là ».

 

 

Cette comédie grinçante devait à l'origine être interprétée par des personnes atteintes de handicaps réels. « Nous nous sommes intéressés aux programmes spécialisés, composés de ces personnes, qui ont de véritables talents. Le casting a duré un an et demi. Ces gens nous ont beaucoup inspiré, mais seul un d'entre eux convenait pour l'interprétation. De plus, si nous n'employions que des handicapés, nous craignions de nous limiter à répéter le documentaire ». Geoffrey Enthoven se tourne alors vers Gilles De Schrijver et Robrecht Vanden Thoren (interprétant respectivement les personnages de Lars et Philip), déjà habitués à fouler les planches du théâtre ensemble.

Hasta la Vista fonctionne essentiellement grâce à l'alchimie opérant entre ses jeunes acteurs, tous convaincants et particulièrement émouvants. Le tournage n'a, en l'espèce, pas laissé lieu à beaucoup d'improvisation. « Nous faisions des lectures avec les acteurs, qui apportaient parfois de nouvelles idées. Sur ce tournage, qui a duré 36 jours, nous avions très peu de moyens ; nous avons donc employé tout ce qui avait été tourné ». Geoffrey Enthoven n'a par ailleurs pas eu recours au storyboard. « Je ne fais jamais de découpages. Je vois sur place ce qui doit être fait. Autrement, le tournage devient un véritable enfer. Il faut laisser une certaine liberté aux acteurs ». Des acteurs qui ont occupé une place de choix dans le développement du film : « Mes priorités, ce sont le scénario et les acteurs. Le reste n'est que secondaire. Si la première pensée que vous avez à la vision d'un film concerne la beauté de l'image, c'est qu'il est raté ».

Le personnage de Philippe aura particulièrement marqué par la crédibilité de son immobilisme. « Certaines personnes y croyaient, raconte le réalisateur. Robrecht Vanden Thoren a décidé de rester dans une chaise roulante durant six semaines. Il a été très marqué par les regards de pitié qu'il provoquait. Quand il avait un souci, il se levait et sortait de sa chaise, les gens n'en croyaient pas leurs yeux ! La personne dont il s'est inspiré pouvait bouger sa tête, mais lui tenait à plonger son personnage dans l'immobilité totale. Il a essayé beaucoup de mouvements, pour trouver le maximum de crédibilité. C'est très important. Dans Intouchables, par exemple, certains mouvements ne sont pas toujours cohérents ».

 

 

Lorsqu'on lui demande son opinion au sujet d'une affiche un rien trompeuse, mettant plus l'accent sur un humour potache que sur l'aspect dramatique omniprésent dans le film, Geoffrey Enthoven répond : « L'affiche a vocation à vendre le film, nationalement et internationalement. Nous avions initialement créé une autre affiche, où une silhouette de femme prenait la forme d'une route, sur laquelle on voyait le bus et des chaises roulantes. Finalement, la nouvelle attirera plus de monde. Cela me convient, du moment que le film est vu ».

Devant l'engouement général pour un cinéma flamand d'une vigueur redoutable, le réalisateur a une explication très simple. « Nous sommes tous issus d'une même génération. Dans les années 90, tous les regards étaient portés vers le Danemark, qui était devenu populaire aux Etats-Unis ». Au sujet d'une prétendue rivalité entre cinéastes wallons et flamands, le réalisateur est catégorique : « Elle n'existe pas. En réalité, les gens ne se disputent, car dans les faits, ils habitent quasiment dans deux pays différents. Ils partagent juste un passé commun. Les films des frères Dardenne ont même plus de succès en Flandres qu'en Wallonie ».

 

 

Lorsqu'on l'interroge sur ses futurs projets, Geoffrey Enthoven reste pragmatique. « Je suis encore occupé par Hasta la Vista, pour l'instant. J'ai trois projets de tragicomédies en développement, dont un en Flandres. Un autre est une coproduction canadienne. C'est l'histoire d'un type qui déteste sa vie. Un jour, une femme lui envoie une lettre pour lui dire qu'elle n'a jamais oublié la romance qu'elle a vécue avec lui. Seulement, il y a erreur sur l'identité, mais il accepte son invitation sans lui révéler qu'il est en réalité le frère de l'homme en question. Ce film aura un humour très sombre ». Cet humour belge tout particulier, il y trouve une raison radicale : « La Belgique est un pays divisé en deux pays. Elle n'a pas de fierté de soi, c'est pourquoi nous avons cette capacité à rire de nous-même ».

 

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