Joe Dante : l'nterview carrière (3ème partie)

Aude Boutillon | 8 juin 2011
Aude Boutillon | 8 juin 2011

Troisième partie de notre entretien avec Joe Dante, dont les déconvenues artistiques atteignent un sommet en 2003, avec des Looney Tunes qui permettent à leur réalisateur de donner le fond de sa pensée au sujet des studios américains. Et pas de place pour la langue de bois ! Nous avons ensuite invité Joe Dante à dire quelques mots au sujet d'individus ayant occupé une place conséquente dans sa carrière comme dans sa vie.

 

 

LES LOONEY TUNES PASSENT A L'ACTION - 2003

Les Looney Tunes ont été une regrettable erreur de ma part. Je l'ai fait parce que Chuck Jones (créateur de nombreux personnages de la série des Looney Tunes, NDLR) venait de décéder, et je tenais à m'assurer qu'ils ne massacreraient pas les personnages, ce qu'ils avaient fait dans Space Jam et qui avait contrarié Chuck. Il y avait beaucoup d'argent en jeu, et la technologie était incroyable, très intéressante, plus sophistiquée que sur Roger Rabbit. C'était excitant. Mais tout le déroulement a été parasité par les décisions du studio, qui n'avait aucune confiance dans le film, qui ne savait pas si ça allait être drôle ou non, qui continuait de modifier le début, le milieu, la fin. Au final, le film est sorti, mais il était très éloigné du script sur lequel j'avais accepté de travailler. Ca a été un processus très contentieux pour un film de Bugs Bunny, il y a eu énormément de disputes, ça n'était pas une expérience agréable. Ca n'est pas ce que ç'aurait pu être.

Et le casting ?

Il était très bien. Brendan Fraser est une de ces rares personnes qui parviennent à vous convaincre qu'elles regardent quelque chose qui n'existe pas, en réalité. C'était très agréable de travailler avec lui, même vis-à-vis des studios. Quelqu'un du studio m'a dit que c'était un film qu'il n'irait pas voir au cinéma, je lui ai demandé « dans ce cas, pourquoi me demandez-vous de le faire ? ». C'était comme ça que ça marchait.

Après cela, il y a un grand vide dans votre carrière.

Le film était un énorme flop. Quand vous faites un film qui a coûté aussi cher et qui fait un tel flop, ça se remarque (rires). Dans le métier, on parle de « prison de films ». Vous faites un film qui ne rapporte rien, vous allez en « prison de films », et personne ne veut vous embaucher, parce qu'ils ne veulent pas du mec qui vient de faire ce gros bide. Quelques personnes ont réussi à surpasser ça. Au final, vous êtes aux yeux des gens de la même valeur que votre dernier film, donc vous essayez de travailler à nouveau.

Regrettez-vous de n'avoir jamais écrit les scripts de vos films ?

Ca ne fait pas tant de différence que ça. Ils s'en fichent, de la personne qui peut écrire le film. Il y a 25 personnes qui travaillaient sur le script des Looney Tunes, et une seule a été créditée. Au final, ils vous disent quoi faire et vous devez le faire. C'est ainsi que ça marche. Et puis je n'écris pas bien ! Autant embaucher quelqu'un qui le fait mieux. Sur Masters of Horror, j'avais les idées, et Sam Hamm écrivait, même si je suggérais des choses, et ça a marché.

En France, pour certains, on ne peut pas être réalisateur à moins d'être aussi le scénariste.

Non, on ne peut pas être auteur (en français) à moins d'être scénariste, et je suis d'accord avec ça. Aucun de mes films ne dit « un film de Joe Dante », parce que je ne fais ni l'écriture, ni la photographie.

Mais on peut le voir, quand c'est un film de Joe Dante.

Oui, mais pour ça, pas besoin de dire « un film de Joe Dante » !

  

THE HOLE - 2009

 

 

Oh, les gens finiront par le voir. Même si ça doit passer par la télévision, le fait que ce soit en 3D va finir par lui permettre d'attirer l'attention. De nos jours, il est tellement étrange et coûteux de sortir un film. Si vous voulez le sortir en format digital, soit, mais en film, il faut passer par tout un tas d'étapes. Ca s'appelle « P&A » pour « prints and adds », vous devez payer pour l'impression et pour la publicité. Ca représente beaucoup d'argent, que beaucoup de films ne parviennent pas à gagner une fois sortis. Par conséquent, les gens sont très exigeants au niveau du choix des films à sortir. Pour The Hole, nous avons obtenu une sortie dans plusieurs endroits dans le monde, mais pas aux Etats-Unis, et pas en France.

Il pourrait arriver directement en vidéo.

Il pourrait. Au bout du compte, il va finir par sortir, quoi qu'il en soit. Pour l'instant, c'est encore une situation délicate, notamment en raison du nombre de salles de cinéma qui sont équipées pour la 3D, des films qui sortent en fausse-3D, qui n'ont absolument pas été tournés en 3D mais reçoivent un traitement informatique qui leur permet d'être diffusés en 3D au cinéma. Avec tout ça, il n'y avait plus de place pour mon film, et j'ai été repoussé encore et encore.

The Hole combine des références à Jacques Tourneur, aux Gremlins, et finit par ressembler à un best-of de la carrière de Joe Dante. Aviez-vous cela à l'esprit ?

Non, je ne suis pas d'accord avec ça. Ce qui est génial, avec les films, c'est que personne ne sait ce qu'ils valent quand ils sont nouveaux, ça prend du temps. Tous les films des années 40, 50, que nous trouvons géniaux, sont des films qui n'ont absolument pas rapporté d'argent et que les critiques détestaient. Les gens ne s'y intéressaient pas, puis 10 à 50 ans plus tard, on a commencé à les regarder et à se dire « wow, c'était vraiment un très bon film, pourquoi personne ne l'aimait à l'époque ? ». C'est là toute l'histoire du cinéma : vous le faites pour la postérité. Quand je ne serai plus là, mes films le seront toujours. Ils seront aimés, ou non. Les gens pourront s'y associer, ou pas. C'est le risque qu'on prend. Ce que pensent les gens d'un film au moment où il sort n'est vraiment pas si important que ça.

 

 

A présent, je vous donne un nom, et vous me dites ce qui vous passe à l'esprit.

 

Roger Corman

Je pourrais en parler 2 heures. Non, 200 heures ! Sans Roger Corman, je ne serais pas en train de vous parler. J'étais un fan de ses films avant de travailler pour lui, et il est l'une des personnalités les plus importantes de ma carrière. Une année, les Academy Awards sont allés presque entièrement à des personnes qui avaient commencé avec Roger Corman. C'est pour ça qu'il a obtenu un Oscar (d'honneur, en 2009, NDLR), ce n'est pas juste pour sa carrière, c'est pour tout ce qu'il a fait pour l'industrie cinématographique.

Il n'y a plus de Roger Corman, de nos jours.

Non. Il n'y a pas d'opportunité pour quiconque de devenir un Roger Corman. Il avait beaucoup de films à faire, et il y avait énormément de salles et de drive-in qui attendaient ses films. C'était une usine. Maintenant, cette usine ne produit plus, car personne ne veut acheter. Donc les films passent directement en vidéo, ou vont aux chaînes de science-fiction. L'industrie a totalement changé, les gens me demandent souvent comment j'ai commencé et je leur raconte mon histoire, mais ça n'a plus d'intérêt, cette époque-là est révolue. 

Steven Spielberg

C'est une autre personne sans qui je ne serais pas assis ici en train de parler de lui ! J'ai eu de la chance de travailler avec deux personnes dans ma carrière qui étaient des vrais cinéastes, des personnes à qui vous pouviez parler de vos problèmes, et qui saviez de quoi vous parliez, et ils avaient des solutions de cinéastes. Steven me protégeait beaucoup des studios, comme j'ai pu m'en apercevoir quand je suis parti faire mon propre film. Il a été d'une grande aide, personnellement comme professionnellement. C'était un mec bien, qui est devenu un grand de l'industrie, ce qui a été autant surprenant pour lui que pour les autres, je pense. Je n'aurais jamais pu aller aussi loin aussi vite sans Steven.

Chuck Jones

C'est un des rares génies que j'ai rencontrés. Je l'ai connu assez tardivement. J'adorais les types de la Warner Bros, mais Chuck était presque le Mark Twain d'entre eux. Il est très facile de reconnaître un cartoon de Chuck, même parmi ses premiers, c'est une évidence. Chuck était vraiment chaleureux et drôle. Une des personnes les plus gentilles que j'ai rencontrées.

Et à propos du film le concernant ?

J'ai eu un script formidable d'une personne qui travaillait avec Chuck et la Warner Bros au commencement, et qui a sponsorisé un déjeuner avec tous les survivants de cette époque, et nous avons filmé les commémorations. Malheureusement, la Warner a choisi de faire Space Jam à la place. C'est donc en suspens, mais ce sont eux qui détiennent les personnages et l'histoire. Mais ça va peut-être être publié sous forme de livre. Cela aurait fait un bon film.

Jerry Goldsmith

Encore un de ces génies que j'ai connus. Je ne serais pas là sans lui. Chacun de mes films qu'il a touchés est devenu meilleur à 100%, dès qu'il commençait à en composer la musique. Nous sommes devenus si proches que je pouvais mettre un bout de musique sur mes premiers montages et il savait exactement ce que je voulais, sans nécessairement chercher à copier cette musique. Les compositeurs préféreraient qu'il n'y ait pas de musique, mais vous devez en mettre pour montrer le film aux responsables. Cela souligne les effets que vous voulez rendre. Et Jerry supportait que je montre mes premiers montages avec la musique de quelqu'un d'autre dessus. Mais par contre, je n'ai jamais mis la musique de Jerry dessus, parce que j'ai toujours pensé que ça serait vraiment insultant (rires). Il était génial, très collaborateur, quand je lui demandais un peu plus de ci, un peu moins de ça, il le faisait ! C'était une relation merveilleuse.

Kevin McCarthy

Il est décédé cette année. C'était un de mes acteurs préférés, quand j'étais enfant. J'ai réussi à le convaincre de rejoindre Piranhas en 1978, où on a commencé à faire connaissance. Sur le tournage de La Quatrième Dimension, nous avons commencé à vraiment « connecter », et nous sommes devenus de très bons amis. Pour vous dire le type de mec qu'était Kevin, quand on faisait Les Banlieusards, Tom Hanks avait une sous-intrigue, il venait de se faire licencier et sa femme n'était pas au courant. Quand il était au grand barbecue, il imaginait son patron arriver et lui parler de ce licenciement. Tom était assis là, à demander « Qui est-ce qu'on peut prendre pour jouer mon patron ? ». J'ai répondu : « je sais qui ! ». J'ai passé un coup de fil, je lui ai demandé : « Kevin, tu es occupé cet après-midi ? » ; « non » ; « pourquoi tu ne viendrais pas ici, j'ai un truc pour toi sur Les Banlieusards, je te dirai quand tu arriveras ». Donc il vient, il a un costume, 4 cravates différentes : « tu choisis celle que tu veux que je porte », il a fait la scène, c'était très drôle. C'était juste le genre de mec à se pointer quand on l'appelait ! Un type génial, et un acteur fantastique. 

Dick Miller

Dick Miller est un autre de ces acteurs devant lesquels j'ai grandi. Je le voulais dans mon premier film, parce qu'il avait participé à tellement de films de Corman. On s'est bien entendus. Je me suis dit que j'aimerais l'avoir dans un de mes films, donc quand j'avais un script, je lui présentais. Parfois il l'a fait, parfois non, mais il était toujours volontaire. Il a été dans chacun de mes « feature films », à part Amazon Women on the Moon, dont il a été coupé. Il est à la retraite, maintenant, et dans The Hole, il fait une petite apparition. Une fois de plus, pas de film de Joe Dante sans Dick Miller.

 

Parlons de votre amour des anciens réalisateurs, comme Jack Arnold, Jacques Tourneur...

Si vous aimez les films, les réalisateurs, et que vous aimez les regarder, les comparer, et trouver les différences faites par les réalisateurs en fonction des situations, des scènes, ça peut vous aider dans votre travail, mais ce n'est pas quelque chose de conscient, ce n'est pas comme si vous vous disiez « ça va être ma scène ‘Jacques Tourneur' ». Ce qui arrive, c'est quand vous regardez, plus tard, le film de quelqu'un d'autre, et vous vous dites : « ah, c'est pour ça que j'ai fait ça ! ». C'est de là que ça vient, toutes ces images et ces approches différentes qui se combinent quand vous travaillez.

Et au sujet des Masters of Horror ?

C'était génial pour nous tous, car c'était ce genre de situation où vous n'avez ni l'argent, ni le temps, mais on vous dit que vous avez toute la liberté pour faire ce que vous voulez. Ca pouvait être violent, sexy, ce que vous vouliez. J'étais contrarié par ce qui se passait, politiquement parlant, aux Etats-Unis, donc pour mon premier épisode, j'ai fait quelque chose de très polémique, contre la guerre, avec des zombies qui essaient de renverser le président qui les a fait tuer. C'était à une période où les médias s'étaient tous retranchés dans le silence, c'était vraiment grave. Je me suis dit que ce film allait peut-être réveiller les gens. Ca a effectivement réveillé quelques personnes, puisqu'elles ont brûlé tous mes DVD. Cela a eu du succès en Europe, notamment dans les festivals. Au final, j'avais envie de dire quelque chose, et ils m'ont laissé le dire.

 

 

Est-ce que vous voyez un héritage de vos films, dans les productions actuelles que vous aimez ?

Je vois des films que j'aime, mais je ne les aime pas parce je vois des bouts de mes films dedans ! C'est délicat de nos jours, parce que tout a été fait. Si vous vous y connaissez en histoire du cinéma, c'est d'autant plus difficile, parce que vous savez que ça a été fait, vous n'avez pas envie de le refaire exactement de la même façon, vous voulez trouver quelque chose d'inédit. C'est encore plus le cas avec les films de genre, car il y a des codes que vous devez impérativement respecter. Comment donner au public ce qu'il veut sans lui resservir ce qu'il a déjà vu ? C'est dur. Comment faire du neuf ?

Voyez-vous du neuf, justement ?

L'évolution du genre est intéressante. Le torture-porn s'est tellement développé que les gens en ont marre, et il y a tellement de suites. C'est comme Scream 4, ça n'était pas différent du 3 ou du 2. A cause de la peur de présenter au public quelque chose qu'il ne connait pas, on fait des remakes et des suites. Mais ce n'est pas satisfaisant, pour le public comme pour le réalisateur, car tout ce qu'ils font, c'est se répéter. Mais des films comme Avatar ou Inception, qui utilisent de nombreux éléments qui vous sont familiers, trouvent de nouvelles façons de les réarranger. C'est là qu'est le futur du cinéma. Mais ce n'est pas évident de convaincre des personnes de s'y lancer, parce que c'est risqué.

Et à propos de Jaws 3, People 0 ?

C'était un film coproduit par la National Lampoon, et David Brown et Richard Zanuck (Les Dents de la mer). Ils avaient déjà fait Les Dents de la Mer 2, et ils voulaient quelque chose de différent. John Hughes avait écrit un script, une parodie d'un film sur des jeunes qui font un film sur un requin géant, mais il s'avère qu'il y a vraiment un requin. C'était marrant, irrévérencieux. J'ai réussi à le mettre en route, probablement grâce à Piranhas, et j'ai rencontré Bo Derek qui était supposée apparaître dans le film. Il y avait beaucoup de réunions, on m'a donné un script. J'étais le gamin, à qui on disait "c'est comme ça que ça marche, gamin", malmené de part et d'autre pour m'amener à faire ce qu'ils voulaient. Le problème, c'est que Universal voulait en faire une comédie, et Zanuck et Brown un film PG. Il y a eu un nombre incroyable de conflits entre les deux camps, et j'étais juste au milieu. Il y avait des réunions, et à chaque question posée, tout le monde se regardait, sans savoir où se positionner, c'était très politique. Et honnêtement, pas très agréable pour moi. Ca s'est poursuivi comme ça. Moi j'avais mon casting, j'étais prêt à commencer, j'avais même Orson Welles. La direction de la compagnie m'a dit « Orson Welles ? On ne peut pas l'utiliser, il faudrait le mettre sur l'affiche », comme si personne ne voulait de ce has-been dans notre film. Ca se passait à l'époque où Carl Laemmle Jr., qui avait produit beaucoup de films d'horreur au début des années 30, venait de mourir. Comme j'avais été dans un de ses films, je leur ai dit « vous ne pensez pas que vous devriez trouver un terrain d'entente, au moins pour Carl Laemmle Jr ? ». Ils ont répondu « qui ? ». C'est intéressant, parce que j'ai du prendre conscience assez tôt du réel intérêt des studios, et ce n'est pas la nostalgie ni les vieux films, mais le commerce. J'ai reçu, juste à la fin, une proposition, et quelqu'un du studio m'a dit que je ferais mieux de quitter ce projet pour en rejoindre un autre. Et ils n'ont jamais fait le film, ils ont fait Les Dents de la mer 3D.

 

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