Joe Dante : l'interview carrière (2ème partie)

Aude Boutillon | 2 juin 2011
Aude Boutillon | 2 juin 2011

Les années 1980 et 1990 sont notamment marquées pour le prolifique Joe Dante par les difficultés à composer avec des studios exigeants, si ce n'est capricieux, et à faire entendre sa voix dans un flot de marketing et de censure. Mais loin de toute amertume, c'est avec beaucoup d'attachement qu'il relate ses anecdotes relatives à des films qui n'ont parfois pas rencontré le succès escompté. 1987-1998, voici venir notre seconde partie de l'interview-carrière de Joe Dante.

 

 

 

L'AVENTURE INTERIEURE - 1987

 

C'était un film très drôle à faire, peut-être le plus drôle de ma carrière. Il avait un super casting, Jeffrey Boam avait écrit un très bon script, pour un projet qui était au départ censé donner un film sérieux, sans aspect comique. Mais le film n'a pas été vendu comme une comédie, mais comme un film de science-fiction, le titre n'est pas bon, il n'y a pas de personnes sur le poster, mais un pouce géant. Les gens ne sont pas allés le voir, alors ils l'ont même ressorti avec une campagne de pub différente, et les gens n'y sont pas plus allés. La chose surprenante, c'est que les gens l'ont découvert sur vidéo et non au cinéma, c'est comme ça qu'il est devenu populaire.

 

L'une des scènes principales du film, c'est lorsque l'action se passe à la fois à l'intérieur et à l'extérieur du corps.

Vous savez, le seul élément fantastique du film, c'est qu'on a mis quelqu'un dans le corps de quelqu'un d'autre. C'est avant tout une comédie de 2h. Et je ne crois même pas aux comédies de 2h, je pense que toutes les bonnes comédies durent moins de 90 minutes. Mais nous ne pouvions rien trouver à couper, tout cela était drôle, le public avait adoré, et je pense que les studios se sont dit qu'ils gagneraient beaucoup d'argent avec ce film. Nous avons été choqués de voir que la campagne de pub n'avait pas fonctionné, et que les gens n'étaient pas allés le voir.

  

AMAZON WOMAN ON THE MOON - 1987

 

 

C'était un super projet pour moi, car beaucoup de personnes travaillaient dessus en même temps. Parfois vous pouviez recevoir un coup de fil à 3h de l'après-midi vous disant « tu pourrais être sur le plateau à 4h30, parce que Bob Weiss va avoir terminé son épisode, donc on veut enchaîner sur le suivant ». Donc vous êtes là, comme un médecin, à attendre votre moment pour intervenir. Il n'y avait pas de communication au sein l'équipe, c'était la même organisation que lorsque vous regardez la télévision et vous changez de chaîne. Ca ressemblait un peu à The Movie Orgy, sur ce point. J'ai pris les épisodes que personne n'avait encore choisis, et c'était très marrant. Mais le film n'est pas sorti avant deux ans, et je continuais à faire ce rêve dans lequel j'avais fait un film qui n'avait pas encore eu de sortie, et je n'arrivais pas à me souvenir de quoi il s'agissait. Quand il est sorti, il n'a pas exactement mis le feu, mais il a ses fans. Certains épisodes sont plus drôles que d'autres. Il y a des choses qui ont été coupées que je trouvais plutôt bonnes, mais bon.

 

 

LES BANLIEUSARDS - 1989

Je ne crois pas qu'il soit sorti en salles en France, il me semble qu'il est directement sorti en vidéo. Il a eu son petit succès, mais encore une fois, en vidéo. C'est devenu un film culte, dont les gens citent des passages, il a beaucoup de fans aujourd'hui. A cette époque, il y avait une grève des scénaristes, personne ne travaillait, donc j'ai décidé de le filmer en une séquence, du début à la fin en un seul lieu. De cette manière, si on arrive à créer quelque chose, on peut construire le reste dessus. Nous avions un casting génial, des gens intelligents et drôles, et on y est arrivés. Seulement, dans la fin originale, Tom Hanks était emmené par une ambulance conduite par le fils Klopek, vers sa propre mort. Mais dès que Tom a rejoint le film, on m'a dit « non, tu ne peux pas tuer Tom Hanks ! ». C'est pourquoi la fin du film est inexplicable, on m'a juste dit de trouver quelque chose, et je ne suis pas sur que cette fin soit la meilleure. C'est un de mes films les plus connus, et c'est remarquable, parce qu'à l'époque, il paraissait plutôt obscur. Ce n'est pas un film d'horreur, ce n'est pas une comédie, c'est... un film !

 

 

GREMLINS 2 - 1990

 

 

Après le succès du premier film, on est venu me voir en me disant « on veut immédiatement un Gremlins 2 ». Et j'en avais tellement marre des Gremlins, et de travailler avec des marionnettes, que j'ai dit non. Et j'ai fait la plus grosse erreur de ma vie, puisqu'on m'a offert Explorers à la place, qui fut un désastre. Ils voulaient aussi que je fasse Batman, ce que j'ai refusé. J'aurais probablement du accepter l'un de ces films. Ils ont fini par me dire « on veut faire la séquelle d'un film qui a 5, 6 ans, on ne sait pas comment s'y prendre, donc si tu acceptes, on te laissera la faire comme tu veux ». J'ai donc fait une comédie satirique, une parodie du premier film et des années 90 qui s'ouvraient à nous, et c'est probablement mon film le plus personnel, car tout ce qui est dans ce film, c'est ce que je voulais qui y soit.

Il a été dit que le premier film ressemblait à un film de Spielberg, contrairement au second.

Le second ressemble plutôt à un film de Frank Tashlin, et c'est volontaire. Beaucoup de gens aimaient les aspects de Gremlins : Guizmo, le fait que ça se passe dans une petite ville, le côté un peu confus, très « Noël » du premier film, mais ça a déjà été fait, j'ai voulu passer à autre chose. Alors j'ai décidé de sortir de la petite ville, et de faire une version plus moderne de l'histoire, qui se moque de toutes les choses auxquelles on a fait adhérer le public dans le premier film.

Qu'est-ce que Spielberg a pensé de Gremlins 2 ?

Je pense qu'il l'a trouvé amusant. Mais je ne pense pas qu'il ait trouvé que c'était son genre de films. Mais ce qui est bien avec Spielberg, c'est qu'il vous soutient, il vous laisse être le seul juge de ce que votre film doit être. Il est capable de l'imposer aux studios, c'est pour ça que la scène de où Kate raconte que son père est mort en restant coincé dans la cheminée à Noël n'a pas été coupée, ce ne serait pas le cas sans Steven.

Et à propos d'un Gremlins 3 ?

Il n'y a pas eu, il n'y en a pas, et il n'y en aura pas !

Mais vous avez manifesté votre intérêt à l'égard d'un jeune réalisateur belge...

Sacha (Feiner, qui avait réalisé un court-métrage consacré aux Gremlins, NDLR) est un excellent réalisateur, oui, mais sa séquence n'a pas pu être ajoutée sur le DVD de Gremlins 2, ils n'étaient pas intéressés.

 

 

PANIC SUR FLORIDA BEACH (MATINEE) - 1993

 

 

C'est un film qui a failli ne jamais voir le jour, parce que c'était un film indépendant. On a obtenu du financement, puis Universal a accepté de le distribuer, et a pris la relève en nous promettant de l'argent qui n'arrivait jamais, donc finalement, nous sommes allés voir Universal en leur demandant pourquoi ils n'achetaient pas tout simplement le film, étant donné qu'ils avaient dépensé beaucoup d'argent dessus. Ils ont accepté, mais le problème, c'est que ça n'a jamais été vraiment un film Universal, dans le sens où ça n'était pas un gros blockbuster sortant dans un tas de salles, c'était un petit film. Ils m'ont laissé le faire comme je l'entendais, mais au final, le film n'a pas vraiment eu d'impact. Les gens ont commencé à le découvrir en vidéo, donc il a ses fans, maintenant. 

Ce film est un vrai hommage au cinéma avec lequel vous avez grandi, dans les années 50.

Je suis très proche des enfants du film, j'avais un petit frère du même âge, j'ai vécu la crise des missiles de Cuba, même si je ne vivais pas en Floride mais dans le New-Jersey. Nous vivions dans un sentiment de paranoïa, où on craignait de recevoir une bombe et de vivre notre dernier week-end, et j'ai voulu faire en sorte que ça se ressente dans le film, surtout pour les personnes qui ne l'ont pas vécu. Je pense que c'est assez juste, on a eu à franchir beaucoup d'obstacles avant d'arriver à un résultat aussi correct que possible. Les personnes qui ont vécu cette époque m'ont dit qu'ils trouvaient le film ressemblant 

Avec John Hughes ou Rob Reiner, vous êtes un des rares cinéastes à parvenir à faire tourner des jeunes.

Je ne sais pas d'où ça vient, peut-être du fait que je n'aie moi-même pas d'enfants. Les personnes qui travaillent dans l'industrie cinématographique élèvent en quelque sorte des enfants, et je pense que c'est une part de votre personne que vous ne devez pas oublier si vous voulez rester créatif. Il se trouve que je travaille très facilement avec les enfants acteurs, je les comprends, je peux leur parler, parce que je sais ce que c'est, je n'ai jamais vraiment tiré un trait sur cette partie de ma vie, car faire du cinéma, c'est un peu comme jouer aux indiens et aux cowboys, sauf que vous êtes payés. 

Des films comme ça ne sont plus produits, maintenant.

La raison à cela, c'est que les films avec des enfants très jeunes ne sont pas populaires, les plus âgés ne les regarderont pas. C'est très difficile de faire ce genre de films maintenant. Dans les années 80, ça allait, il y avait plein de films avec des enfants. Maintenant, le peu de films qui utilisent des enfants, comme Let me in, ils ne fonctionnent pas, parce que les gamins n'ont pas 18 ans, ils ne sont pas sexy, ce ne sont pas des mannequins. C'est l'attrait des films Twilight. Maintenant, plus personne ne veut se souvenir de son enfance.

 

 

LA SECONDE GUERRE DE SECESSION - 1997 

C'est un film assez populaire en Europe. C'est marrant, je l'ai fait en 1997, et on croirait qu'il date de l'année dernière, hormis pour la taille des téléphones, ce genre de choses. C'est un film qui soulève beaucoup de questions, qui n'ont pas été résolues, voire se sont empirées, par conséquent, on peut vraiment dire qu'il aborde tous les sujets actuels. Au cours de la fin des années 90, HBO se spécialisait dans les satires politiques, donc c'était vraiment le lieu où faire ce genre de choses. Maintenant, ils ne le font plus, car la plupart de ces sujets ne sont plus d'actualité, c'est du passé, contrairement à celui-là, qui traverse les époques et les lieux, car il y a toujours un aspect du film qui est toujours valable : la sécession, l'immigration, c'est toujours la pagaille. Et c'est le point même du film : tout est en pagaille. Vous auriez tendance à vous dire qu'avec un film aussi vieux, les gens se diraient « oh, c'est comme ça que c'était, à l'époque », mais c'est comme ça que c'est aujourd'hui ! C'est un bon film, même si personne ne le connait, j'ai beaucoup d'affection pour lui.

 

 

SMALL SOLDIERS - 1998

Je faisais Small Soldiers avec des petites figurines, tout en me disant que c'était identique aux Gremlins, je me demandais « mais pourquoi est-ce que je fais des films avec toutes ces créatures ? ». Small Soldiers avait un script qui tournait depuis un moment, et je l'ai vu comme une opportunité de montrer aux enfants que les apparences peuvent être trompeuses. Quelqu'un qui a l'air un peu bizarre n'est pas forcément mauvais et quelqu'un qui porte un uniforme n'est pas forcément bon. Ce qui est marrant, c'est que le premier Transformers est presque un remake de Small Soldiers, il y a énormément d'élément identiques. Il y a eu quelques complications avec les studios, car une fois encore, ils voulaient au départ en faire un film un peu nerveux pour les adolescents, puis un film pour enfants, donc il a fallu revenir sur le travail effectué et supprimer les scènes violentes, l'action, nous avons beaucoup bataillé à ce propos. Pour la fin, je voulais faire retourner tous les jouets à la fabrique, et eux ont décidé de tourner la fin dans la maison. J'ai tenté de faire le meilleur film possible, mais j'ai toujours pensé que j'avais raté quelque chose, en n'obtenant pas la fin que je souhaitais.

 

 

 

 

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