Joe Dante : l'interview carrière (1ère partie)

Aude Boutillon | 1 juin 2011
Aude Boutillon | 1 juin 2011

La sortie en DVD et Blu-ray de l'injustement méconnu Panic sur Florida Beach, film de Joe Dante aussi personnel (si ce n'est intime) que haut en couleurs, marque l'occasion de revenir sur la carrière d'un réalisateur passionné et passionnant, au cours d'une interview - carrière - récoltée par notre ô combien chanceux rédac' chef. La première partie de cet entretien nous entraine des débuts du cinéaste en 1968 jusqu'à sa participation à la série, Histoires fantastiques en 1985.

 

 

 

THE MOVIE ORGY

 The Movie Orgy n'était pas censé être mon premier film. C'était juste un film, un assemblage de vidéos trouvées, qu'on a montées ensemble dans l'esprit de la série des Batman qui ressortait en salles dans les années 60, la totalité des 15 épisodes. Le résultat durait près de 5 heures, et les gens sont restés, ont ri, donc on a voulu mettre en place quelque chose de similaire, à savoir un ensemble de plusieurs films avec des parenthèses comme des publicités, des sketches, des épisodes de séries, que les gens se souvenaient de leur enfance. C'est devenu un phénomène de 7 heures. Ce qui est intéressant, c'est que l'on n'avait les droits de rien de ce qu'on avait utilisé. Il y a quelques années, je l'ai retrouvé dans mon garage et je me suis demandé si quelqu'un pourrait s'y intéresser, s'il pourrait être diffusé au cinéma, et au fil du temps, c'était devenu une sorte d'objet de culte. Les gens se sont pressés dans la rue pour le voir, ils sont restés tout au long des 4h30, on a même eu droit à une standing ovation. Depuis, le film fait le tour des festivals. Je ne pensais pas qu'il aurait droit à sa chance. C'est satisfaisant, les gens y ont trouvé une sorte de capsule temporelle intéressante, ça les ramène à ce qu'étaient les USA de 1968 à 1970, c'est très « anti-establishment », et ça a toujours le pouvoir d'amuser les gens, ces drôles d'images qui font partie de notre culture.

 

PIRANHAS

 

 

J'ai eu beaucoup de chance de réaliser Piranhas. J'ai eu le choix entre Rock'n'Roll High School et Piranhas, tous deux produits par Roger Corman, et Allan Arkush tenait vraiment à faire Rock'n'Roll Highschool, et je pensais que c'était un bien meilleur projet que Piranhas, qui souffrait d'un très mauvais script repris des Dents de la mer. C'était un sacré challenge qui comprenait des enfants, des chiens et de l'eau, chaque élément étant mauvais, donc réunis, c'était très dur. J'essayais d'éviter à ce film d'être horrible, car j'étais convaincu qu'il le serait. Finalement, ce fut un grand succès, particulièrement outre-Atlantique, et ça m'a fait connaître, puisque quand vous faites un film pour Roger Corman un peu au-dessus de la moyenne, vous vous faites remarquer. Les gens ont commencé à venir me voir, avec d'autres projets de monstres sous-marins : un orque, un alligator, même une tortue géante. J'en avais assez, je ne voulais plus faire de films sous-marins, je me suis contenté de monter des bandes-annonces pendant un moment.

 

Ressentez-vous une certaine frustration à l'égard du film, quand vous le voyez maintenant ?

Nous n'avions pas beaucoup d'argent, donc même si les effets spéciaux sont plutôt pas mal, les mouvements des piranhas n'ont jamais été satisfaisants. J'ai été un peu envieux, quand j'ai vu certaines images de la bande-annonce de Piranha 3D, qui a eu la possibilité de créer des mouvements individuels pour les piranhas, tandis que nous avons du créer un mouvement unique. Mais je suis plutôt heureux de Piranhas.

  

Vous n'avez pas vu le remake ?

Non. J'ai déjà vu le film ! (rires) Et puis il y a eu un nouveau film dans les années 1980. Mon envie de voir les gens déchiquetés par des piranhas n'est plus aussi forte que quand j'étais plus jeune. 

 

Le poster français de Piranhas est très beau.

Oui, il est magnifique, bien plus que l'américain.

  

 

HURLEMENTS

   

Hurlements fut l'opportunité de faire un film de loups-garous. Je travaillais alors chez Universal. Mon ami Michael Finnell m'a appelé, et m'a dit qu'il travaillait sur un projet de film appelé « Hurlements », que le réalisateur venait de quitter, et il m'a proposé de le rejoindre. Une fois encore, le script était épouvantable, j'ai donc immédiatement appelé John Sayles (scénariste), et lui et les autres auteurs ont monté un script bien meilleur, plus contemporain, éloigné du concept premier d'un film de loup-garou à l'ancienne, bien plus banal. Nous nous sommes inspirés des slashers qui étaient populaires à cette époque-là, en faisant le film de telle sorte que vous ne sachiez pas qui était le loup-garou, ce qui vous plonge dans l'histoire. Nous voulions que ça ressemble à un « psycho killer movie ». Nous avons traité le mythe du loup-garou comme un thème déjà connu des gens, qui en avaient entendu parler à la télévision, ou vu des films à ce propos. C'était le premier film à vraiment inclure l'élément supernaturel dans le monde moderne, sans avoir à passer par la case scientifique, car le public connait déjà tout cela. Ca a probablement été la plus grande contribution du film au genre, à cette époque. Ca a été un certain succès, j'en ai été satisfait, il nous a fait gagner beaucoup d'argent, que nous avons dépensé sagement, et nous avions un super casting.

 

Et au sujet des effets spéciaux ?

Mon seul regret concerne les scènes de transformations. Nous les avions montrées aux distributeurs, ça les a rendu dingues, et ils nous ont interdit de les couper. Bien sûr, elles durent beaucoup trop longtemps, c'est une sorte de démonstration d'effets spéciaux. Si j'avais à le refaire maintenant à ma façon, je ne les montrerais pas, mais après tout, c'est une des raisons du succès du film.

 

Il y a bien évidemment le thème de la sexualité qui irrigue le film.

Bien sûr, il y a un ton érotique, plutôt inhabituel pour le genre, à cette époque.

 

On ne peut plus faire de film comme ça, de nos jours.

Vous savez, c'est une époque différente. Le film fait l'objet d'un remake en ce moment-même, enfin, disons plutôt que c'est un de ces remakes d'aujourd'hui, ils se contentent d'en reprendre le titre. Je pense que ça tiendra plus de Twilight que de Hurlements. Il y a eu tellement de problèmes liés aux droits, ç'en est enfin terminé.

 

 

LA QUATRIEME DIMENSION

   

Dans votre carrière, il y a eu beaucoup de films à sketches, dont La Quatrième dimension. Nous connaissons les difficultés survenues sur le plateau (un accident mortel, NDLR), notamment vis-à-vis de John Landis, ce qui a beaucoup affecté Steven Spielberg. Pour certains, vous auriez même sauvé le film en parvenant à diriger votre segment malgré les évènements.

La Quatrième Dimension est mon premier film de studio, et bien entendu, il y avait des difficultés du fait de l'accident survenu sur le tournage du segment précédent, tout ça a fait la une des journaux. En l'occurence, ça ne s'est même pas passé sur le plateau, c'était un tournage séparé, parce que Landis n'allait pas être disponible par la suite. J'ai vraiment cru que le film ne verrait jamais le jour, mais ils ont décidé de le poursuivre quand même. Curieusement, à cause de ce qui s'était passé, le studio a décidé de ne plus s'en occuper, ils ne voulaient plus y être associés pour ne pas avoir à se sentir coupables de l'accident. George Miller et moi faisions alors notre premier film de studio, et on a eu cette fausse impression que c'est ainsi qu'est fait un film, on vous laisse les commandes. On a trouvé ça génial, mais finalement ce n'était qu'un cas exceptionnel, comme on a pu s'en rendre compte sur notre film suivant. Au début, le film était supposé avoir des personnages récurrents, qui permettraient le passage d'une histoire à l'autre, et l'idée a été abandonnée. Steven Spielberg devait faire un épisode différent, sur des enfants faisant du « trick or treat » pendant la nuit, et ça n'a pas marché, donc il a simplement fait le remake d'un épisode de la série La Quatrième Dimension. Selon moi, il ne faudrait faire que des nouvelles histoires, car La Quatrième Dimension ayant été une série très populaire, tout le monde connait déjà la fin des épisodes. Quand j'ai choisi mon histoire, j'ai relu le scénario de Jerome Bixby et j'ai tenté de le camoufler un maximum pour que les gens ne reconnaissent pas l'épisode avant qu'il ne soit trop tard. Ca a été une expérience géniale pour moi. Le travail en studio a été une révélation, moi qui avais l'habitude de faire mes propres films, très « cheap », avec des personnes acceptant de travailler pour trois fois rien, en très peu de temps, et là nous pouvions travailler avec tout l'argent et tout le temps qu'il nous fallait.

 

 

GREMLINS

 

J'ai commencé à travailler sur les Gremlins avant même La Quatrième Dimension. Steven Spielberg m'a envoyé le script de Chris Colombus, qui à la base n'était même pas censé donner un film, c'était simplement une sorte d'essai pour Chris. Steven pensait que ça ferait un bon film d'horreur, pas cher. Il voulait lancer sa compagnie avec un film à petit budget. On a commencé à parler des Gremlins, puis la Quatrième Dimension s'est présentée. Pendant ce temps, nous avons donc continué à travailler sur les Gremlins, sur le planning, le design, puis Steven est parti travailler sur Indiana Jones, en nous laissant le soin de faire les Gremlins. Je pense qu'il ne comprenait pas vraiment le ton du film, il voulait en faire quelque chose de plus joyeux. Lorsque nous avons assisté à la projection, ce fut un véritable phénomène. C'était un de ces films surprise qui arrivent de nulle part, que personne n'attendait, et il est arrivé à un moment propice. Des produits dérivés et des jouets ont immédiatement été produits, personne ne s'imaginait que ça deviendrait un tel phénomène. C'était génial pour moi, j'avais déjà eu un peu d'écho dans la presse avec la Quatrième Dimension, George et moi nous en étions bien tirés avec les critiques. Puis les Gremlins sont arrivés, et je me suis retrouvé dans le Time Magazine, ce qui est assez incroyable pour quelqu'un qui travaillait encore pour Roger Corman quatre ans auparavant.

 

Le film est assez différent du script original.

Le script prévoyait un film d'horreur bien plus macabre. La mère se faisait décapiter, sa tête roulait le long des escaliers, le chien se faisait dévorer par les Gremlins... Quand on a réalisé le design des marionnettes, et qu'on a vu leur apparence, leur manière de bouger, on s'est dit qu'elles avaient quelque chose d'un peu ridicule, de marrant. Au final, tout le concept funèbre est tombé à l'eau, le film est bien plus une comédie qu'un film d'horreur. Cela a montré que ces deux genres pouvaient cohabiter. C'est le problème que j'ai du affronter tout au long de ma carrière. Beaucoup de gens ne comprennent pas les films "transgenres", que j'adore, c'est ce que je fais, au fond. Mais quand le film est sorti, il a marché, et tout le monde était satisfait.

 

Pour moi, c'est le meilleur film d'horreur pour enfants.

Tous les parents ne diraient pas la même chose ! Mais c'est vrai, c'est un film qui est effrayant sans trop l'être.

 

 

EXPLORERS

 

C'est le film que Paramount m'a demandé de faire juste après Gremlins. C'est le genre de script qu'on vous donne à lire dans une pièce remplie de personnes, et vous devez le rendre après l'avoir lu, parce que c'est top secret. Les enfants vont sur une autre planète, y rencontrent des enfants aliens avec qui ils jouent au baseball, puis ils rentrent chez eux. Cela n'allait nulle part. Pour je ne sais quelle raison, les studios voulaient ce film à une date précise et assez proche, c'était du genre « commencez immédiatement le tournage ! ». C'était une production vraiment accélérée : la peinture était encore humide sur le plateau. Puis les studios ont changé de direction, et les personnes qui avaient initié le film sont parties travailler pour une autre compagnie. Les nouveaux responsables ont exigé que le film sorte deux mois plus tôt que prévu. On a répondu « il ne sera jamais fini ! » ; « peu importe ». Par conséquent, il est sorti en salles inachevé, c'est pourquoi je n'ai jamais été vraiment satisfait, même si beaucoup de personnes l'ont apprécié et ont emmené leurs enfants le voir, ça n'est pas le film qu'il était censé être.

 

Pourra-t-on voir un jour un director's cut ?

Non, malheureusement. Une personne est venue me voir en me proposant d'aller voir Paramount pour leur demander de reprendre le film, et non seulement ça ne les intéressait pas, mais ils se sont montrés presque insultés que l'on puisse leur demander ça. Ils nous ont dit « estimez-vous heureux qu'on ait édité le film sur DVD, sans parler de l'argent dépensé dessus ». Donc je pense qu'il faudra toujours se contenter de cette version du film.

 

 

AMAZING STORIES

 

Ce sont deux petits épisodes que j'ai réalisé entre deux films. C'était un programme de très bonne facture, pas les histoires les plus incroyables que vous ayez jamais entendu, mais magnifiquement faites. Quelqu'un m'a dit un jour qu'on pouvait entendre des histoires  plus incroyables en faisant la queue à la Poste qu'en regardant cette série. C'était un projet très prometteur, mais le résultat l'était nettement moins. Ces deux petites histoires que j'ai faites ont été appréciées, mais je ne pense pas que ça fasse partie de mon meilleur travail, je ne pense pas que ce soit le cas de quiconque ait travaillé sur cette série.

 

Pourquoi le projet vous a-t-il intéressé ?

Il y a deux façons de faire de la télévision : soit vous avez une série préexistante, avec une histoire, un casting, soit vous avez des anthologies et la possibilité de faire votre propre truc. Vous faites le casting, vous vous occupez de tout le travail du début à la fin. C'est beaucoup plus intéressant pour un réalisateur que de travailler sur la série de quelqu'un d'autre. Ils ont rassemblé des personnes très douées pour cette série, mais personne ne l'a regardée. La deuxième année, certains voulaient partir de la série, mais Steven avait décidé que c'était un bon moyen de faire découvrir de nouveaux réalisateurs, et de travailler avec ses amis, et il aimait cette série. Il a donc produit une deuxième saison, que personne n'a regardée.

 

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