Patrick Lussier (Hell Driver)

Simon Riaux | 22 mars 2011
Simon Riaux | 22 mars 2011

Lorsque Patrick Lussier accepte de s'entretenir avec nous sur la genèse de Hell Driver, c'est forcément l'occasion de revenir sur un tout un pan du cinéma de genre dont est issu son nouveau film. Le réalisateur évoque donc pour nous le cinéma de Roger Corman et les films qui l'ont formé. L'homme derrière Meurtres à la st Valentin revient également sur sa collaboration de longue date avec Wes Craven, ce qu'elle lui a apporté, son rôle de directeur additionnel sur certains films, ou encore son opinion quant à l'avenir de la 3D ou les sorties de James Cameron.

 

Hell Driver est-il un hommage référentiel aux films Grindhouse, ou se veut-il un renouveau de la série B ?

Nous nous sommes inspirés du cinéma des années 60 et 70. Duel, Vanishing Point, sans doute. Race with the Devil nous a influencé, de même que Dirty Mary, Crazy Larry. Mais c'est aussi le cas de French Connection, The Seven Ups, Bullit, et surtout High Plains Drifter. Todd Farmer et moi avons fait Hell Driver car nous aimions l'idée d'un road movie intrépide et furieux, à la fois sans pitié avec des personnages qui ont tous un côté sombre, et très pur dans son intention. Les années 70 avaient des anti-héros de cette trempe, et c'était ce que nous voulions amener avec le film.

 

 

Avez-vous pensé à Nicolas Cage dès la pré-production ?

Nous avons envisagé différents acteurs pendant l'écriture. Mais après avoir rencontré Mike De Luca pour qu'il produise le film, il a tout de suite évoqué Nick, pensant qu'il aimerait le projet. Il fut le premier comédien que nous avons approché pour le rôle de Milton. De Luca avait raison. Nick a aimé le script, le côté surnaturel, les voitures, le ton et l'humour. C'était en aout 2009. Il avait d'autres obligations, donc nous n'avons pas commencé le tournage avant mars 2010, quand il a été disponible. Cela nous a donné le temps de se concentrer sur les repérages, le casting, de trouver des exemplaires de véhicules sur lesquels nous puissions compter pour travailler (pas une tâche facile quand on s'intéresse à des muscle cars, alors que tant ont fini à la casse ou ont subit les outrages du temps, elles peuvent avoir l'air parfaites, rouler parfaitement, mais rares sont celles qui peuvent supporter les cascades que nous allions leur faire exécuter).

 

Dans les années 50 ou 60, ce type de projet aurait indiscutablement été proposé à Roger Corman. Aimez-vous ce type de cinéma ?

J'ai grandi fasciné par les films de Corman, d'Arkoff et d'autres bandes des seventies, qui étaient des « fruits défendus » quand j'étais gamin. Je voyais les trailers et les affiches et voulais les voir désespérément, mais à l'époque je n'avais pas le droit. Avec le temps cela a changé, et je me suis découvert profondément fan des films de cette période.

 

Quelles sont vos poursuites favorites parmi ces films des années 70 :

Sugarland express, Duel, Vanishing Point, Gone in sixty seconds, Canonball, La Course à la mort de l'an 2000 ?

De cette liste, Duel, incontestablement. Duel, dans sa simplicité, touche au génie cinématographique. Le soin apporté à la tension, la prouesse d'une mise en scène au cordeau en fond un exutoire visuel. Je l'ai vu pour la première fois à la télé quand j'étais gamin, sur la télé couleur des voisins, car nous n'avions que le noir et blanc. Je me rappelle avoir été scotché à l'écran. Rien de ce que j'avais vu auparavant ne m'avait captivé à ce point. En plus ma famille possédait une Plymouth Valiant, rouge, presque la copie de la voiture de Dennis Weaver dans le film. Voilà qui a enraciné Duel dans mon esprit.

 


 

Vous avez été le monteur de Wes Craven pendant des années, a-t-il été un mentor pour vous ? Quelle est la chose la plus importante qu'il vous ait appris ? Avez-vous déjà vu Scream 4 ?

J'ai adoré travailler pour Wes. C'est un conteur brillant. Il se concentre toujours sur les personnages, sur l'histoire, et ne place jamais le style avant ces éléments. C'est une leçon précieuse, car le style peut toujours mettre en lumière un personnage, une histoire, mais il ne les remplace jamais. J'ai tant appris de Wes lorsque j'étais son monteur, en observant son travail avec les acteurs, en le voyant bâtir le suspense puis en y participant via le montage. Quant à Scream 4, je ne l'ai pas encore vu, mais je suis très impatient. Je suis sûr que Wes et son nouveau monteur Peter McNulty ont fait du super boulot.

 

Le bruit court que vous avez été « remonteur » voire réalisateur additionnel sur Mimic ou The Eye. Dans quelles conditions des producteurs ou des exécutifs décident-ils d'avoir recours à ce genre de service ?

Je n'ai rien réalisé ou remonté pour Mimic. J'ai été engagé comme monteur de Guillermo Del Toro et j'ai eu énormément de chance de travailler avec un réalisateur si visionnaire. Quant à mon rôle de « remonteur » en général, c'est vous qui l'appelez ainsi. J'ai travaillé comme consultant sur quelques films à la demande des financiers et producteurs. C'est un travail très spécifique, qui induit le plus souvent un remontage et une nouvelle direction donnée au film, qui sied mieux aux besoin du studio. Souvent cette demande fait écho à un différend entre un réalisateur et un studio, dont les vues sur ce que le film est supposé être sont complètement à l'opposé. S'ils sont dans une impasse, ils peuvent avoir recours à une tierce partie pour plancher sur l'avenir du film et trouver le moyen d'en tirer le meilleur.

 

Savez-vous que ce type de pratique est illégal en France, excepté si le réalisateur meurt en plein tournage ? Qu'en pensez-vous ?

« Pratique » est un choix de terme intéressant... Ce n'est pas une pratique, c'est un métier. On n'est jamais embauché sans raison. On ne greffe un créatif venu de l'extérieur que si le film ne marche pas. Quand ceux qui ont investi des millions de dollars dans la création d'un produit ont des attentes qui ne sont pas comblées. Quelques fois c'est à cause de la relation avec le réalisateur, quelques fois non. Quoiqu'il en soit, je crois que la véritable question est : est-ce que ceux qui ont réunis des millions de dollars ont le droit de protéger leur investissement une fois que leur accord avec les cinéastes a été honoré ?

 

Que pensez-vous de la révolution apportée dans la 3D, au niveau de la réalisation, de la production ?

La technologie 3D a beaucoup progressé ces dernières années. C'est de plus en plus facile de filmer, et l'on obtient un résultat final qui est visuellement impressionnant. C'est une manière de construire un grand huit encore plus immersif pour le public. La 3D est une expérience par et pour le collectif. L'expérimenter en communauté est souvent bien plus agréable que seul. Qu'est-ce que cela a changé ? Je ne pense pas qu'on puisse déjà le dire. Ça a ouvert la voie à de nombreux films pauvrement convertis en 3D après coup. Le procédé est tellement inférieur à un tournage directement en 3D. Je suis sûr que cela changera avec le temps, mais pour le moment la conversion 3D ne parvient pas à créer l'illusion d'une troisième dimension. Tourner directement en 3D, comme nous l'avons fait pour Hell Driver, donne au public une expérience véritablement réelle, pas la transcription de cette dernière.

 


 

Quelles étaient vos intentions artistiques en réalisant Hell Driver 3D ?

Après My Bloody Valentine, Todd et moi voulions faire un autre film en 3D, mais pas un pur film d'horreur. Un road movie en 3D, plein de supernaturel, d'action, de voitures avec Nick Cage nous paraissait la seule chose à faire. Nous voulions embarquer le public avec Nicolas Cage, le faire participer à l'action, aussi saugrenu et fou que ce soit.

 

James Cameron a critiqué la 3D « pop-corn, » mais n'est-ce pas la vocation de la 3D dans les films d'action ou d'horreur ?

Pour moi c'est le cas. Je comprends la position de Mr Cameron sur la 3D « pop-corn. » Mais au final, est-ce que ça n'est pas notre métier ? Fournir du divertissement ? Vendre du pop-corn ? Je pense que Mr Cameron est un réalisateur absolument brillant. Peut-être seulement devancé par Spielberg (bien que Chris Nolan soit sur le point de devancer Cameron sur le plan de l'inventivité cinématographique). Terminator et Aliens sont deux de mes films préférés. Les long-métrages de Cameron sont des sources d'inspiration à couper le souffle pour quiconque les voit.

Pour autant, si la 3D offre l'opportunité, pour un certain genre de films, non seulement d'amener les spectateurs dans l'univers du film, mais d'amener le film aux spectateurs, pourquoi ne pas s'en saisir ? La technologie le fait si bien. Et je ne parle pas d'objets balancés au visage du public toutes les 10 secondes... mais comme un crescendo pour mettre en lumière l'action et donner à la foule une secousse, pourquoi ne pas l'utiliser ? Pour les films de genre sans doute, utiliser cette technologie de cette manière est naturelle. Sur My Bloody Valentine, rien que le titre signifiait ce que le public attendait de nous.

 

 

Les films de genre devront-ils tous passer à la 3D ?

Certains films se destinent plus spécifiquement à la 3D et peuvent vraiment exploiter le format pour appuyer l'histoire. Mais ça ne s'applique pas à tous les films.

 

Amber Heard est sur le point de devenir une icône du cinéma de genre tandis que Nicolas Cage en est déjà un des ambassadeurs. Comment se sont combinées leur deux personnalités sur le plateau ?

Amber et Nick étaient formidables sur le plateau. Nous avions décidé qu'il s'agirait d'une alliance entre les deux personnages, pas d'une romance. Nick et Amber l'ont compris immédiatement et lui ont donné vie exactement comme nous l'espérions. Ils sont tous les deux des acteurs incroyablement professionnels, intelligents et attentionnés.

 

Amber Heard est-elle la nouvelle action-girl d'Hollywood ?

Si elle le veut, Amber pourrait très facilement devenir une sacrée icône du cinéma d'action. Elle a l'embarras du choix et beaucoup de talent. Quoi qu'elle décide de faire, ça la regarde, et je sais qu'elle le fera le mieux du monde.

 

Un mot de l'énorme surprise du film : William Fichtner. Il est incroyable, tellement drôle et nous pensons qu'avec Nicolas Cage, il forme un des meilleurs duo du moment.

Fichtner est une révélation. J'ai toujours été fan de son travail, toujours depuis Contact. Avoir l'opportunité de collaborer avec lui sur Hell Driver était un rêve devenu réalité. C'est un tellement bon acteur, il a tant de charme, et un tel contrôle sur son art. Tous les jours où il était sur le plateau était une joie, rien qu'à le regarder travailler. Voir les variations, les nouvelles directions où il emmènerait le personnage. Bill est un véritable explorateur. Courageux dans son approche. C'était notre premier choix pour le rôle, et je ne vois personne d'autre le jouer.

Lui et Nick ensemble, c'est de l'or, leur interaction est si vraie et unique. Ils sont adversaires à l'écran, mais dans un grand respect. Je sais qu'à plusieurs reprises Nick a été tellement surpris et excité par ce que Bill offrait, ce qu'il faisait du personnage, ses tours et détours inattendus, qu'il a dit qu'il n'avait plus qu'à se laisser hypnotiser par le personnage que créait Bill.

 

 

Seriez-vous intéressé par la réalisation d'une séquelle de Hell Driver ?

Je doute que ça  n'arrive jamais. Les personnages sont de vieux amis de Todd et moi, comme les acteurs qui les ont interprétés. Un jour peut-être, mais pour le moment, profitez de ce qui est là, car c'est tout ce qu'il y a !

 

Remerciements à Kinema Film et en particulier à Olivia Malka et Sophie Martins pour avoir rendu cette interview possible.

 

 

 

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