Manuel Pradal (La Blonde aux seins nus)

Laurent Pécha | 21 juillet 2010
Laurent Pécha | 21 juillet 2010
De retour en France après plusieurs films à l'étranger (dont Un crime avec Harvey Keitel), Manuel Pradal nous entraîne sur les fleuves de France avec La Blonde aux seins nus. Une histoire romantique sortant des sentiers battus.

 

Quelle est l'origine de ce projet ?

Après deux films à l'étranger, j'avais envie de revenir en France, de tourner pour la première fois près de chez moi. Je me suis demandé comment j'allais filmer Paris et j'ai imaginé filmer la ville par le fleuve, raconter toute l'histoire depuis le fleuve. Au départ le film était un river movie et peu à peu les éléments sont arrivés et il y a eu ces deux frères qui vivent au cœur de ce Paris du fleuve dans leur péniche et qui vont rencontrer une fille issue de la bourgeoisie ou du monde des arts. Le film est l'histoire de leur rencontre plutôt volcanique et aussi poétique j'espère.

 

 


 

L'Atalante semble être l'une des principales références du film...

L'Atalante n'est pourtant pas ma référence pour ce film là. Je crois que la référence est très rapide car c'est l'un des rares films qui se soit fait sur une péniche à Paris. Je pense que le raccourci se fait par là. Mais très franchement ce n'était absolument pas ma référence, même si Vigo est un cinéaste formidable.

On retrouve quand même le côté poétique dans votre film.

Peut-être, mais ce n'est pas à moi de le dire. Les français sont plus habitués au naturalisme. Dès qu'on sort un peu du carcan réaliste, on est plus tellement français... ou alors les seules références sont à la limite Demy, Vigo ou des cinéastes comme ça... qui sont pour moi des références magnifiques.

Vous combinez trois choses qu'il faut traditionnellement éviter pour qu'un tournage se passe bien : vous tournez avec des enfants, avec des animaux et sur un cours d'eau...

En général, je combine les trois ! J'ai souvent tourné sur les mers, mais là c'est la première fois que je tourne sur un fleuve et je dois dire que c'est tout aussi compliqué. On ne le sait pas forcément mais la Seine ou la Marne ont beaucoup de courants, donc parfois la péniche ne pouvait pas remonter la Seine. Quelquefois il n'y a pas assez d'eau, quelquefois il y a des crues, quelquefois il y a la grève des écluses... Ce n'est pas un long fleuve tranquille !

 

 

On sait que c'est très compliqué de tourner dans Paris alors ce doit être pire pour tourner sur le fleuve...

Oui, c'est très compliqué. En plus il y a un sens de navigation qui fait que si on rate une prise, par exemple le plan final avec une grue, il faut quasiment une heure avant de pouvoir retourner. On n'avait droit qu'à une prise en gros... On est aussi pour des questions d'assurance obligés de n'être que quinze sur le bateau, c'est des contraintes qui fabriquent aussi un certain style de cinéma. Je ne pouvais pas me permettre des mouvements de caméra délirants. On est bordé de deux rives, même dans la façon de filmer je dirai.

Il y a vraiment une magie du fleuve...

Pour avoir beaucoup navigué, je sais que lorsqu'on regarde depuis l'eau on a un point de vue différent sur le monde. J'ai essayé de trouver une histoire inédite et originale, mais déjà ce point de vue là crée des perspectives inédites pour moi. Le fleuve a été réinventé par le montage : il est très beau dans le film mais il est compliqué à retrouver dans cette force là.

On a re-fabriqué ce film mythique, et j'ai eu ainsi tous les éléments canoniques de beauté, d'harmonie et des éléments romanesques pour créer ce huis-clos à ciel ouvert et laisser voguer ces trois pieds-nickelés ou ces trois misfits au fil de l'eau.

Comment avez-vous réussi à rendre crédible cette histoire peu réaliste ?

Ce qui m'intéressait, c'était de commencer dans un film léger, presque comme une fantaisie. J'ai fait deux films en langue anglaise, et j'ai traversé une partie du cinéma américain : ils sont très habités au romanesque, ils n'ont pas de complexes de ce côté-là, du côté des histoires, de la fiction. En France, on a toujours un complexe du réalisme.

La première fantaisie, que ce soit un enfant qui vole un tableau au musée d'Orsay, d'abord ça arrive fréquemment dans les musées. Ce ne sont pas les endroits les mieux gardés du monde. Après on est dans un conte, l'idée c'était d'abord de voler ce tableau par les yeux d'un enfant, un peu comme un miracle et ensuite de raconter l'histoire de la rencontre de la gardienne du musée avec ces deux loulous.

Le film est plus proche de la comédie. On accepte certaines invraisemblances d'histoire parce qu'on sait qu'elles vont nous servir pour avancer vers autre chose. Et là, cette autre chose c'est la rencontre  entre ces deux garçons et cette fille, façon Les valseuses en plus soft mais sur un Paris qu'on ne voit plus tellement et qui existe pourtant.

L'intrigue policière est peut-être ce qui est le moins réussi dans le film...

Il faut trouver la juste mesure entre ce qui est de l'ordre de la rencontre, et en même temps on ne peut pas se débarrasser de tout ce qu'on a instauré en terme d'histoire : le tableau a été volé, il y a eu des commanditaires qu'il faut faire revenir pour ne pas être dans la fantaisie pure, mais pas trop souvent pour ne pas basculer dans le polar. Il faut trouver un juste milieu. La difficulté du film, c'était de passer de quelque chose de léger à un drame. A un moment donné, les masques tombent, l'amour les accroche les uns et les autres et le réel les rattrape d'une certaine façon.

Le titre est-il volontairement accrocheur ?

Je suis loin des arguments marketing, c'était plus un clin d'œil sur une sensualité affirmée alors qu'aujourd'hui tout le monde se recroqueville, les corps n'osent plus se montrer. Je voulais un titre qui monte sans complexe l'idée du corps et de la sensualité. J'ai filmé Vahina enfant, je voulais la retrouver jeune femme, avec une sensualité qui s'est développée et qui est aujourd'hui débordante.

 

Vahina Giocante a une capacité à être dénudée de façon totalement naturelle...

Oui, elle me fait penser aux actrices italiennes des années 1960. Elles étaient très sensuelles tout en restant pudiques. Vahina dégage ça elle aussi, mais c'est aussi du jeu, de la performance d'actrice : savoir dévoiler sans montrer. Elle a beaucoup d'aisance car elle a été danseuse et est donc très à l'aise avec son corps. Le travail du metteur en scène est de mettre en harmonie son corps et le décor, et le fleuve permettait de retrouver le terrain de sa sensualité, après la Méditerranée dans Marie baie des anges.

 

 

 

 

 

Retranscription par Pierre-Loup Docteur

Autoportrait de Manuel Pradal

 

 

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