Julien Boisselier (Gardiens de l'ordre)

Damien Tastevin | 8 avril 2010
Damien Tastevin | 8 avril 2010

Fidèle du cinéaste, Julien Boisselier revient pour la troisième fois devant la caméra de Nicolas Boukhrief. Pour jouer un méchant trafiquant de drogue. L'acteur a visiblement pris beaucoup de plaisir à entrer dans la peau de son personnage et cerne avec justesse l'univers de son réalisateur.

                               

Comment êtes-vous arrivé sur le film de Nicolas Boukhrief ?

Assez naturellement en fait, puisqu'il m'en a parlé six mois avant de commencer à écrire. Il m'a dit « Voilà, j'aimerais bien te voir dans un méchant, j'ai envie d'écrire un truc pour toi. » Okay, pourquoi pas ? Allons-y ! J'avais déjà travaillé deux fois avec lui, sur Cortex et sur Le convoyeur. Six mois plus tard, il m'a rappelé et m'a dit « Voilà, j'ai un séquencier,  faut que tu lises ». Moi je lui ai dit que j'étais d'accord, que je le ferais de toute façon mais il m'a dit « Lis d'abord quand même. » J'ai lu et dans la foulée je lui ai dit d'accord, on y va, c'est parti !

 

 

Est-ce que jouer un méchant est l'occasion de vous faire plaisir ?

Je n'en avais jamais vraiment fait des méchants, donc c'est toujours excitant de faire quelque chose de nouveau. On a l'impression de découvrir un autre univers et puis surtout, pour être franc, le scénario était super solide. Le personnage était vraiment bien construit, il l'avait écrit en pensant à moi, avec la musicalité que je peux avoir quand je joue. La première chose que j'ai dite c'est qu'il n'y avait rien à changer, j'aurais pu tourner le lendemain matin. Le travail de personnage avait presque été fait pour moi donc c'était très agréable. 

Mais les personnages n'évoluent pas trop. Mark, le méchant que vous interprétez, est malicieux, vicieux, prêt à péter un plomb à n'importe quel moment, on a l'impression que c'est vous qui sortez ça ?

C'est mon travail. Je trouvais les situations assez cohérentes et ce sont elles qui font exister un personnage. Je comprends bien quand vous dites qu'il n'y a pas vraiment d'évolution. On prend les personnages tels qu'ils sont et on avance avec eux comme ça, d'un trait. Mais en même temps, quand vous avez un réalisateur qui vous aime, qui vous connait, il y a un espace de liberté qu'il vous donne qui est royal. Une fois qu'il vous a placé dans son cadre, Nicolas achète vos idées, il vous aime, il vous regarde, il a un œil. Ça ne veut pas dire qu'il est admiratif, au contraire il travaille avec vous dans votre sens. Vous n'êtes jamais bridé donc il y a une liberté qu'on acquiert au fil du tournage. Moi je l'avais dès la première prise, parce que j'avais quelqu'un qui était heureux de m'avoir dans ce rôle-là. Et pour nous, c'est primordial. 

 

 

 

André Dussollier, votre camarade de Cortex, a dit quelque chose d'extrêmement pertinent : dans un film il y a le script que vous lisez, le script que vous tournez, le script que vous montez et parfois ça n'a rien avoir. Que pensez-vous de cela par rapport aux Gardiens de l'Ordre ?

Je ne sais pas, je n'ai pas forcément d'avis là-dessus. C'est vrai que la première fois que j'ai vu le film, j'étais très fier d'être dedans parce que je trouve que ce n'est pas un polar de plus. Il y a vraiment une vision, un ton. Nicolas creuse un sillon, c'est de plus en plus personnel ce qu'il fait tout en restant très accessible. Ça reste un raconteur d'histoires avant tout, mais il se sert de ses références cinématographiques qu'il met au service de son histoire. Il ne le fait rien "à la manière de", mais on sent que c'est quelqu'un d'extrêmement cultivé, d'extrêmement cinéphile et que tout ça c'est pensé, c'est creusé. Au final, j'étais vraiment surpris de savoir où on allait. C'était assez clair ce qu'il nous offrait, ce qu'il nous proposait, la manière dont il voulait tourner ce film. J'ai trouvé qu'il y avait, ce que je n'avais pas imaginé au départ en le tournant, une violence permanente dans ce film. Cette violence n'est pas liée aux coups de feu parce qu'on ne peut pas dire qu'il y en ait beaucoup. Mais il y a une vraie noirceur et je trouve que ça devient de plus en plus son univers  et paradoxalement c'est extrêmement accessible. On part d'un point A pour aller à un point B, il nous raconte une histoire très efficace et très concrète. On est dans quelque chose de très réaliste dont on ressort avec un parfum d'étrangeté. On a vécu avec ces gens et il y a une humanité qui se dégage de tout ça, c'est crédible. Il a fait le film dont il nous avait parlé.

Vous êtes assez cinéphile vous aussi ? Nicolas Boukhrief vous a-t-il parlé de ses références à Police Fédérale, Los Angeles ou à Rush ?

Non. Contrairement au Convoyeur, où il disait souvent vouloir faire un plan à la manière de tel ou tel réalisateur. Certaines personnes ont une culture cinématographique tellement énorme qu'ils ne peuvent pas s'empêcher de faire des références qui viennent parfois les parasiter. Je trouve que maintenant il a ingurgité et digéré ses références, maintenant il fait son cinéma tout simplement.

 

 

La peinture du milieu de la nuit est l'un des meilleurs éléments du film. Ça faisait longtemps qu'un film n'avait pas représenté le milieu de la nuit de façon aussi réaliste ?

C'est une question qu'il faudrait lui poser. J'aime bien la nuit, quand je ne travaille pas je me réveille la nuit. Il y a des gens qui ont tendance à se lever tôt le matin, moi j'ai plutôt tendance à me coucher tôt le matin. Parce que j'aime sortir, j'aime partager des moments avec mes amis le soir, j'aime la musique, j'aime danser. Lorsque le soleil se couche, des espaces de libertés s'offrent à nous. Je ne suis pas un vampire mais je me sens beaucoup plus libre à partir du crépuscule. Ma curiosité commence à se réveiller. Je ne sais pas pourquoi, c'est comme ça ! Ça fait de nombreuses années que je suis lié à un milieu de la nuit qui fait que j'ai des amis qui me ressemblent et avec qui je partage ces moments-là. Ça m'aide beaucoup dans mon métier d'acteur et ça m'a beaucoup aidé pour le film parce qu'on en croise des gens comme ça finalement. La nuit, on rencontre des bandits, c'est là qu'ils sortent. On peut se retrouver dans une boite à discuter avec quelqu'un et se dire au bout d'une demi-heure « Toi tu es sacré bandit ! » En même temps c'est souvent des gens très séduisants, très intelligents, très malins. Mais tout cela est éphémère, ce qui se dit la nuit on voit rarement le jour. J'aime bien cette phrase-là, ça m'aide à me construire en tant qu'homme bizarrement. Ça m'aide aussi dans mon métier d'acteur parce qu'on observe les gens avec un autre regard la nuit.

Il y a dans le film des échanges assez forts. Comment ça s'est passé avec Cécile de France qui est une star et Fred Testot qui démarre au cinéma dans ce rôle dramatique ?

C'est notre métier. Ça c'est bien passé, c'est vraiment très compliqué de ne pas s'entendre avec Cécile de France et Fred Testot. A la base, ce sont des gens qui sont extrêmement sympathiques et extrêmement simples, c'est des gros bosseurs.  On a fait les choses sérieusement sans se prendre au sérieux. Au final c'est la complicité qu'on a créé qui nous a aidés à nous opposer à l'image.

Des regrets ?

Alors là, si vous me dites ça (rires) ! Chaque scène je me dis que j'aurais pu faire mieux. André Dussollier est aussi comme ça. C'était incroyable de tourner avec lui, la première fois qu'on a terminé une scène je l'ai vu tout seul en train de répéter le texte. J'ai été le voir et je me suis rendu compte qu'il était en train de refaire la scène. Je voyais dans son œil tout ce qu'il n'avait pas réussi à faire ou tout ce qu'il aurait voulu faire en plus. Et je me disais « Tiens c'est marrant parce qu'on est un peu tous pareil. » On court après la prise magique mais finalement on ne sait pas quand la magie est là, c'est le metteur en scène qui nous arrête. Certains comédiens, si on ne les arrête pas, font 53 prises et finalement ça ne sera jamais bien. Donc je ne suis jamais satisfait de mon travail mais je me vois de plus en plus sous la coupe d'un metteur en scène, sous sa protection. Et j'arrive, au bout de la deuxième ou troisième fois où je vois le film, à regarder vraiment le film et non à me regarder sous toutes les coutures en me disant « Ah, j'aurais pu faire mieux là. » Mais je reste un insatisfait permanent, je fais avec c'est tout.

 

 

A l'image de Benoît Magimel, vous avez envie de passer à la réalisation ?

Non, moi je commence à produire. Le métier de réalisateur n'est pas quelque chose qui m'attire et puis c'est tellement difficile de réaliser un film. Il faut tellement l'avoir dans les tripes, c'est tellement dur. Ça demande un tel investissement que si on n'en rêve pas la nuit, à mon avis, il ne faut pas y aller. Par contre la production. On a produit note premier long-métrage là, j'avais déjà produit deux courts. C'est quelque chose qui m'intéresse de plus en plus de faire se rencontrer les gens. Cela m'excite et me fait sortir de mon métier d'acteur qui se regarde le nombril toute la journée. Là on est obligé de s'occuper des autres, c'est pas mal, ça fait du bien (rires).

Vous voudriez faire plus de premiers rôles ?

J'ai envie d'en faire évidemment. J'aimerais bien qu'on me propose plus de premiers rôles. On m'en propose mais mon souci c'est de rencontrer des metteurs en scène maintenant, de voir des gens qui ont des visions et de m'embarquer avec eux. Qu'elles soient bonnes ou mauvaises, que je sois d'accord ou pas, ce n'est pas le problème. Je veux vraiment avoir quelqu'un qui a un point de vue. A partir de là que ce soit un premier rôle ou un second rôle m'importe peu. Ce qui change c'est qu'on est mieux payé quand on a un premier rôle car on a plus de jours mais au final c'est vraiment la quête du réalisateur qui reste. Isabelle Hupert à l'époque du Pianiste avait dit un truc à Cannes que j'avais trouvé génial. Comme une snipeuse, comme une chasseuse, elle avait dit « Haneke ça faisait très longtemps que je l'avais repéré. » Je trouve que c'était une phrase assez juste. Il y a maintenant un vrai travail pour les acteurs d'aller repérer des metteurs en scène. C'est ça qui nous rend meilleur.

Vous avez repéré qui ?

J'en ai repéré beaucoup. On a de la chance là, en France on a une nouvelle génération qui débarque comme Xavier Giannoli et aussi la garde confirmée comme Audiard. Il y a de plus en plus de films français qui me font rêver et je trouve que le niveau a vraiment grimpé. On a de la chance d'être en France en ce moment.

 

 

 

 

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