Entretien avec Bong Joon-ho : « Tellement d'histoires à raconter »

Thomas Messias | 25 janvier 2010
Thomas Messias | 25 janvier 2010
Il y a la barrière de la langue et l'obligation de passer par la charmante interprète pour pour se faire comprendre ; pourtant, Bong Joon-ho est si généreux et passionné que les échanges se passent non seulement sans heurts, mais quasiment avec une sorte de grâce qui ne touche que certaines interviews. Nous étions plusieurs à mener conjointement cet entretien ; nous avons tous eu la même impression. Et l'on ne s'étonne guère qu'un type comme ça soit capable de réussir des films aussi brillants.

 

 

 

 

Entretien > D’où part l’idée du film ? Du personnage de la mère ?

Bong Joon-ho - Tout a commencé avec une actrice, Kim Hye-ja, qui m’a décidé à faire ce film. C’est une grande actrice, une icône en Corée du Sud. Je voulais l’utiliser de manière différente en lui faisant jouer quelqu’un de fou alors qu’elle était habituée à des personnages chaleureux, vertueux. Elle a toujours joué des rôles de mère, c’est un peu la « mère nationale » du cinéma coréen. J’ai voulu réexploiter cette figure en me concentrant sur la relation mère-fils. Si Hye-ja avait refusé le rôle, je pense que le film ne se serait pas fait. Je n’imaginais personne d’autre dans ce rôle-là.


Plus qu’un film à suspense ou un portrait de femme, Mother est davantage un film sur la recherche de l’oubli.

Exactement. Le souvenir est une sorte de sous-texte du film. Le film est plein d’ironie : le fils oublie tous les éléments importants dont il devrait se souvenir ; en revanche, il se rappelle parfaitement ce qu’il aurait intérêt à oublier, notamment un traumatisme d’enfance.
Même si c’est complètement fictionnel, je parle dans le film d’un point d’acupuncture situé sur la cuisse qui nous permettrait d’oublier tous les mauvais souvenirs. Les médecins orientaux risquent de s’arracher les cheveux en voyant cela, mais c’est une volonté de ma part : je voulais montrer à quel point il est douloureux de vivre avec un souvenir qu’on veut effacer mais qu’il est impossible de faire fuir. D’où une scène où la mère se pique elle-même pour tenter d’oublier : le spectateur sait que c’est en vain, tant cette douleur est éternelle et sans issue.






L’humour occupe une place importante. Était-il important de le mélanger à d’autres genres, comme le thriller ou le polar ?

Dans la vie courante, y compris dans les moments les plus douloureux, il y a toujours des instants qui peuvent prêter à rire, même si cela peut paraître gênant de rire du malheur des autres. C’est pourquoi il y a beaucoup d’humour noir dans mes films. Mais je n’attache pas vraiment d’importance au fait que certaines personnes puissent rire à gorge déployée ou prennent ça à la légère. Je suis assez à l’aise avec ce genre de situation, je ne cherche pas à ce qu’une scène fasse absolument rire tous les spectateurs.
Par exemple, la scène où le fils casse le rétroviseur aurait pu être une scène de comique absurde, mais tout dépend de la manière dont on filme une scène. J’ai toujours envie de filmer de façon très réaliste et de ne surtout pas exagérer pour forcer le spectateur à rire.


Le film touche à beaucoup de genres. Y a-t-il un genre particulier vers lequel vous voudriez tendre ?

Pour moi, le genre n’est pas un but en soi. Ici par exemple, le but était avant tout de parler d’une mère qui se trouve prise dans des situations extrêmes. Cela m’a mis petit à petit sur le chemin du thriller. Même chose pour mes films précédents : pour The host, je ne me suis pas dit « je vais faire un film de monstres », etc… L’histoire et les personnages me guident, et le genre devient ensuite un moyen de raconter ces histoires. Cela m’amène donc à explorer beaucoup de genres différents. En revanche, il y en a un que je suis sûr de ne jamais aborder : la comédie musicale. Je déteste ça…







Que pouvez-vous nous dire de votre projet d’adaptation de la bande dessinée Transperceneige ?

J’ai beaucoup aimé Transperceneige. C’est un univers très spécial, unique, une sorte de SF sombre. En surface, mon adaptation sera très différente de mes précédents films ; mais en profondeur, pas tant que ça, car c’est un film qui parle de survie, de la condition humaine, de personnes ordinaires qui révèlent leurs véritables instincts une fois plongés dans des situations extrêmes. Ça se passe après la fin du monde : les survivants sont dans un train, se battent entre eux.


Il y a une certaine poésie qui se dégage de vos films, et ce de façon permanente. Est-ce présent à l’écriture ou est-ce que cela est une conséquence naturelle du style qui est le vôtre ?

C’est assez dur pour moi de répondre car j’ai du mal à réaliser ce qui est vraiment poétique dans mes films. Je ne sais donc pas si c’est volontaire ou si ça vient de la forme que j’utilise. Mon premier souci, c’est la narration, à savoir comment raconter une histoire le mieux possible. J’espère réussir un jour un film extrêmement poétique, mais je ne sais pas si j’en serai capable. Je suis épaté par un film comme Elephant où l’histoire horrible n’empêche pas une certaine poésie de s’installer. Il faut un certain degré de maîtrise pour arriver à ce niveau-là.







Comment vivez-vous l’accueil de vos films chez nous et quel est votre avis sur la diffusion et le rayonnement des films asiatiques en France et en Europe ?

Comme je ne travaille pas dans la distribution, je ne sais pas ce qui se passe en coulisses. Je sais que Memories of murder et surtout The host ont été bien distribués en France, mais que finalement ils n’ont pas très bien marché. La grande différence entre l’Europe et la Corée, c’est qu’ici il existe encore un marché du DVD alors que chez moi il s’est complètement effondré depuis quelques temps. Les films ont donc une deuxième chance d’approcher les spectateurs qui n’auraient pas vu le film en salles. Moi qui suis allé en Angleterre ou en Espagne pour la promotion de mes films, je peux affirmer que la France est un pays qui se porte bien, où l’on peut voir beaucoup de films étrangers. D’ailleurs la Corée a de plus en plus tendance, sans doute trop, à compter sur le marché français pour faire vivre ses productions locales.
Pour The host, le distributeur Ocean Films a sorti un grand nombre de copies, dont la moitié en version française. J’avais été très étonné d’apprendre qu’en France, on double les films étrangers. On m’avait alors expliqué qu’en province beaucoup de gens préféraient voir les films en français. Pour Mother, on m’a rassuré en m’apprenant qu’il n’y aurait pas de version doublée. Ravi de savoir qu’on a fait une exception pour moi. (rires)


Il y a actuellement, en particulier à Hollywood, une vraie folie autour des remakes de films asiatiques. Quel est votre opinion sur ce phénomène ?

Il y aura un remake de The host. Les droits ont été achetés par Universal et le film sera produit par Gore Verbinski. Il sera réalisé par Fredrik Bond, jeune anglais réalisateur de publicités. Personnellement, je n’y attache pas trop d’importance : j’ai tout donné à la société de production, c’est leur travail et pas le mien. Je suis assez philosophe. De deux choses l’une : soit le remake est génial et je serai fier d’avoir inspiré ce travail, soit c’est un gros navet irregardable et je serai content de me dire que mon film est le meilleur.
J’ai tellement d’histoires à raconter que les suites et les remakes ne m’intéressent pas trop en tant que cinéaste. J’ai toujours envie d’aller vers quelque chose de nouveau, d’essayer de réaliser encore un film avant de mourir. En ce moment, je travaille déjà sur le film qui suivra Transperceneige.

 

 

Propos recueillis le 9 décembre 2009 à Paris, avec Mélissa, Pierre-Loup et Nicolas.

Merci à Florian et Jérôme.

Photos : Caro.

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