Eric Valette (Une affaire d'Etat)

Jean-Noël Nicolau | 21 novembre 2009
Jean-Noël Nicolau | 21 novembre 2009

Immense réussite du genre (le polar), Une affaire d'Etat est l'oeuvre d'un cinéaste français qui s'était exilé quelques temps aux Etats-Unis après un excellent premier film, Maléfique, en 2003. On est donc ravi de revoir Eric Valette de retour au pays et surtout heureux de pouvoir le rencontrer et découvrir les secrets de fabrication d'un film qui fera date.

 

Une affaire d'état marque votre retour dans les salles françaises après la sortie de votre premier film, Maléfique en 2003. Que s'est-il passé durant ces six années?

Entre la sortie de Maléfique en 2003 et mon départ aux Etats Unis, il s'est écoulé trois ans. Trois années durant lesquelles j'ai essayé de développer divers projets mais sans succès: un thriller économique sur Clearstream inspiré des enquêtes de Denis Robert, un western dans la grande tradition européenne des années 60 nommé Dark Guns... Parallèlement je continuais à tourner des publicités et quelques épisodes des Guignols mais en conservant ma volonté de reprendre la réalisation de longs métrages. Puis on m'a proposé, par l'intermédiaire de mon agent américain, un film de commande qui semblait à la fois intéressant et prêt à se faire.

 

 

Vous parlez certainement de One missed call, remake de La mort en ligne de Takashi Miike: votre film n'a pas très bonne réputation...

Quand j'ai découvert le script de One missed call, je l'ai trouvé vraiment bien: je ne connaissais pas le film original de Takashi Miike mais j'avais l'impression de lire un vieux giallo des années 70 plein de bons éléments, de bons rebondissements... C'était incroyablement bien écrit par le romancier Andrew Klavan dont l'un des romans avait été adapté par Clint Eastwood pour Jugé coupable. Malheureusement, passé aux filtres des trois sociétés de production et raboté de toutes ses originalités, le film est devenu insipide et sans intérêt. Mais l'expérience était instructive !

 

Quel regard portez-vous sur cette aventure hollywoodienne?

J'assume totalement d'avoir fait ce film mais je ne reconnais absolument pas le résultat final: One missed call est devenu exactement ce qu'en voulaient les producteurs mais est à des lieux de ce que j'ai tourné. Je ne suis ni amer, ni aigri vis-à-vis de cette aventure: en fin de production, j'allais aux Etats Unis en connaissance de causes mais il est évident qu'aujourd'hui cette expérience m'a ouvert les yeux sur le système hollywoodien.

 

C'était surtout pour vous la première fois que vous aviez l'occasion de travailler sur une grosse production.

J'avais déjà eu l'occasion de diriger de grosses équipes sur certaines publicités mais la réalisation de One missed call m'a permis d'appréhender sous un autre angle les tournages importants: c'est une autre dynamique. Maintenant dire que le travail avec une grosse équipe américaine est plus enrichissant qu'avec une autre me semble inexacte: l'expérience est importante quelle que soit l'équipe. Il est vrai cependant qu'un tournage hors de France est intéressant car les contraintes ne sont pas les mêmes: il n'y a vraiment que chez nous où l'auteur est vraiment choyé!

 

 

Vous semblez échaudé par cette expérience...

Je  n'ai jamais eu le désir de faire une longue carrière américaine: j'avais plus dans l'idée de me diversifier et de m'offrir la possibilité de faire des films aux Etats Unis. Quoi qu'on en dise, Hollywood ouvre un nombre incroyable de portes et permet de faire des rencontres aboutissant quelques fois à d'authentiques chefs d'œuvre. Mais ma volonté première est toujours restée de faire du cinéma en France.

 

Comment expliquez-vous le fait qu'il n'est jamais été distribué en France?

Je ne sais pas trop surtout qu'il est sorti un peu partout dans le monde! Peut être la Warner a-t-elle jugé que le public en avait assez des remakes de films japonais. Mais je ne comprends pas pourquoi il n'y a pas eu de sortie en direct-to-dvd.

 

Vous enchainez ensuite avec Hybrid, une aventure mettant en scène une voiture possédée.

A l'origine, je devais revenir en France pour réaliser Une affaire d'état, un projet que je préparais depuis près de cinq ans. Mais on n'était pas prêt à tourner et je me suis retrouvé avec un peu de temps devant moi Par chance, un producteur avait vu le director's cut de One missed call sur le banc de montage et il l'avait trouvé pas mal. Il m'a alors proposé de faire Hybrid à la manière des vieilles séries B des années 70: un vrai divertissement bouclé en moins de six mois! Du pur bonheur!

 

 

 

Et aujourd'hui après trois films fantastiques, vous revenez en France avec un thriller, Une affaire d'état. Comment expliquez vous ce changement de cap?

Je suis très éclectique donc pour moi passer de Hybrid à Une affaire d'état me semble cohérent. Dans chacun des films sur lesquels j'ai travaillé on me retrouve un peu. Pour Maléfique par exemple, on retrouve ma passion pour les univers loftcraftiens. Et on retrouve dans le fantastique comme dans le thriller des thématiques qui m'intéressent.  Mais il est vrai qu'Une affaire d'état est un film beaucoup plus personnel.

 

Vous soulignez qu'il s'agit d'une œuvre plus personnelle mais vous n'en écrivez pas le scénario. Comment expliquez-vous cela?

Maléfique et Une affaire d'état sont deux projets sur lesquels je travaillais bien avant que les premières lignes de script soient rédigées. A force de discutions et d'échanges avec les scénaristes, on finit par ne plus trop savoir ce qui vient de soi et ce qui vient des autres: on fait corps avec le film. Ce ne sont pas des films de commandes comme on en fait aux Etats-Unis et pour lesquels on met en image sans rien retoucher au texte. Ici, avoir des scénaristes et ne pas écrire soi-même permet de prendre de la distance vis-à-vis de son travail et offre un peu de flexibilité aux gens qui travaillent autour.

 

Une affaire d'état possède un casting impressionnant mais pour le coup inattendu.

La qualité vient généralement du contre-courant. Il est évident que le film avait besoin d'un moteur rassurant pour pouvoir se faire: André Dussollier correspondait à mes désirs et incarnait une sécurité pour la production. Pour les autres acteurs, il fallait trouver une certaine cohérence dans le casting: Une affaire d'état est un film choral et ne devait surtout pas avoir de figures égocentriques. Au contraire, il devait y avoir de réels échanges entre les protagonistes et tous devaient exister véritablement et ce même s'ils n'étaient que quelques minutes à l'écran.

 

 

Un mot à propos de Thierry Fremont qui incarne remarquablement un personnage ambigu et trouble?

Thierry était avec nous dès le départ il y a cinq ans et je suis ravi qu'il ait tenu jusqu'au bout. C'est un acteur de la trempe des De Niro: il a un charisme impressionnant et une sidérante capacité à incarner les rôles qui découle directement de la grande école des années 70. C'est le genre de type dont tu vois le personnage sans jamais capter l'acteur: il est intense et n'est jamais dans le paraitre. Malheureusement, il est beaucoup trop sous-exploité...

 

Chose rare en France, le film s'est fait sans l'aide des chaines de télévision hertziennes !

L'avantage c'est qu'il n'y a eu aucune concession à faire: les chaines hertziennes ont tendances à vouloir se mêler de tout et ce jusqu'au casting... Le film n'est pas plus violent que ça mais reste sec et méchant: les seules coupes qu'a connu Une affaire d'état ont été faites pour conserver une efficacité et une fluidité narrative. C'est histoire complexe et dense qui se devait d'être digeste: hors de questions d'entretenir des propos incompréhensibles ou de perdre le public avec quelques scènes de trop. Nous avons visé l'essentiel. Il faut que le spectateur comprenne ce que tu as voulu faire. Après qu'il accepte ou pas, c'est une autre histoire!

 

Autre particularité: le film a été tourné entièrement en numérique mais il parait avoir été shooté en 35mm.

C'est sur le tournage d'Hybrid que j'ai pu travailler pour la première fois avec la Red One. Elle est largement supérieure à d'autres malgré son faible coût et avec de bonnes optiques on peut obtenir un aspect 35mm. Bientôt on ne se posera même plus la question de savoir si c'est de la pellicule ou du numérique. Au-delà de ça, ce n'est pas le grain qui offre une perception cinéma au spectateur: c'est avant tout un travail de mise en scène, de focale, de profondeur de champs...

 

 

Comment vous situez-vous vis-à-vis de votre film qui dévoile de manière violente les dessous d'un système?

Une affaire d'état est plus un prétexte à l'étude d'un système et de personnages qu'une réelle dénonciation: je ne suis pas dans une démarche militante et je ne tente pas d'éduquer les gens. Le film peut cependant leur donner envie de se questionner et de se positionner mais mon objectif premier était de leur offrir une expérience émotionnelle intéressante au travers des itinéraires de ces personnages qui se retrouvent broyés dans un monde impitoyable.

 

Vous parvenez à rendre les héros d'Une affaire d'état attachants alors qu'il s'agit en fait de personnages foncièrement troubles. Comment avez-vous approchez ces figures?

Je pense qu'un cinéaste se doit d'aimer l'intégralité de ses personnages et ce même dans les extrêmes.  Parce que s'il ne trouve pas la parcelle d'humanité des personnages, c'est que le film est véritablement manichéen. On doit pouvoir s'identifier ou au moins comprendre leurs attitudes.

 

 

Une affaire d'état, en plus de ses grandes qualités de mise en scène et d'interprétations, possède une bande son incroyable.

C'est Noko qui a fait la bande son du film: il faisait parti d'un trio britannique nommé Apollo 440 et ayant connu pas mal de hits dans les années 90. Ils avaient fait entre autre pas mal de génériques pour Charlie's angels ou Lost in Space par exemple. Je devais collaborer avec Noko sur un projet anglais qui ne s'est pas fait mais on était resté en contact: je sentais dans ses compositions qu'on aimait les mêmes choses. Avec la même sensibilité, on a élaboré une composition contemporaine mais à l'ancienne: pas retro mais référentiel et possédant un thème par personnage. La musique se devait d'être omniprésente et devait surtout aller très loin: les personnages ne dévoilant jamais ce qu'ils ont réellement en tête, elle devait nous faire partager cette intériorité et éclairer sur leurs vraies natures. Noko a fait un travail admirable!


Et à propos de Morricone?

La mélodie de Morricone a une vraie signification par rapport à un personnage: je ne l'ai pas mise dans le film parce que je la trouvais cool ou branchée un peu comme le ferai Tarantino. Ici elle n'est pas gratuite mais est un vrai ressort dramatique.

 

Interview faite par Laurent Pécha

Retranscription faite par Florent Kretz.

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