Interview Micha Wald (Simon Konianski)

Thomas Messias | 29 juillet 2009
Thomas Messias | 29 juillet 2009

Après le massacre de son Voleur de chevaux par le distributeur, Micha Wald peut enfin promouvoir « normalement » un de ses films. Le jeune réalisateur belge nous parle de Simon Konianski, son deuxième long, aussi énergique et touchant que lui.

 

 

Concernant le titre, tu n’as pas peur qu’il ne soit pas assez percutant ?

Le titre, c’est toujours un problème. J’ai souvent un titre de travail, que je mets sur toutes les versions en me disant que je finirai par trouver quelque chose de mieux. Et puis ça traine, le film se fait, et le titre du départ est tellement ancré dans toutes les têtes que ça devient très difficile de le changer. On est passé par tout un tas d’idées : Goy story, Les tribulations de Simon Konianski en Ukraine… toutes sortes de trucs plus ou moins judicieux, avec à chaque fois l’envie de revenir à ce titre de départ, qui a le mérite d’être simple. Depuis, j’essaie de faire des efforts : quand j’ai un nouveau projet, je cherche un titre qui sonne bien avant même de me lancer dans l’écriture.

 

Tu peux nous raconter la genèse du projet ?

Dans mon troisième court-métrage, Alice et moi, il y avait déjà le personnage de Simon, sa tante, et quelques autres éléments qu’on retrouve dans Simon Konianski. Mon gros problème, c’est que j’ai beaucoup de mal à me limiter à un petit nombre de pages quand j’écris. Le scénario débordait de tous les côtés, j’avais des versions de 35 pages, plein de notes à propos de sujets que j’aurais aimé y traiter. Ça m’a donné envie d’écrire une sorte de suite, avec d’autres histoires arrivant à ce personnage. C’était déjà le cas pour Voleurs de chevaux, mon premier long, qui est né de l’un de mes courts. Et comme Alice et moi a eu une carrière hallucinante, j’ai eu d’autant plus envie de faire Simon. J’ai d’abord réalisé Voleurs de chevaux parce que je n’aime pas me répéter, et j’y suis revenu ensuite.

 

Qu’est-ce que tu partages avec Simon ?

Simon et le film sont très proches de ma vie : tout ce qui est dit dans le film, je l’ai entendu, tous les lieux me sont familiers, et il y a plein de situations que j’ai vécues. L’appartement est quasiment celui de ma grand-mère, j’ai vécu une histoire assez traumatisante avec une danseuse, j’ai fait le voyage en Ukraine avec mon père et mes frères, on a réellement assisté à un désossage de voiture à la frontière…

 

 


 

 

Jonathan Zaccaï, c’était un choix évident ?

Peut-être même trop évident. Dès le début, tout le monde n’avait que son nom à la bouche… sauf que lui ne voulait pas, trouvant le personnage trop proche de lui. Sa réaction a longtemps été « ça ne m’intéresse pas de jouer un gars que j’ai été, avec la même famille que la mienne ». Il sortait d’Élève libre, ce n’était peut-être pas le bon moment pour lui. On a pensé à quelqu’un d’autre, puis on est revenu vers lui, on a lourdement insisté, et il a compris que j’irais jusqu’au bout de mes idées et de mes envies.

 

Comment ça s’est passé entre vous ?

Ce qui était bien avec Jonathan, c’est qu’on a tellement de points communs – nos familles, nos origines bruxelloises, nos influences artistiques – qu’on s’est extrêmement bien entendus dès le départ. On rit des mêmes choses, donc quand je le poussais à faire plus de conneries face caméra, il était partant, j’en redemandais, il proposait de nouvelles idées, je surenchérissais, c’était sans fin. C’était assez jubilatoire et ça m’a vraiment donné envie de retravailler avec lui, de refaire un film sur le personnage de Simon. Préquelle, suite, je ne sais pas encore, avec l’objectif de faire un film vraiment très con, où on pourra se lâcher totalement parce qu’il n’y aura plus le fond sérieux qu’il y a dans Simon Konianski. Un truc presque pipi-caca, à la Borat, ou à la Apatow. Supergrave, c’est hilarant, ça y va à fond, ces mecs n’ont peur de rien… Là, mon film parle quand même de la tragédie du judaïsme contemporain, on ne pouvait pas tout s’autoriser.

 

Justement, l’écriture a dû être difficile. Le dosage entre la comédie et les sujets plus graves a dû être difficile à trouver…

Ça ne m’a pas semblé si compliqué. L’humour juif, comme beaucoup d’autres types d’humour, est fait d’autodérision, et comme l’histoire juive est bourrée de choses tragiques, on en rit. Chaplin, Woody Allen, Art Spiegelmann : tous ont ri de nos malheurs, de nos travers… Pour moi, ça allait de soi : c’est le genre d’humour dans lequel je baigne depuis tout petit, donc ça s’est fait assez naturellement. Quant aux gags très visuels, ils étaient assez peu écrits mais sont venus pendant le découpage. On a essayé plein de choses, et j’ai coupé quelques scènes tordantes à contrecœur, dont une où Simon essaie tant bien que mal de faire entrer le corps de son père dans un frigo.

 

On pense beaucoup à Wes Anderson sur plein d’aspects.

J’avais deux références en tête lorsque j’ai fait le film : La famille Tenenbaum et The big Lebowski. Les frères Coen pour la mise en scène et les personnages, et Wes Anderson pour l’exubérance, l’esthétique des costumes et des décors. À une différence près : ici, j’avais une histoire forte, avec des thèmes importants comme les camps de la mort ou le conflit israélo-palestinien, ce qui n’est pas souvent le cas chez Anderson où les formes, les couleurs, le mode de vie sont quasiment les sujets principaux. Je ne sais pas quoi penser de ce mec : ses films m’horripilent, et pourtant ils ne me quittent pas. Ils sont pleins d’idées fulgurantes de mises en scènes, de trucs incroyables, mais la précision et la symétrie des cadres à tendance à tuer l’histoire. C’est un style avant une histoire, et je voulais éviter ce que je considère comme un écueil.

 

 


 

 

Par certains aspects, le film ressemble aussi à Tout est illuminé, le roman de Jonathan Safran Foer, dont Liev Schreiber a tiré un film il y a quelques années…

Mon père me l’a offert après avoir lu mon scénario parce qu’il trouvait lui aussi qu’il y avait de vrais points communs. J’avoue que je ne l’ai pas fini…

 

Arrive Jonathan Zaccaï, que j’ai interviewé deux jours plus tôt. Il me salue, et tous deux prennent quelques minutes pour discuter. Le matin même, Micha a reçu une volée de bois vert alors qu’il était invité par une radio juive : on ne peut pas rire de tout, on ne peut pas tourner dans les camps, on ne peut pas tout dire sur Gaza… Invité à prendre position sur le conflit israélo-palestinien, Micha a refusé de répondre.

 

… en fait, j’ai eu peur d’être parasité par le livre au moment du tournage. Maintenant que le film est bouclé, je pense que je pourrais reprendre le bouquin et l’apprécier davantage.

 

Jonathan évoquait la difficulté de tourner avec ses partenaires de road-movie, notamment l’interprète du vieil oncle… Il est vrai que c’était assez compliqué. On était à deux doigts de faire Lost in La Mancha. On était en Ukraine avec toute l’équipe, et on attendait Abraham et Irène [l’oncle et la tante, 170 ans à eux deux, NDLR] pour tourner le lendemain. Sauf qu’à l’aéroport de Bruxelles, ils ont loupé le contact qui les attendait, donc ils ont raté leur avion. Alors ils ont fait Bruxelles-Varsovie en avion, puis ils ont fait 16 heures de route pour arriver à Lviv en Ukraine. Irène ne peut pas rester assis longtemps à cause de ses problèmes de dos et de genou, Abraham a oublié ses médicaments et nous a fait très peur. À l’hôtel, pas de réservation. On leur trouve deux chambres au 4ème étage sans ascenseur… Ça a été une succession de galères absolues. Si on ajoute qu’Irène n’a plus de mémoire et qu’Abraham est complètement sourd, ça donne une bonne idée des conditions de tournage. Tout était réuni pour nous empêcher de donner du rythme à la comédie. On a donc beaucoup tourné et beaucoup coupé.

 

Même si tu estimes que le film aurait pu aller beaucoup plus loin, il y a quand même un lot de scènes casse-gueule et sans doute compliquées à tourner. Outre celles qui traitent de sujets tabou, il y a par exemple cette scène hallucinante où Simon imagine son ex-femme refaisant le Kama sutra avec son nouvel amant…

La seule vraie difficulté avec cette scène, c’est qu’on a eu très peu de temps pour la tourner. Les deux acteurs ont été très conciliants, ça les amusait beaucoup. Il fallait juste faire attention à une chose : l’interprète de Carl m’avait prévenu que dans le feu de l’action, il n’était pas sûr de savoir s’arrêter, et que ça pouvait aller très loin. Mais ça c’est très bien passé, d’autant qu’on avait bien préparé et que c’était plus technique qu’autre chose.

 

 


 

 

Ton prochain projet ?

Une comédie noire sur fond de ruée vers l’or, avec des trappeurs du Yukon. C’est en cours d’écriture. Et on verra d’ici quelques années pour renouer éventuellement avec Simon et quelques personnages secondaires qu’on voit très peu dans le film, comme le responsable des pompes funèbres. Jonathan m’a parlé d’une idée qu’il avait, ça s’est greffé aux miennes… Dommage que la vie soit si courte.

 

 

Cliquez sur l'affiche pour retrouver la critique du film :

 

 

 

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