Patrice Leconte (interview carrière)

Jean-Noël Nicolau | 15 octobre 2008
Jean-Noël Nicolau | 15 octobre 2008

Au 13e Festival des Jeunes Réalisateurs de St Jean de Luz, Patrice Leconte était à la fois considéré comme le parrain et comme un débutant dont on (re)découvrait le premier film. Lors de la soirée hommage qui lui était dédiée, le metteur en scène est revenu sur quelques anecdotes du tournage des Vécés étaient fermés de l'intérieur, dont il garde un souvenir assez traumatisant. Plus tôt dans la journée il avait évoqué avec nous ce film, ainsi que certains moments clefs de sa carrière. Patrice Leconte nous parle aussi de sa retraite et de la responsabilité qu'est un film, de sa création à sa postérité.

 

 

 



C'est un hommage qu'on vous rend ce soir, ce qui intervient souvent comme un bilan, pour une fin de carrière, mais ici c'est pour célébrer votre premier film.

Ce qui est bien c'est que dans ce festival des premiers, ou deuxièmes, films, ils viennent demander à un « vieux » cinéaste de venir être un parrain, pour montrer son propre premier film. Je trouve le concept, pour parler comme les publicitaires, plutôt intéressant. Sur le principe c'est bon. C'est l'occasion de ressortir une vieillerie.

 

Vous avez revu Les Vécés étaient fermés de l'intérieur ?

Non, non... (il réfléchit) Ah si, si ! Je l'ai revu il n'y a pas très longtemps pour l'excellente édition DVD. Je me suis prêté à un exercice qui me glace, celui du commentaire audio.  J'ai donc revu Les Vécés, enfermé dans une petite cabine son, avec les écouteurs, le micro, seul, tout seul comme un pauvre gland devant mon film à essayer de me souvenir des choses, des anecdotes... D'une manière générale, je ne revoie pas beaucoup mes films, parce que je n'ai pas l'occasion.

 

Quels sont d'ailleurs vos souvenirs des Vécés ?

Du tournage de ce film je n'ai que de mauvais souvenirs. C'est terrible à dire. 90% de mauvais souvenirs. C'était un tournage très douloureux. L'écriture du scénario a été très joyeuse, avec Gotlib. Après les ennuis ont commencé, le premier jour de tournage quand je me suis retrouvé devant la réalité des acteurs avec lesquels je travaillais. Je ne savais pas comment m'y prendre. Pendant deux mois de tournage, ça a été très difficile. Quand vous êtes un jeune cinéaste et que vous n'êtes pas Orson Welles, c'est très dur de continuer à garder le cap, face à des acteurs qui veulent vous faire dérailler.

 

 


 

Pourtant vous avez beaucoup tourné avec Jean Rochefort après.

Oui, tout à fait, on a fait plein de films ensuite, on est devenu les meilleurs amis du monde. Il y a prescription, c'est pour cela que j'en parle. A l'époque, j'aurais pu le tuer.

 

Coluche aussi ?

Non, avec Coluche je m'entendais bien. Il était très « coluchien », un peu goguenard. Par exemple, il arrivait, et puis il me regardait et il me disait : « Ah bon, tu mets ta caméra là, toi ? ». J'étais pris de panique : « Oui, oui, pourquoi ? » Là ça me déstabilisait beaucoup. Ca suffisait à foutre le poison dans mon esprit. Mais c'était de l'humour. Je le prenais assez bien. Mais Rochefort ce n'était pas de l'humour, c'était une Guerre Froide terrible.

 

 

 

Cela vous a découragé comme expérience ?

Non, quand j'ai attaqué le deuxième film ça a été comme une résurrection, une renaissance. Après le premier film je me disais : « Bon, ça va, je fais un film et puis j'arrête ». Ce n'était pas un métier fait pour moi. Jean Rochefort, à l'époque des Vécés, avait décidé que j'étais un cinéaste irrémédiablement nul. C'est dur de remonter ça. Je lui en veux beaucoup. Plus maintenant, mais c'est vrai que des choses comme ça ne cicatrisent pas. Les douleurs de la réalisation de ce film sont éteintes, mais pourtant elles sont encore quelque part...


 



 

Vous avez des exemples de premiers films qui vous ont bluffé ?

Le premier film de Jacques Audiard, Regarde les hommes tomber, est à tomber par terre, c'est le cas de le dire. Je n'ai pas révisé le sujet, mais des premiers films magnifiquement réussis, sans aller chercher Welles ou Spielberg, il y en a des flopées. Et là on se dit : « Je suis un nain ».

 

Vous changez souvent de genres, au fil de vos films, est-ce une manière de refaire régulièrement un premier film ?

C'est une manière de ne jamais s'endormir, de se remettre en question, de se redonner le trac. Tout cela est vrai. C'est la crainte de m'ennuyer si je creusais toujours le même sillon. Je revendique le droit à la liberté et de pouvoir en faire qu'à ma tête, comme un élève turbulent. Tant pis si tout cela constitue une œuvre un peu incohérente, ça m'est complètement égal. Au moins à chaque fois j'ai adoré faire tous les films que j'ai fait, même quand je me suis trompé. Parfois on a tout bon et parfois on a tout faux.

 

Est-ce que vous avez des genres comme vous n'avez pas encore abordés et que vous souhaitez parcourir avant d'arrêter ?

Oui et non. Non parce que je n'ai jamais considéré le cinéma comme en suivant un carnet de bal. Parce que sinon, je n'ai pas fait de western, ni de péplum, il faudrait que je fasse un film pornographique. Non, je ne collectionne pas les genres. En revanche, j'adorerais faire un film musical. Je ne quitterais pas ce métier sans avoir fait un film musical. Je rêve de ça. Je ne veux pas faire de la copie d'anciens. Ce n'est pas commode.

 

 

 

 

 

Vous en parlez souvent, vous allez arrêter le cinéma bientôt ?

Oui, je vais le faire. Il y a La Guerre des miss qui sort en janvier. Après j'en fais deux autres, et après j'arrête. Je ne signe pas avec mon sang en disant ça. Mais si je ne décide pas d'arrêter aujourd'hui, je ne le ferais jamais. Et je veux pouvoir m'arrêter. Une fois que j'aurais assouvi ce vœu, je pourrais laisser passer du temps, et peut-être que je reviendrais. Mais il faut que je le fasse.

 

Vous pouvez du jour au lendemain vous passer de la mise en scène ?

Je vais vous faire un aveu. Le jour où je me dirais : voilà, c'était mon dernier, je ne serais pas d'une gaieté folle, mais ce jour-là je serais soulagé de quelque chose. Je serais soulagé du poids assez effarant que représente un film pour les épaules. Ca ne s'allège pas avec le temps. Peut-être que je prends ce métier trop à cœur, je ne sais pas, mais il y a en permanence quelque chose de lourd sur les épaules.

 

C'est donc douloureux pour vous de faire des films ?

En apparence c'est assez joyeux, au fond ce n'est pas serein. C'est tellement de questionnements... Vous voyez le résultat sur un écran, vous rencontrez un cinéaste enthousiaste, mais vous ne pouvez pas imaginer les affres de la création. Je ne suis pas fatigué de faire des films, je veux m'arrêter avant d'être fatigué.

 

 


 


Il est vrai que tous vos films, même les plus légers ont une part de mélancolie. Même Les Bronzés 3. D'ailleurs, rétrospectivement, comment jugez-vous ce projet ?

J'ai adoré faire ce film. J'ai trouvé qu'on avait raison de le faire. Les raisons pour lesquelles nous avons fait ce film ne sont pas des raisons mercantiles, de notre part à nous, le Splendid et moi. On avait sincèrement, furieusement envie de se retrouver tous ensemble pour faire du cinéma. Au départ il ne s'agissait pas de faire Les Bronzés 3. On a cherché, et puis au bout de quelques réunions de travail on s'est dit qu'on voulait retrouver ces personnages, pour savoir ce qu'ils sont devenus. Les idées ont fusé. C'est devenu une très bonne affaire, évidemment. Entre nous on s'est beaucoup marré. On a pris un plaisir fou à faire ce film. Je ne sais pas ce qu'il vaut, mais je crois qu'il est bien, sinon il n'aurait pas fait autant d'entrées.

 

Mais il y a toujours le problème de reprendre des personnages cultes, cela crée toujours une polémique, ça a été le cas pour Indiana Jones cette année, comme s'il ne fallait pas toucher aux souvenirs.

Vous avez raison, quand Les Bronzés 1 et 2 passent et repassent à la télévision, les gens qui aiment ces films ont l'impression de feuilleter un album de vacances, de famille. Même si les acteurs ont continué à faire des films, même s'ils ont vieilli, dans Les Bronzés ils sont restés les mêmes qu'il y a 25 ans. Mais Les Bronzés ne doivent pas vieillir. Quand on est confronté à la réalité des Bronzés 3, on voit des personnages qui ont subi le temps. Et ça, ça nous touche moins, ça nous fait moins marrer.

 

On accepte peut-être parfois mal que des personnages de fiction vieillissent.

Oui, Les Bronzés 3 ont aussi fait vieillir les spectateurs. Ils ont pris un coup de vieux avec cette oeuvre. Mais le film a fait tordre les salles de rire. Et je pense que c'est un bon film.

 

 





Quels sont les chouchous de votre carrière ?

Ils sont un peu particuliers. Quand je rencontre des gens qui s'intéressent à mon travail, tous les avis sont différents. Pour l'un c'est Le Mari de la coiffeuse, pour d'autres c'est Tandem, ou Ridicule, ou La Fille sur le pont... J'ai fait plusieurs films qui intéressent différemment les gens. Je sais quels sont mes films que les gens aiment. Mais quand on me demande de répondre, je cite un film que peu de gens ont vu et auquel je suis très attaché. C'est Dogora. C'est un film musical que j'ai tourné au Cambodge, sans acteur, sans scénario. Il a fait 12 entrées et demie. Mais j'y suis très attaché. Il y a l'expression de choses qui me concernent, qui me touchent. C'est très personnel. C'est mon film préféré.

 

Et le film que vous aimez le moins ?

C'est plus facile comme question ! Le film que j'adorerais n'avoir jamais tourné c'est un film qui était en fait ma dernière comédie. A l'époque où je faisais comédie sur comédie. Il s'appelle Circulez  y a rien à voir ! avec Michel Blanc, Jacques Villeret et Jane Birkin. C'est la comédie de trop. Je voulais faire une comédie tous les ans, ce n'est pas une bonne motivation. Mais après un producteur m'a proposé Les Spécialistes, un film d'aventure. Et j'ai arrêté de faire des comédies.

 

 




C'est un accident heureux ?

Oui, tout à fait. Mais c'est un accident qui coûte de l'argent, qui mobilise des écrans. Si on peut, à la réflexion, éviter de faire des mauvais films, c'est mieux. Le vrai tournant dans ma carrière ce n'est pas Tandem, c'est Les Spécialistes. C'est à partir de là que je me suis mis à faire autre chose.

 

A partir de Tandem on vous a pris au sérieux.

Oui, bien sûr. La critique s'est intéressée à mon travail. Mais je ne me suis pas pris au sérieux, c'est ce qui m'a sauvé. Après il y a eu Monsieur Hire, Le Mari de la coiffeuse... Ca a changé, pas vraiment mon statut, mais la manière dont j'étais considéré.

 

Dernière question, vous faites une petite apparition parodique et amicale dans Mes stars et moi, ça vous amuse de jouer avec votre image ?

Je déteste ça ! Ca m'a été proposé plusieurs fois, je refuse toujours. Là c'est exceptionnel. Sinon je n'aime pas du tout ça.

 

Vous aimeriez tourner avec Kad Mérad ?

J'avais un projet de film avec lui, qui était un truc formidable, qui s'appelait Noël au balcon. C'était un film dans la veine du Brazil de Gilliam, toutes proportions gardées. Kad devait interpréter un terroriste anarchiste. Il adorait ce rôle. Chaque fois que je le croise, il me dit : « pourquoi tu ne fais pas Noël au balcon ? ». Ce n'était pas le rôle principal, mais c'était très différent de ce qu'il fait d'habitude. Le film ne se fera jamais. De tous les films que j'avais en projet, c'est le seul dont que je regrette vraiment de ne pas avoir fait.

 

 

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