Miguel Courtois (G.A.L.)
Pour son troisième film consécutif en Espagne, Miguel Courtois livre une fois encore un film documenté et engagé sur une part d'ombre de l'histoire espagnole. Porté par un José Garcia très investi, GAL est un film politique doublé d'un polar, se distinguant par de vrais partis pris. Le réalisateur nous en dit plus sur ses choix et sur son parcours…
Le scandale du GAL est très peu connu en France. À quel point l'est-il en Espagne ?
Il est extrêmement connu par les gens de ma génération. En revanche, on a découvert avec l'équipe du film à quel point c'est un scandale méconnu par les jeunes. La société actuelle a un défaut de mémoire, l'information se consomme à très court terme. Il y avait donc des raisons pédagogiques de faire ce film. C'est un sujet suffisamment fort pour mériter d'être raconté à des jeunes, et de s'adresser à eux par le biais d'un support qui les attire.
C'est donc pour toucher particulièrement les jeunes que vous avez donné un aspect très polar à votre film ?
Oui. Et puis dans le fond, ça s'y prêtait. Évidemment, on aurait pu s'en tenir à un récit un peu pointu de l'enquête, mais ça aurait été dommage. Le but était de toucher le plus grand nombre, de faire ce qu'en Espagne on appelle un « spectacle cinématographique ». Ça nous avait bien réussi pour El lobo, qui était un film dans la même veine, relativement grand public sans sacrifier ni à la vérité ni au propos. Et puis c'est un cinéma que j'adore comme spectateur. On est porté par des comédiens, une musique, des personnages, on est clairement dans un spectacle, mais qui vous raconte des choses intéressantes et puissantes.
Après, le grand débat, c'est : est-ce que le fond mérite cette forme ? C'est en tout cas le choix qu'on a fait, même si je comprends parfaitement qu'on le conteste.
C'était important selon vous de montrer frontalement la violence ? Vous ne nous épargnez ni les coups de feu, ni les plans sur les cadavres…
Dès le départ, ces scènes faisaient partie du script. Quand on a commencé à réfléchir à ce projet, l'un des films que j'ai eu envie de revoir était Les hommes du président, et je me suis rendu compte que c'était un film très long, très bavard, où il ne se passe pour ainsi dire rien. Des mecs qui parlent dans des bureaux, qui vont interroger des gens chez eux, et qui téléphonent pour raconter ce qu'on vient de leur dire… Le plus grand moment d'action dans le film de Pakula, c'est quand on voit un mec derrière un pylône dans un parking. Dans mon souvenir, c'était un film haletant. En fait, pas du tout. Ça m'a donné envie d'intégrer à GAL tous ces évènements réels et qui sont du pur cinéma (attentats, enlèvements et autres).
Le film s'adresse conjointement aux publics français et espagnol. États-il difficile de trouver un juste milieu pour expliquer l'affaire aux français et aux ignares sans pour autant barber les autres ?
Clairement, c'était très compliqué. L'histoire court sur 20 ans, il y a une somme de ministres, de secrétaires d'État, de gouvernements… Il fallait trouver un axe pour relater les faits sans détériorer cette histoire. D'où le choix de l'enquête journalistique, qui permet de suivre les mêmes personnages tout au long du film. Il a ensuite fallu faire le tri entre ce qu'il y avait de fondamental et ce dont on pouvait se passer, puis compiler autant que possible plusieurs évènements en un seul. On a essayé de coller au plus près de la réalité, le film n'invente rien, prenant juste quelques libertés avec l'exposition de certains faits pour mieux les condenser. La plupart des dialogues ont été vraiment prononcés, puisqu'on disposait notamment des enregistrements des conférences de presse ainsi que de témoignages de proches de certains des hommes politiques impliqués.
Plus le film avance, plus le personnage de Jordi Molla en fait des tonnes…
Il y avait un vrai problème avec ce personnage. Il s'inspire d'un type extrêmement connu en Espagne, un homme politique qui se mettait en scène sans arrête, se complaisant dans une caricature de macho grotesque et grossier. Si je vous dis que ce qu'en a fait Jordi en bien en dessous de la réalité, vous n'allez pas me croire, alors que c'est vrai. D'où un problème : pour le public français, le personnage en fait trop, alors que les spectateurs espagnols trouvent presque Jordi trop sobre par rapport à son modèle. Ce type était tellement excessif, un vrai clown, très demandé sur les plateaux TV car c'était un bon client. On a choisi de le montrer tel qu'il est, , c'est-à-dire un mec capable d'en menacer un autre en direct, puis de rentrer chez lui se taper des putes dans une piscine. Et malgré cet excès apparent, la réalité dépasse la fiction.
Ce personnage a tendance à provoquer les rires. Ça vous dérange ?
Si les gens veulent rire, qu'ils rient ; n'empêche que ce mec est pitoyable, et que c'est un assassin. Au second degré, oui, c'est drôle. Mais c'est d'abord quelqu'un de totalement méprisable.
GAL traite d'un sujet difficile, toujours d'actualité, qui fait grincer les dents de tout un chacun. Le chemin pour mener le projet à bien a-t-il été semé d'embûches ?
Oui, et notamment le parti socialiste espagnol et ses bras armés, c'est-à-dire certains journaux et télévisions. Ces gens n'avaient pas envie que le film se fasse, et ont même essayé de polémiquer en affirmant que c'était un film fait pour nuire au dialogue lancé par Zapatero avec l'ETA. C'est parfaitement ridicule : un film ne peut pas s'improviser en fonction de l'actualité du moment. Ça prouve bien leur mauvaise foi.
Un mot sur Skate or die, qui sort au mois de juin…
Je venais de passer 5 ans de ma vie avec des sujets durs, des témoignages bouleversants qui donnent une lourdeur à votre vie et une responsabilité à votre travail. C'est magnifique, mais j'ai éprouvé le besoin de faire une pause. Alors quand on me propose un pur film de genre, une commande qui s'inscrit dans une veine totalement pop-corn, je prends. C'est comme d'aller faire une pub, ça détend. Je me suis régalé à faire Skate or die, et maintenant je vais revenir à des choses plus personnelles. Je ne sais pas encore quel sera mon prochain film : j'ai le choix entre un gros projet en Espagne, toujours militant et politique, et deux films français dont les scénarios ne sont pas loin d'être prêts.
Vous comptez donc continuer à faire des films des deux côtés de la frontière…
Jusque là, ça ne m'a pas trop mal réussi. Et puis c'est assez profitable pour un cinéaste d'avoir cette possibilité de changer de pays, ça permet de se ressourcer, de ne pas se scléroser avec toujours les mêmes codes, les mêmes réseaux… Je pense apporter au cinéma espagnol un point de vue original car un peu décalé. Mon regard est double, et j'espère que cela va durer.