Jacques Maillot (réalisateur Les Liens du sang)

Laurent Pécha | 6 février 2008
Laurent Pécha | 6 février 2008

Alors qu’Astérix aux Jeux Olympiques engrange les entrées, il y a des films français qui offrent un spectacle intelligent et passionnant aux spectateurs. Les Liens du sang, gros coup de cœur de la rédac, en apporte un bien bel exemple. Ca coûte juste 14 fois moins que la daube de Langmann et c’est pourtant du grand cinéma. Rencontre virtuel par mail interposé avec son réalisateur, Jacques Maillot.

 

Pourquoi s'est-il écoulé si longtemps entre votre premier film et celui-ci ?

Parce que j'ai mis longtemps à l'écrire et à trouver la forme du scénario : le livre que j'adaptais racontait deux vies sans se préoccuper de cohérence. J'ai eu l'ambition de les raconter « en entier », en partant de l'enfance de mes deux personnages avant de me rendre compte que c'était beaucoup trop long et de me concentrer sur la période la plus dramatique et la plus cinématographique de leurs vies. Ensuite j'ai mis longtemps à réunir les fonds nécessaires et le casting. Enfin j'ai réalisé un film pour Arte (Froid comme l'été) et écrit Les Prédateurs pour Canal Plus.

 

 

 

La genèse des Liens du sang a été tout sauf un long fleuve tranquille. Quel regard portez-vous sur cette partie de votre vie où vous avez porté le projet ?

C'est sûr que j'aurais aimé aller plus vite mais on ne sait jamais avant de se lancer le temps que prendra le travail. D'un autre côté, un long temps de maturation permet aussi de prendre du recul et d'approfondir les choses... Il y a des moments difficiles où l'on a envie de tout envoyer balader mais j'ai la chance d'avoir toujours été soutenu par mes proches.

 


Comment avez-vous appréhendé l'adaptation du roman des frères Papet, comment trahit-on une œuvre pour justement être fidèle à son essence ?

L'intérêt du livre des frères Papet, c'est d'offrir une matière brute, réelle. Ça permet de confronter son imaginaire à ce qui s'est réellement passé, de débusquer certains aprioris et certains clichés. Après, il était clair pour moi et pour les frères Papet que je ferais une fiction et que je transformerais un certain nombre d'évènements. La fiction condense, cristallise, sélectionne, pour tenter de faire apparaître la vérité profonde des êtres et des situations quitte à ne pas être fidèle à la lettre des anecdotes.

 

 

 

 

À quel moment, si c'est le cas, vous êtes vous accaparer le film ? Quels détails, éléments font que l'on peut dire (ou pourra dire avec une filmographie plus étoffée dans un futur proche) que Les Liens du sang est un film de Jacques Maillot ?

Question difficile : je ne suis pas forcément le mieux placé pour y répondre. Souvent, c'est un œil extérieur qui repère les continuités qu'il y a d'un film à l'autre. J'ai le sentiment que mes films me ressemblent... presque malgré moi ! Aux spectateurs de dire s'ils forment une œuvre ou pas. D'une certaine façon ce n'est pas mon problème...

 

Le film se déroule durant les années 70 et il est criant de vérité dans sa reconstitution. Quels sont vos secrets de fabrication pour obtenir un tel résultat surtout au regard du budget modeste du film (de combien est-il d'ailleurs exactement ?)

Pas de secret de fabrication mais une équipe talentueuse qui va dans le même sens. Le but était de faire exister les années 70 sans les « survendre ». C'est une accumulation de détails qui vont du traitement de l'image (sans blanchiment) à la musique de Stephan Oliva en passant par les costumes, les coiffures, etc. On a revu pas mal de films de l'époque aussi (Pialat, Sautet) et pas mal de reportages. Le budget était de 5,5 millions d'euros, ce qui n'est pas énorme.

 

D'où vient l'idée d'associer le tandem Cluzet-Canet ? Forcement, on pense à Ne le dis à personne.

J'ai d'abord choisi François Cluzet qui était ravi qu'on lui propose d'incarner un voyou. Guillaume est arrivé au dernier moment pour remplacer un comédien qui ne pouvait plus faire le film pour un problème de dates. Il avait failli faire mon premier film et j'étais content d'avoir l'occasion de travailler avec lui. La complicité qui existait entre eux était bien sûr un plus pour le film.

 

 

 

A t-il été difficile de travailler avec un acteur qui est aussi un réalisateur, qui plus est fraîchement consacré (César du meilleur réalisateur) ? Le dirige-t-on différemment des autres comédiens ?

Pas du tout. Guillaume est très attentif et très docile. Il sait très bien faire la part des choses et n'essaie jamais de prendre la place du réalisateur. C'est un comédien brillant et créatif qui aime se mettre au service d'un scénario et d'un metteur en scène.

 

L'une des grandes forces du film est sa capacité à ne pas s'intéresser uniquement aux deux frères mais à faire vraiment exister les personnages qui cohabitent autour d'eux. On pense en premier lieu à leurs femmes. Comment arrive-t-on à un tel dosage ?

L'idée, c'est que plus les personnages secondaires sont bons, meilleur est le film. J'essaie donc de traiter chaque personnage comme s'il était aussi important que le héros parce que... d'une certaine manière il l'est ! Ça passe par l'écriture mais aussi bien sûr par le choix des comédiens et l'attention qu'on leur consacre à laquelle ils sont d'autant plus sensibles qu'ils passent peu de temps sur le tournage. Il y a beaucoup de très bons comédiens en France.

 

 

 

 

Vous sentez vous plus l'âme de travailler pour la télévision (excellent scénario des Prédateurs pour Canal+ et Les Liens du sang d'abord développé pour la télévision) ?

Non. Je ne fais pas de différence entre télévision et cinéma du moment qu'on me laisse libre de faire ce que je veux. La seule différence c'est les budgets. La plupart des cinéastes que j'aime ont fait les deux : Bergman, Fassbinder, Pialat, Stephen Frears, Rossellini, Kieslowski... J'aimerais continuer à alterner.


Au vu de votre carrière et principalement des deux œuvres précédemment citées, vous semblez avoir une prédilection pour l'histoire vécue, le réel. Avez-vous l'intention de continuer dans cette voie ou allez-vous tenté de nouvelles expériences ?

Ce qui est intéressant dans les histoires réelles, c'est qu'elles vont souvent à rebours des scénarios qu'on écrirait si on partait du même point de départ. Elles posent donc au scénariste des questions originales qui obligent à fouiller personnages et situations différemment que dans la fiction « classique ». Ceci dit, je ne m'interdis pas de faire un jour un scénario de « pure » imagination.

 

Un commentaire sur l'émergence de ces anciens flics venus réaliser des (bons) polars (Olivier Marchal, Franck Mancuso).

Les polars les plus intéressants sont souvent les plus enracinés dans la réalité. En ce sens là, l'émergence de ces anciens flics est une excellente chose.

 

Vos films de chevet ?

Passe ton bac d'abord de Pialat, Lettre d'une inconnue d'Ophüls, Faits divers de Depardon, Berlin Alexanderplatz de Fassbinder, Les Nuits de Cabiria de Fellini, Raging bull de Scorsese, Nuages flottants de Naruse, Mado de Sautet, Le Miroir de Tarkovski et Le Silence de Bergman.

 

Est-ce que le cinéma, selon vous, peut changer le monde ?

Non, hélas, il peut juste essayer d'y mettre un peu plus de beauté.


Vos projets futurs ?

J'écris une série pour Canal Plus, sur l'histoire d'un bordel au XIXe et je cherche un sujet pour un prochain film de cinéma.

 

 


Auto-portrait de Jacques Maillot.
Un grand merci à Jacques Maillot pour sa disponibilité et rapidité.
Remerciements à Leslie Ricci.

 

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