Constance Rousseau & Mia Hansen-Løve (Tout est pardonné)
Le cinéma est donc bien toujours un lieu de rencontre(s). Tout est pardonné est celle d'un père et sa fille, mais pour le spectateur, c'est aussi celle de deux révélations, devant et derrière la caméra. Fragiles, timides, émouvantes ou émues, l'actrice Constance Rousseau et la réalisatrice Mia Hansen-Løve habitent chacune à leur manière chaque plan de leur premier film. Rencontres donc, et interview croisée ou presque.
Constance Rousseau, l'actrice.
Les castings sauvages
ne sont donc pas une légende urbaine, ils existent vraiment. Commet cela s'est
passé pour toi ?
Je marchais tranquillement dans la rue avec des amis,
j'allais à un cours... et une dame nous suivait. Je ne l'ai pas vu tout de suite
à vrai dire, puis elle m'a adressé la parole. Elle était en train de faire un
casting pour un film et m'a proposé de venir faire des essais et puis peut-être
de rencontrer la réalisatrice. J'en ai parlé avec mes parents, qui y ont vu une
bonne expérience, surtout que cela avait l'air sérieux. On a même vérifié la boîte
de production, Les films Pelléas, sur Internet. Le jour du casting, nous étions
quatre candidates, on m'a posé des questions, ils m'ont trouvé bien, mais Mia
la réalisatrice voulait une blonde. La directrice de casting m'a donc rappelé
pour me dire que c'était non, mais que je pourrais peut-être faire un autre
rôle. Puis elle a de nouveau appelé pour me dire que Mia hésitait, ce qui n'a
finalement pas duré.
Tu avais 16 ans à
l'époque, quel était alors ton rapport au cinéma ? Des velléités à être
actrice ?
Pas du tout, mais j'aimais beaucoup le cinéma, voir des
films, des classiques.
Tu ne dis pas dit à
un moment que tu le feras peut-être pas ?
Non, pas vraiment, car je me suis vite très bien entendu
avec Mia et j'ai rencontré le reste de l'équipe, tous adorables. Enfin, j'ai lu
le scénario et il m'a beaucoup plu.
Et après, tu t'es dit
que tu allais faire participer toute la famille ?
(Rires) Non, en
fait, je parlais à Mia de ma famille, et alors qu'elle cherchait une petite
fille qui me ressemblait pour jouer mon rôle enfant, dans la conversation j'ai
mentionné ma petite sœur Victoire. Et finalement, ma deuxième sœur, Eléonore,
apparaît aussi dans la dernière scène du film.
Comment s'est passé
ensuite le tournage, ton premier tournage ?
J'ai tourné une vingtaine de jours à partir de fin juin 2006,
en même temps que mon Bac français.
Que tu as
loupé ?
Non, non, ça s'est bien passé, j'ai eu 14 à l'écrit et 12 à
l'oral. Et depuis j'ai mon Bac général avec mention Assez Bien, ce qui me
suffit. Surtout qu'à peine un mois avant, j'étais à Cannes.
J'ai lu, dans le
magazine Studio pour ne pas le citer, que tu aimais Truffaut et Besson ?!
Bresson ! Bresson ! J'ai failli devenir folle en
lisant l'erreur. J'aime aussi beaucoup le cinéma de Rohmer, et je suis tombée
amoureuse de son dernier film Les Amours d'Astrée et de Céladon.
Jacques Doillon aussi ou encore Pialat, dont j'ai vu peu de films mais assez
pour être convaincue. Sans oublier Godart et toute la Nouvelle Vague.
Tu cites beaucoup de
réalisateurs français, et le cinéma étranger ? Américain ?
Non, en fait, c'est vrai que je ne vois pas beaucoup de
films étrangers.
Pourquoi, tu n'aimes
pas ?
Non, pas du tout, c'est qu'en fait j'ai surtout été éduqué
au cinéma français. Je ne connais pas beaucoup tout simplement. J'ai tout de
même un penchant pour le cinéma italien, très beau très touchant, et j'ai vu
quelques films de Bergman aussi.
Qu'est ce que tu as
tiré de toute cette expérience ?
A vrai dire, cela m'a aidé à vaincre ma timidité, à prendre
mes responsabilités et c'était aussi mon premier travail, même si je l'ai plus
pris comme un amusement. Depuis, même si j'ai entamé des études de Droit, j'ai
tout de même pris un agent et compte prendre des cours de théâtre. J'ai aussi
lu un scénario intéressant, mais si je suis très contente des rôles qu'on me
propose, ce n'est jamais ceux que je préfère... et qui sont d'ailleurs souvent
des rôles masculins ! (Rires)
Mia Hansen-Løve, la réalisatrice.
Ma première question
sera un aveu... de faiblesse. En effet, lors de la découverte du film au dernier
festival de Cannes, je me suis monté le bourrichon tout seul, lorsque j'ai
appris que tu étais une jeune réalisatrice de 25 ans, ancienne critique aux
Cahiers du cinéma et compagne d'Olivier Assayas. Cela faisait beaucoup (de
préjugés) sur le coup et même si la vison du film a balayé tout ça d'un revers
de main, je me demandais si tu avais senti ce genre de réflexions.
En effet et en général, ce n'est pas directement, mais je vois
très bien de quoi ils veulent parler. C'est le genre de choses qui circulent
sur Internet par exemple. Je trouve ça... j'essaie de bien répondre... cela prouve
la naïveté de certains par rapport à ce qu'ils ne connaissent pas, et surtout
par rapport à la réalisation d'un film. Comment si cela devenait facile parce
que l'on vit avec un tel, que l'on est le fils d'un autre. C'est d'une naïveté
et d'une puérilité abyssales, mais aussi quelque chose de très répandu et très
triste. Et je parle moins pour moi que pour d'autres cinéastes victimes d'un
vrai ressentiment, comme peut l'être Isild Le Besco. Comment peut-on croire
qu'un producteur va financer un film parce que j'ai écrit aux Cahiers ou qu'une
autre est fille d'actrice ? Soit le projet a un potentiel commercial, soit
il a une valeur esthétique.
Peut-être pour profiter
d'un nom ?
Mais moi, je ne suis personne. J'ai été pigiste une année,
au comité de rédaction une autre, mais toujours en outsider. J'ai vécu mon
expérience aux Cahiers comme un apprentissage, dur voire douloureux, et surtout
pas comme une appartenance à un groupe avec entraides et passe-droits. Ce n'est
pas mon texte par mois qui m'a aidé à faire du cinéma. D'ailleurs, mon premier
producteur, le défunt Humbert Balsan, ne savait rien de ma vie privée ou
journalistique et m'a découverte à travers un court-métrage présenté dans un
festival universitaire. Mais tout ce débat n'est rien au final, seul compte le
film. Merci par contre de m'avoir permis de parler de tout ça comme je n'ai pas
pu le faire avant.
Comment est née cette
histoire, de famille ?
Le film n'est pas autobiographique, le point et départ est
la scène de retrouvailles entre un père et sa fille, une balade silencieuse
dans le Jardin des plantes. Ce noyau dur est lointainement inspiré d'une
histoire vraie dont j'ai été le témoin adolescente, et qui a cristallisé toutes
les questions que je me posais alors sur la vie, le destin, la liberté... De
cette promenade, je suis revenue en arrière, comme une pelote de laine dont on
tire un bout, pour comprendre comment les personnages en étaient arrivés là. Le
projet a mûri longtemps dans ma tête, au cours de mes trajets de métro par
exemple, puis je l'ai écrit et réécrit assez vite.
Et comment s'est
passé ce premier casting, un peu original il faut avouer, que cela soit pour
Paul Blain découvert lors d'une rétrospective des films de son père ou
Constance Rousseau dans la rue ?
C'est un moment très important pour moi, car j'ai
l'impression d'avoir été moi-même trouvée dans la rue et j'accorde donc une
grande place au hasard. Je voulais dès le départ proposer les rôles à des
inconnus, avec qui j'aurais un rapport sentimental.
C'est ce que
Constance m'a expliqué, que cela reposait plus sur vos discussions, et aussi
que tu avais hésité à la prendre car elle n'était pas blonde.
Oui, mais bon, j'ai pas hésité très longtemps, je ne lui ai
pas dit pour qu'elle ne prenne pas la grosse tête. (Rires) On l'a même harcelé parce qu'elle était un peu réticente.
Comment as-tu pensé
ensuite la mise en scène ?
Cela s'est passé en deux temps, avec le travail sur la
préparation et le tournage lui-même. J'ai effectué beaucoup de lectures, où les
acteurs ne cherchent pas à jouer mais où on cherche le ton, la note commune.
Pour la grammaire du film, sans décor et avec donc beaucoup d'abstraction,
j'ai creusé cette question de poésie, de musicalité. Le rythme des scènes est
logique à certains mouvements, liés aux déplacements et aux axes, mais il y a
aussi autre chose, et c'est ce que je voulais arriver à trouver. Mais bien sûr, le
jour du tournage, tout est remis en question ou presque. L'échelle de valeur
n'est plus la même et chaque jour a été ainsi pour moi une leçon, un défi.
Et le rapport, toi
qui as été critique, que tu entretiens avec ton film terminé ?
Je n'ai aucune distance, et encore moins critique. Peut-être
dans 10 ans, mais pour l'instant je me sens en fait à l'aise et heureuse avec
le film et c'est le plus important. Il est exactement là où il doit être par
rapport à moi, à ce que je suis. Il est encore à l'intérieur de moi.
Propos recueillis par Vincent Julé
Photos de ou par Constance Rousseau et Mia Hansen-Løve
Remerciements à André-Paul Ricci et Tony Arnoux.