Tom DiCillo (Delirious)

Jean-Noël Nicolau | 29 juin 2007
Jean-Noël Nicolau | 29 juin 2007

Tom DiCillo incarne l’archétype du cinéaste indépendant new-yorkais, aussi bien dans sa personne que dans sa filmographie. Fermement opposé à Hollywood, fidèle à ses amis et à ses convictions, le réalisateur est un interlocuteur hautement abordable et sympathique. En une demi-heure de dialogue, Tom DiCillo fait partager sa vision du cinéma et donne envie de chanter les louanges de son Delirious qui sort en salles ce mercredi.

 

Il s’est écoulé près de 5 ans entre Double whammy et Delirious, qu’avez-vous fait durant cette période ?

Déjà je tiens à rappeler que ma participation en tant que directeur de la photographie sur Coffee & cigarettes date de 1984. Sinon j’ai passé tous les jours au téléphone à discuter avec des studios et à des producteurs. Ce fut très long et très difficile, alors que tout était prêt. Mais c’est le business, quand les studios mettent de l’argent sur la table, ils veulent être sûrs de le récupérer. C’est encore plus difficile quand on est un indépendant. En fait les producteurs voulaient un tout autre casting. Ils voulaient Orlando Bloom à la place de Michael Pitt (il lève les yeux au ciel). C’était impossible, surtout avec Orlando Bloom qui a pris des cours d’acteur chez Tom Cruise (rires).

 

 

Pouvez-vous imaginer travailler sans Steve Buscemi ?

C’est l’une des raisons d’être de Delirious, j’ai écrit le rôle de Les Galantine spécialement pour Steve. Je l’adore. Il peut tout faire, être tragique, émouvant, comique, inquiétant. Je pense que son rôle dans Delirious est son meilleur, ce qu’il a fait de mieux et de plus complexe.

 

Est-ce qu’il est votre alter ego à l’écran ?

Non, pas vraiment, je le considère plutôt comme mon petit frère. Créer un film est un processus très intime et il faut vraiment s’entendre avec son équipe. Sur mon précédent film, je travaillais avec des acteurs que je n’avais pas envie de voir tous les jours. C’est pour cela que je préfère travailler avec Steve. On peut rire, on peut être complices, cela ressemble à une amitié d’enfance.

 

 

Est-ce que vous pensez que l’on peut inscrire Delirious dans une tradition de la comédie hollywoodienne un peu cruelle et douce-amère, à la manière de Preston Sturges ou Billy Wilder ?

C’est une comparaison intéressante. Il y a des aspects de burlesque chez Sturges qui ne me correspondent pas, mais j’ai beaucoup de respect pour son œuvre. Ce qu’il a essayé de faire à une époque très difficile pour la créativité cinématographique demeure intéressant. Wilder utilisait « a sharper knife », plus d’acidité. Mais il faisait très attention à ses personnages. Ce que je cherche à retrouver, c’est ce mélange entre amusement et sérieux, cette alchimie du mélodrame.

 

Quelles sont vos références pour Delirious ?

Avant tout Macadam Cowboy de Schlesinger et 4 Garçons dans le vent pour le dynamisme. Ce que j’admire en particulier c’est le travail du directeur de la photographie de Macadam Cowboy. Il a réussi à rendre beau les aspects les plus sordides de Manhattan. Le film de Schlesinger ménage aussi des touches d’humour dans une histoire par ailleurs très noire.

 

 

Une question plus légère : est-ce que Michael Pitt est le nouveau Brad (Pitt) ?

(sans hésiter) Je n’espère pas ! Brad, avec lequel j’avais travaillé pour Johnny Suede, s’en sort bien. Mais il devrait choisir des rôles plus risqués. Par exemple je l’avais trouvé excellent dans Snatch. Je vous donne un exemple de ce que l’on peut attendre d’un acteur au sommet. Dans Le Grand chantage (The Sweet smell of success), Burt Lancaster interprète un personnage particulièrement antipathique et même détestable. Et bien Burt Lancaster est aussi producteur du film ! Quelle star ose faire cela de nos jours ? Pas Tom Cruise en tout cas ! (rires). Quant à Michael Pitt, il doit encore gagner en maturité, ses idées sur le métier d’acteur manquent sans doute encore un peu d’expérience.

 

Avez-vous eu peur de trop caricaturer le personnage de chanteuse pop interprétée par Alison Lohman ?

Tout à fait. C’est pour cela qu’il me fallait une bonne actrice : un vrai talent pour donner corps à une vraie personne. Pour l’anecdote les producteurs ne voulaient bien sûr pas d’Alison. Comme j’avais obtenu Steve et Michael, ils m’ont demandé de prendre… Britney Spears (soupir). Je lui ai donc écrit une lettre. Heureusement elle ne m’a jamais répondu (rires).

 

 

Quelle importance donnez-vous à la musique dans vos films ?

Très grande ! La combinaison entre l’image et la musique est extrêmement puissante. Je trouve que l’on en abuse à l’heure actuelle. La bande son surligne souvent à toute force ce qui se passe à l’écran, comme pour imposer des émotions aux spectateurs. Pour ma part je veux créer une connexion émotionnelle, donner une atmosphère générale de ce qui se déroule. Dans une scène du film, Michael Pitt est le seul à être éveillé dans la chambre d’hôtel d’Alison Lohman, et bien je voulais trouver une ambiance de « Belle au bois dormant ». C’est pour cela que je travaille de très près à la musique de mes films. Par exemple, c’est moi qui ai écrit la chanson d’Alison dans Delirious.

 

Quels sont vos disques de chevet en ce moment ?

J’écoute beaucoup ce chanteur africain : Salif Keïta. J’aime énormément le premier album de The Arcade Fire, nettement moins le deuxième, qui est… comment dire ?

 

Trop produit ?

Plutôt trop fier de lui-même… Par ailleurs je trouve Amy Winehouse formidable.

 

Est-ce que vous vous investissez dans la création des DVD de vos films ?

Oui, je considère que c’est une seconde existence pour les œuvres. Pour Delirious il y aura la version intégrale du vidéo clip d’Alison Lohman, ainsi qu’un making of.

 

 

Jusqu’à quel point peut-on déceler une métaphore derrière l’appareil photo dissimulant une arme à feu ? Pensez-vous qu’un photographe peut tuer (au moins la vie privée) ?

Tout à fait. C’est une des répliques de Les dans le film : « One image can be the shot heard around the world. » Une simple photographie peut avoir plus d’impact qu’un coup de feu, certainement. Il suffit d’être auprès des paparazzi, c’est un mitraillage permanent, littéralement. Dans certaines sociétés primitives, on pensait que prendre une photo pouvait voler l’âme. Il y a une part de vérité.

 

Alors appréciez-vous les paparazzi ?

Parfois ils sont impardonnables et dégoûtants. Ils font preuve d’une « ruthless insanity », c’est de la vraie folie, jusqu’à la violence. On a tout simplement envie de leur dire d’arrêter, de se calmer.

 

Que pensez-vous de l’affaire Lady Diana ?

C’est une histoire terrible. Ils auraient du la laisser tranquille. A mes yeux c’est un crime.

   


 
La manière dont vous considérez les paparazzi explique-t-elle pourquoi vous ne donnez pas un véritable happy end à Les ?

La scène finale lui ouvre quand même les yeux, le geste de Toby est un véritable réveil pour lui. Toby lui donne quelque chose, le rend à lui-même. Les ne changera pas fondamentalement, mais Toby lui rend son humanité en quelque sorte.

 

C’est effectivement une très belle scène qui donne un autre relief au final.

Oui, cela m’a fait plaisir de pouvoir l’offrir à Steve.

 

Quels sont vos futurs projets ?

J’ai deux films en préparation, mais je n’aime pas en parler avant qu’ils ne soient fait.

 

Encore des problèmes de production ?

Non, ils vont se faire. Le premier va proposer un duo Willem Dafoe et Steve Buscemi.

 

Voilà un casting enthousiasmant !

Oui. Et le second film est une coproduction avec la France. C’est une « sex comedy » avec des acteurs français.

 

On va donc vous revoir bientôt à Paris ?

Certainement, j’adore cette ville.

   


 

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