Stéphane Allagnon (Vent mauvais)

François Provost | 16 juin 2007
François Provost | 16 juin 2007

Les nouveaux talents, on les aime bien. Alors si on peut rencontrer en tête à tête Stéphane Allagnon, réalisateur de Vent mauvais, en dehors du contexte de l'interview typique, on n'hésite pas. Surtout pour saisir l'opportunité d'apprendre à connaître quelqu'un de mesuré, passionné, ayant pioché dans ses références et son expérience pour réaliser ce premier long-métrage. Et on n'a surtout pas envie de faire court. Un café et c'est parti.


Quel est ton parcours, comment en es-tu arrivé à la réalisation ?

J'étais architecte au départ et je me suis mis à faire du cinéma pendant mes études d'archive. J'étais stagiaire à la Cinémathèque française, j'ai réalisé un court-métrage, j'ai enchaîné ensuite différents boulots dans le cinéma, jusqu'à écrire un scénario et accéder à la mise en scène.

Le début du film démarre sur un air de western, avec l'idée étonnante d'une ville fantôme.

Elle me vient de mon goût du cinéma et du fait que j'ai longtemps habité dans des petites villes comme celles-là. Et je pense que c'est dans ces endroits là que j'ai aimé le cinéma et ai eu envie d'en faire, tout se rejoint. A partir du moment où l'on a décidé de s'engager dans l'histoire, ça s'est imposé. Quand tu prends l'arrivée d'un héros, d'un étranger, qui arrive dans cette ville isolée, on rejoint la trame d'un western.


On démarre sur une tempête un peu mystérieuse qui s'étiole peu à peu, symbolisant le cheminement du héros. Tu n'avais pas envie de la retrouver à la fin ?

J'y ai pensé au scénario, à la faire revenir. Mais le dénouement a toujours été comme ça, je voulais que ça se finisse sur le couple et que l'histoire d'argent finalement soit perdue en route.

Esthétiquement le film a une identité au niveau du scope, et dans ta façon de filmer qui fait que l'on pense  à John Carpenter.

Ecoute, moi aussi, pourtant on en est très loin dans le ton. Je suis embêté d'en parler maintenant parce que j'y pense beaucoup pour le prochain film (rires).

Le titre est à la fois vendeur et intriguant.
Il fait peur aux financiers. L'affiche n'a pas été diffusée, on l'a à peine vue. Trois jours au dos de certains kiosques, et c'est tout. Pour marquer l'esprit des gens, c'est insuffisant. Le parti pris est casse-gueule puisque l'on voit les personnages de dos. Mais on n'a pas arrêté de nous dire qu'on n'avait pas de têtes d'affiches, d'acteurs bankables et que ça servait à rien de les montrer.


 

Quelles ont été tes influences extérieures pour le scénario ?
Je ne me suis pas calqué sur une en particulier, il y a vraiment toute une période du cinéma, type années 70, américain et français que j'adore, mais la colonne vertébrale, ce sont les romans de Raymond Chandler (NDR : auteur de polars, créateur du détective privé Philip Marlowe). Ça vient vraiment de là. Quand tu écris, il arrive un moment où tu bloques, et à ce moment-là, tu as un repère. Pour moi, c'était Chandler.

On parlait de Carpenter mais justement ta fin ouverte me fait penser à lui qui affectionne particulièrement la chose.

Il est d'une grande audace, d'une grande liberté d'auteur. Il prend vraiment ses marques avec le système, avec ce qu'on attend de lui, il peut faire des fins pessimistes, très noires comme dans New York 1997 et Los Angeles 2013.

On peut tout à fait imaginer ton personnage revenir dans un deuxième film

Oui. On en a déjà parlé mais je ne sais pas... (rires)

Jonathan n'est pas partant ?

Ah si ! Jonathan et moi, c'est une histoire de complicité maintenant. On a été très proches, tout s'est bien passé.

 

Justement, tu avais des comédiens en tête quand tu as écrit le film?
Non, tout est venu avec le casting, j'ai écrit sans penser à qui que ce soit.


Bernard Lecoq, ça s'est imposé à mesure ?

Non, je l'ai choisi parce qu'au début je voulais tourner avec un autre comédien (Patrick Chesnais). On a commencé à travailler ensemble d'ailleurs, on s'est bien entendu, mais notre tournage a été décalé, on s'est retrouvé prêts en même temps que la production de Héros de Bruno Merle. On n'a pas pu faire les deux, à ce moment-là j'ai rencontré Bernard Lecoq et j'ai eu un déclic sur le personnage de Hopquin, j'ai été enchanté par sa prestation.

Pourquoi le choix de Aure Atika ?

Là, c'était beaucoup plus instinctif, je l'avais vu dans certains rôles, elle m'intriguait, et puis je l'avais croisé une fois, elle a une certaine force de caractère. On a travaillé ensemble, j'ai une idée du ton, des répliques, c'est vrai que ce n'est pas inné, il faut le travailler. Mais je suis très content du résultat.

Le personnage de Franck est toujours hésitant, et ne sait pas comment réagir. En faire son héros, ce n'est pas difficile comme travail d'écriture ?

C'est périlleux, car c'est absolument en dehors des canons marketing. C'est quelqu'un de paumé, il a l'air très bien mais il est totalement perdu dans sa vie, sans repère, il croise les gens qui galèrent et se reconstruit peu à peu. On imagine ce qu'il a en tête petit à petit. C'est un personnage classique dans le polar, dans le cinéma noir, mais pas tellement à la mode en terme de production.

Comme son métier... anti cinématographique au possible.

Avec ces blagues d'informaticien, sa voiture pourrie... Il reste une étincelle avec Jonathan. C'était intéressant d'amocher le personnage, et de le faire tenir, résister. L'émancipation, c'est faire un peu ce qu'on veut de son personnage, quitte à ce que cela ne plaise pas.

 

 
La poursuite en voiture, c'est le moment épique du tournage ? Un hommage à Friedkin ?
Oui (rires). J'ai travaillé avec Stéphane Boulet, qui est responsable des cascades et on s'est amusé avec des voitures qui justement ne font pas souvent de cascades : une BX et une Golf. Des voiture qui n'avancent vraiment pas ! On a donc opté pour une poursuite un peu au ralenti, franchouillarde quoi ! À l'image des personnages aussi un peu à côté de la plaque.
On apprend aussi en terme de gestion du temps du coup. Pas besoin de trop bloquer la circulation, on est assez tranquille. John Ford, sur les tournages de ses westerns, partait avec ses caravanes pour être tranquille et faire ce qu'il voulait.

Bon, question un peu triviale : on a beaucoup regretté de ne pas voir Aure Atika plus dénudée dans la scène d'amour.

Je suis assez d'accord, mais elle ne voulait pas. Je crois que c'est internet qui a changé les choses, les actrices comme elle veulent bien jouer les scènes, mais pas se retrouver affichées en jpg sur un site. C'est tout à fait normal. On a composé quelque chose qui est un peu surprenant, plus décalé par rapport à ce qu'on pouvait apprendre d'elle. La scène d'amour, en général, n'est pas une science exacte.

Quel le premier film qui t'a marqué ?

Pour moi, il y a eu un avant et un après Star Wars. J'avais 10 ans. Cela m'a scotché. La nouvelle trilogie ne m'intéresse pas tellement. Je perds le lien avec les personnages, je n'y retrouve pas la comédie des trois premiers films. Ça doit être un truc de génération. La Revanche des Sith  revient toutefois bien sur les relations entre les personnages. L'autre grand souvenir de cinéma de ma jeunesse, c'est Blade Runner. J'ai eu aussi ma période Truffaut, Godard. C'est pour ça que je ne crache pas comme certains sur la Nouvelle Vague. Je trouve, au contraire, que c'est une période vraiment intéressante, d'émancipation où, les jeunes ont pris la parole. Et j'adore l'influence qu'elle a eue sur les américains. Tu vois French Connection, ça s'en est vraiment inspiré.

La tendance des français qui partent à l'étranger, ça te tente ? Tu pourrais faire le yes-man à Hollywood ?

Si j'aime le scénario, si cela me fait rêver. Pas obligé de faire du cinéma de genre comme les derniers qui s'y sont installés.

Et si tu pouvais faire ta poursuite en Boxter cette fois-ci ?

(rires) Non mais il y a la question de « est-ce que je maîtriserai la comédie avec les acteurs, est-ce que j'arriverai à gérer assez finement les gens de la production ? ». Je ne sais pas. En plus, mon anglais n'est pas parfait.
Sur le tournage de Vent mauvais, j'ai aussi énormément expérimenté, énormément appris, je me suis complètement lâché, j'e n'ai pas eu peur, j'essaie de ne jamais me censurer. J'ai voulu essayer tout ce que j'avais envie de goûter au travers de cette expérience. C'est formidable. Je revendique tous les défauts, toutes les maladresses du film. On m'avait prévenu et averti : Il ne faut pas faire de polars en France, sous prétexte que ça ne marche pas. Seule la télévision fait du polar. Mais le polar, c'est un genre très, très large. 

Ton dernier film marquant ?

J'ai beaucoup aimé Zodiac, ce n'est pas un film facile. Je connais des gens qui voulaient de l'adrénaline, un Seven 2. Alors que c'est d'une telle sobriété.  J'ai jamais été fâché avec Fincher. J'ai senti qu'il avait vieilli quand il a fait Panic room - que j'ai trouvé pas mal -, c'était moins ambitieux, plus classique. Comme un réalisateur qui a eu des enfants dans l'intervalle, qui veut faire quelque chose de différent...

   

 

Un grand merci à Stéphane Allagnon pour sa disponibilité

Propos recueillis par Laurent Pécha et François Provost

Mise en forme par François Provost

Autoportrait de  Stéphane Allagnon

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