Stéphane Allagnon (Vent mauvais)
Les nouveaux talents, on les aime bien. Alors si on peut
rencontrer en tête à tête Stéphane Allagnon, réalisateur de Vent mauvais, en
dehors du contexte de l'interview typique, on n'hésite pas. Surtout pour saisir
l'opportunité d'apprendre à connaître quelqu'un de mesuré, passionné, ayant
pioché dans ses références et son expérience pour réaliser ce premier
long-métrage. Et on n'a surtout pas envie de faire court. Un café et c'est parti.
Quel est ton
parcours, comment en es-tu arrivé à la réalisation ?
J'étais architecte au départ et je me suis mis à faire du
cinéma pendant mes études d'archive. J'étais stagiaire à la Cinémathèque
française, j'ai réalisé un court-métrage, j'ai enchaîné ensuite différents
boulots dans le cinéma, jusqu'à écrire un scénario et accéder à la mise en
scène.
Le début du film démarre
sur un air de western, avec l'idée étonnante d'une ville fantôme.
Elle me vient de mon goût du cinéma et du fait que j'ai
longtemps habité dans des petites villes comme celles-là. Et je pense que c'est
dans ces endroits là que j'ai aimé le cinéma et ai eu envie d'en faire, tout se
rejoint. A partir du moment où l'on a décidé de s'engager dans l'histoire, ça s'est
imposé. Quand tu prends l'arrivée d'un héros, d'un étranger, qui arrive dans
cette ville isolée, on rejoint la trame d'un western.
On démarre sur une
tempête un peu mystérieuse qui s'étiole peu à peu, symbolisant le cheminement
du héros. Tu n'avais pas envie de la retrouver à la fin ?
J'y ai pensé au scénario, à la faire revenir. Mais le
dénouement a toujours été comme ça, je voulais que ça se finisse sur le couple
et que l'histoire d'argent finalement soit perdue en route.
Esthétiquement le
film a une identité au niveau du scope, et dans ta façon de filmer qui fait que l'on pense à John Carpenter.
Ecoute, moi aussi, pourtant on en est
très loin dans le ton. Je suis embêté d'en parler maintenant parce que j'y
pense beaucoup pour le prochain film (rires).
Le titre est à la
fois vendeur et intriguant.
Il fait peur aux financiers. L'affiche n'a pas été diffusée, on l'a à peine
vue. Trois jours au dos de certains kiosques, et c'est tout. Pour marquer l'esprit
des gens, c'est insuffisant. Le parti pris est casse-gueule puisque l'on voit les personnages de dos. Mais on n'a
pas arrêté de nous dire qu'on n'avait pas de têtes d'affiches, d'acteurs bankables
et que ça servait à rien de les montrer.
Quelles ont été tes
influences extérieures pour le scénario ?
Je ne me suis pas calqué sur une en particulier, il y a
vraiment toute une période du cinéma, type années 70, américain et français que
j'adore, mais la colonne vertébrale, ce sont les romans de Raymond Chandler (NDR : auteur de polars, créateur du
détective privé Philip Marlowe). Ça vient vraiment de là. Quand tu écris,
il arrive un moment où tu bloques, et à ce moment-là, tu as un repère. Pour moi,
c'était Chandler.
On parlait de Carpenter mais justement ta fin ouverte me fait penser à lui qui affectionne particulièrement la chose.
Il est d'une grande audace, d'une grande liberté d'auteur.
Il prend vraiment ses marques avec le système, avec ce qu'on attend de lui, il
peut faire des fins pessimistes, très noires comme dans New York 1997 et Los
Angeles 2013.
On peut tout à fait imaginer ton personnage revenir dans un deuxième film
Oui. On en a déjà parlé mais je ne sais pas... (rires)
Jonathan n'est pas
partant ?
Ah si ! Jonathan et moi, c'est une histoire de
complicité maintenant. On a été très proches, tout s'est bien passé.
Justement, tu
avais des comédiens en tête quand tu as écrit le film?
Non, tout est venu avec le casting, j'ai écrit sans penser à qui que ce soit.
Bernard Lecoq, ça
s'est imposé à mesure ?
Non, je l'ai choisi parce qu'au début je voulais tourner
avec un autre comédien (Patrick Chesnais).
On a commencé à travailler ensemble d'ailleurs, on s'est bien entendu, mais
notre tournage a été décalé, on s'est retrouvé prêts en même temps que la
production de Héros de Bruno Merle. On n'a pas pu faire les deux, à ce
moment-là j'ai rencontré Bernard Lecoq et j'ai eu un déclic sur le personnage
de Hopquin, j'ai été enchanté par sa prestation.
Pourquoi le choix de Aure Atika
?
Là, c'était beaucoup plus instinctif, je l'avais vu dans
certains rôles, elle m'intriguait, et puis je l'avais croisé une fois, elle a
une certaine force de caractère. On a travaillé ensemble, j'ai une idée du ton,
des répliques, c'est vrai que ce n'est pas inné, il faut le travailler. Mais je
suis très content du résultat.
Le personnage de
Franck est toujours hésitant, et ne sait pas comment réagir. En faire son
héros, ce n'est pas difficile comme travail d'écriture ?
C'est périlleux, car c'est absolument en dehors des canons
marketing. C'est quelqu'un de paumé, il a l'air très bien mais il est
totalement perdu dans sa vie, sans repère, il croise les gens qui galèrent et
se reconstruit peu à peu. On imagine ce qu'il a en tête petit à petit. C'est un
personnage classique dans le polar, dans le cinéma noir, mais pas tellement à
la mode en terme de production.
Comme son métier... anti cinématographique
au possible.
Avec ces blagues d'informaticien, sa voiture pourrie... Il reste une étincelle avec Jonathan. C'était intéressant
d'amocher le personnage, et de le faire tenir, résister. L'émancipation, c'est
faire un peu ce qu'on veut de son personnage, quitte à ce que cela ne plaise pas.
La poursuite en
voiture, c'est le moment épique du tournage ? Un hommage à Friedkin ?
Oui (rires). J'ai travaillé avec Stéphane Boulet, qui est
responsable des cascades et on s'est amusé avec des voitures qui justement ne
font pas souvent de cascades : une BX et une Golf. Des voiture qui
n'avancent vraiment pas ! On a donc opté pour une poursuite un peu au
ralenti, franchouillarde quoi ! À l'image des personnages aussi un peu à côté
de la plaque.
On apprend aussi en terme de gestion du temps du coup. Pas
besoin de trop bloquer la circulation, on est assez tranquille. John Ford, sur
les tournages de ses westerns, partait avec ses caravanes pour être tranquille
et faire ce qu'il voulait.
Bon, question un peu
triviale : on a beaucoup regretté de ne pas voir Aure Atika plus dénudée dans la scène
d'amour.
Je suis assez d'accord, mais elle ne voulait pas. Je crois
que c'est internet qui a changé les choses, les actrices comme elle
veulent
bien jouer les scènes, mais pas se retrouver affichées en jpg sur un
site. C'est tout à fait normal. On a composé quelque chose qui est un
peu surprenant, plus décalé
par rapport à ce qu'on pouvait apprendre d'elle. La scène d'amour, en
général, n'est pas une science exacte.
Quel le premier film
qui t'a marqué ?
Pour moi, il y a eu un avant et un
après Star Wars.
J'avais 10 ans. Cela m'a scotché. La nouvelle trilogie ne m'intéresse
pas tellement. Je perds le lien avec les personnages, je n'y
retrouve pas la comédie des trois premiers films. Ça doit être un truc
de
génération. La Revanche des Sith revient toutefois bien sur les relations entre les personnages. L'autre grand souvenir de cinéma de ma jeunesse, c'est Blade Runner. J'ai eu aussi ma période Truffaut, Godard. C'est pour ça que
je ne crache pas comme certains sur la Nouvelle Vague. Je trouve, au contraire, que c'est une période
vraiment intéressante, d'émancipation où, les jeunes ont pris la parole. Et
j'adore l'influence qu'elle a eue sur les américains. Tu vois French
Connection, ça s'en est vraiment inspiré.
La tendance des français qui
partent à l'étranger, ça te tente ? Tu pourrais faire le yes-man à Hollywood ?
Si j'aime le scénario, si cela me fait rêver. Pas obligé de
faire du cinéma de genre comme les derniers qui s'y sont installés.
Et si tu pouvais faire
ta poursuite en Boxter cette fois-ci ?
(rires) Non mais
il y a la question de « est-ce que je maîtriserai la comédie avec les
acteurs, est-ce que j'arriverai à gérer assez finement les gens de la
production ? ». Je ne sais pas. En plus, mon anglais n'est pas parfait.
Sur le tournage de Vent mauvais, j'ai aussi énormément expérimenté,
énormément appris, je me suis complètement lâché, j'e n'ai pas eu peur,
j'essaie de ne jamais me censurer. J'ai voulu essayer tout ce que j'avais envie
de goûter au travers de cette expérience. C'est formidable. Je revendique tous
les défauts, toutes les maladresses du film. On m'avait prévenu
et averti : Il ne faut pas faire de polars en France, sous prétexte que ça
ne marche pas. Seule la télévision fait du polar. Mais le polar, c'est un
genre très, très large.
Ton dernier film marquant ?
J'ai beaucoup aimé Zodiac, ce n'est pas un film facile. Je
connais des gens qui voulaient de l'adrénaline, un Seven 2. Alors que c'est
d'une telle sobriété. J'ai jamais été
fâché avec Fincher. J'ai senti qu'il avait vieilli quand il a fait Panic room - que j'ai trouvé pas mal -, c'était moins ambitieux, plus classique. Comme un
réalisateur qui a eu des enfants dans l'intervalle, qui veut faire quelque
chose de différent...
Un grand merci à Stéphane Allagnon pour sa disponibilité
Propos recueillis par Laurent Pécha et François Provost
Mise en forme par François Provost
Autoportrait de Stéphane Allagnon