Richard Bohringer (C'est beau une ville la nuit)

Julien Dury | 29 mai 2007
Julien Dury | 29 mai 2007

Pour une fois, sacrifions au cliché : Richard Bohringer en impose. Invitant le petit journaliste à s’asseoir à son côté, interrompant une phrase durant vingt secondes devant une attachée de presse indulgente… Le tout en présence du sympathique groupe avec qui l’acteur a effectué une tournée musicale adaptée de son roman C’est beau une ville la nuit, désormais devenu un film (l’aventure des concerts autant que le livre) et un DVD sorti le 6 juin. Même si l’on peut parfois être déconcerté par le résultat final, il faut reconnaître que le comédien dégage un charisme et une sincérité qui emportent chaque scène où il apparaît. Difficile de transcrire par écrit le rythme si particulier du langage de Bohringer (surtout à partir d’un enregistrement très moyen), mais on essaie tout de même de s’y coller…

 

Le livre est paru il y a vingt ans avant de donner lieu à des spectacles. C’était important d’en faire un film ?

Ca n’est pas comme ça du tout que ça s’est passé. Y a pas de cause à effet, y a pas de… C’était normal que les premiers concerts s’appellent C’est beau une ville la nuit parce que c’était une ambiance magnifique entre le public et que c’étaient les textes de référence du livre. Après, que… (se tournant sur le côté) Ah joli, ça, très jolie femme…

Un membre du groupe : Je confirme.

Un vrai bonheur, cette robe légère…


Je suis déçu, je n’ai rien vu.

Tu vas voir quand elle va repasser… Ouais, je crois pas qu’il y avait, je crois pas que… Non voilà, il y a eu le roman puis les années ont passé, très simplement. J’ai pas ordonné moi-même. C’est une question d’impro de temps en temps.

 

C’était donc une pulsion, une envie soudaine…

Moi je crois que j’ai toujours fait les choses un peu… (montrant un musicien) Demande à Philippe, tiens… (long silence) Ne pas mourir…


Le tournage était un peu particulier, improvisé avec ce casting dans le sous-sol d’un bistrot, que raconte votre fille…

Ouais, ouais… C’est exactement comme elle l’a raconté et c’est comme ça que les films devraient se faire aussi. J’ai laissé tout le monde vivre, quoi…


Un détail, d’ailleurs. L’un des personnages est fasciné par le Mexique. Ca provient du scénario de départ ou c’a été inventé sur le tournage ?

Ah non, ça c’est… Bah le Mexique, y a une scène du scénario entre Romane et son père où le pays… « Le Mexique après les orages, ça fume toujours »… Mais euh « Eh les gars, le Mexique c’est par là ! » (une réplique du film), ça vient de Luc Thuillier. Donc, y avait des moments comme ça où je disais « Oh putain, ça on garde » !


 


Je demande ça parce que j’ai toujours trouvé le Mexique fascinant.

Ouais, totalement. Évidemment. Ce fut un voyage, il y a quelques années… Ah ! Et ma fille après, qui est partie là-bas dans le Chiapas en tant qu’observatrice des élections avec les Indiens…


C’est le pays le plus charismatique avec l’Irlande.

Ah oui ! (se tourne à nouveau vers la salle où passe une jeune fille). Oui, le tissu lui va très bien.


Ah, c’est donc elle.

Oui, hein ?

 

C’est l’osmose entre le tissu et la fille.

Voilà, le mouvement.

 

Bon, reprenons. En parlant des lieux, on sent dans la dernière partie se déroulant en Afrique que vous avez un rapport ambigu avec ce continent, un peu douloureux…

Bah déjà, je suis franco-africain. Et d’une. Oui, l’Afrique, oui… C’était essentiel pour moi que… Que je puisse témoigner que peut-être… Ces applaudissements, cette ferveur, le groupe, tout ça, ce n’est pas non plus tout dans la vie. Y a la pensée, la spiritualité… L’Afrique c’est ça… Sa profondeur te relave l’âme, te relave le corps.


Le film s’y transporte d’un coup, sans explication.

Oui, comme les hommes. Les humains aussi, avant qu’ils prennent l’avion, ils ne l’ont pas pris… Les humains aussi, ils vont à l’aéroport et le moment d’après, ils sont ailleurs. Et puis, peu importe. Peu importe, peu importe. Je ne vais pas me mettre à expliquer pourquoi, d’un seul coup, le mec part. Pour moi, c’est très simple.


 



Comme une nécessité…

(Hésitant) Oui… (Certain) Oui ! Une fois que les concerts sont finis, je me dis que je vais retomber dans ma détresse, malgré mes petits potes. Une immense détresse, quoi… Elle m’emmerde cette détresse, parce que je suis plutôt un homme de combat. Puis la détresse, ma détresse, c’est… Ma détresse… (pose hiératique, yeux fermés, long silence) Par rapport aux détresses que j’ai croisées dans le monde, elle est… Face aux urgences de vie, ma détresse… Ma détresse, oui d’accord… Oui, d’accord. Voilà. Mais ça me plait pas toujours.

 

Justement, la musique est une porte de sortie ?

Exact, une bouée de sauvetage. La musique, c’est… On va mieux. Pendant qu’on la fait, on va mieux. Pendant qu’on l’espère, on va mieux. Pendant qu’on l’a, on va mieux. Pendant qu’on la garde, on va mieux.

 

Est-ce indissociable d’être acteur et chanteur ?

Euh, je ne sais pas. La musique, ça n’a rien à voir avec la comédie. La route, les hôtels… Non, je n’ai pas de… Avant tout quand même, il y a l’écriture, avant le cinéma, avant… L’écriture est incluse dans la musique…

 

Pour votre premier film en tant que réalisateur destiné au cinéma, il y a cet aspect original de mélange entre réalité et fiction…

C’est-à-dire que le film a été fait dans le créatif, de longue date. Donc, je peux pas avoir une explication très pragmatique de comment ça s’est passé. Chaque moment, je l’ai revendiqué. Il a été vivant tout le long… Y avait pas de moment décidé. À tel point que l’équipe technique, quand tu les entends parler, ils n’ont pas l’habitude… Ils voudraient que Godard renaisse, que l’histoire du cinéma redevienne… Brusquement, ils regardent leur énorme montre…

 

 



Je pensais aussi au parallèle avec la musique à cause de ça. Le côté improvisé fait penser à un morceau de jazz.

Oui, oui, oui. Je le revendique. Je revendique la chaloupe de ce film, je revendique ses notes blanches. Ouais, voilà. C’est fait comme quand un mec doit cracher tout ce qu’il a dans la tête, dans le cœur, dans l’âme avec son sax.

 

Vous parliez d’écriture. Le livre a été le succès que l’on sait à l’inverse du film. Les gens sont plus sensibles à l’écriture qu’au cinéma ?

Non, pas du tout. Ce serait une histoire longue à expliquer et ce serait me mettre dans une situation de martyr dont je n’ai pas envie. Les internautes, je n’ai pas envie de les faire chier… Ils ont parfaitement compris que l’insolent, la grande gueule Bohringer, tout ça… Ce film, bah les gars en costard cravate à neuf heures du matin pour regarder si le film pouvait être « commercial »… Bande de crétins… Ils sont cons parce qu’ils auraient pu gagner du pognon.

 

Vous ne voulez pas jouer les victimes.

Pas du tout ! Les garçons, ils sont là. On continue à faire des choses, à créer, à donner des concerts. On va repartir à Toulouse, y a trois salles qui nous veulent… On continue, on continue.

 

Propos recueillis par Julien Dury.
Autoportrait par Richard Bohringer. 

 

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