Michael Arias (Amer Beton)
Le réalisateur américain Michael Arias concrétise un rêve avec Amer Béton. Programmateur et animateur 3D de formation, il réalise aujourd'hui son premier film d'animation en tant que réalisateur au Japon. Pour cela, il a su s'entourer d'une fine équipe de l'animation japonaise et donner naissance à un film d'animation qui reste dans la tradition japonaise tout en s'écartant de ses conventions. Atypique, Amer béton est le fruit d'un passionné qui l'est tout autant et qui est très loquace comme vous pourrez le constater...
C'est votre premier long-métrage, qui plus est un film d'animation japonaise, comment en êtes vous arrivé
jusque là ?
Il y a 16 ans, j'ai commencé à
étudier le japonais et je me suis retrouvé à travailler sur l'attraction du
film Retour vers le futur au parc Universal Studios où j'étais
programmateur de mouvements. La plupart de l'équipe qui travaillait sur la
maquette de l'attraction était japonaise et ils m'ont présenté à une boîte
d'effets spéciaux au Japon. Après quelques années d'études de la langue, je me
suis dit que c'était une bonne opportunité pour y aller. Là-bas, j'ai découvert
tous les types d'effets spéciaux (images de synthèse, maquettes miniatures
etc.) et tout cela juste avant l'arrivée de Jurassic Park. J'ai
trouvé un job chez la célèbre compagnie de jeux vidéo Sega où ils travaillaient
énormément sur la 3D ; j'y ai réalisé deux courts-métrages. Pendant six
ans, je suis resté là-bas à travailler sur la 3D et à faire de la
programmation. J'ai commencé à inventer des programmes d'animation dont un qui
pouvait mélanger l'animation traditionnelle aux effets spéciaux ce qui a attiré
l'attention du studio Ghibli. A ce moment, ils étaient en train de lancer la
pré-production de Princesse Mononoké, grâce à cela, j'ai
rencontré des gens de l'animation traditionnelle et j'ai réalisé, en un an et
demi, un court-métrage « pilote » basé sur Amer béton
en images de synthèse sous la direction de Koji Morimoto qui est devenu mon mentor.
Ensuite, il m'a emmené sur le projet Animatrix au Studio 4° C où
je suis resté trois ans. A la fin de la production d'Animatrix,
j'ai présenté à la co-productrice, Eiko Tanaka, le script d'Amer béton et
elle l'a accepté. Elle m'a promis de faire le film bien qu'elle n'était pas
sûre d'avoir un budget suffisant.
Qu'est-ce qui a motivé votre
choix sur ce manga en particulier ?
J'ai dû lire pour la première
fois le manga en 1995 ou 96. En fait, tout a commencé quand un très bon ami qui habite au Japon, a perdu sa femme. C'était une très bonne amie également et la famille m'a demandé de prendre soin de mon ami donc j'ai
emménagé chez lui. Tout ça se passait quand je faisais de la programmation et
durant quatre mois, nous n'avons fait que boire, fumer sur le balcon de
l'appartement et contempler les bâtiments dont certains étaient en démolition
en face de son immeuble. J'ai eu une sensation de « pré apocalypse »
à ce moment surtout que je n'ai pas eu de travail pendant un certain temps. Mon
ami a une grande collection de mangas et un jour, j'ai trouvé trop déprimant de
regarder dehors et je lui ai demandé quel manga il me recommande et il m'a
tendu Amer béton. J'ai regardé la première page et j'ai eu l'impression de me
reconnaître avec mon ami car c'était l'image d'enfants sur un poteau électrique
et qui regardent la ville. Plus je lisais le manga plus je reconnaissais, dans
les dialogues, des remarques de mon ami et l'histoire avait quelques
similitudes avec la mienne. La question que pose le manga est : en quoi
croyez-vous ? Et cela a commencé à me travailler. Je pense que c'est le
premier manga que j'ai vraiment lu de ma vie avec ceux de Katsuhiro Otomo. Je l'ai
relu plusieurs fois pendant un certain temps parce qu'il me faisait
pleurer à chaque fois. J'ai donc commencé à faire, dans mon coin, des essais d'Amer
béton en images de synthèse et un ami les a montré à l'auteur du
manga, Taiyo Matsumoto, et à Koji Morimoto. Je les ai rencontré et nous avons
discuté de faire le film avec Morimoto à la réalisation. Il n'était pas
question pour moi à l'époque de réaliser le film mais après avoir travaillé
dessus pendant six ans, j'ai pensé que j'étais le plus lié au projet pour en prendre
les commandes.
Avez vous rencontré Taiyo
Matsumoto durant la réalisation du film ?
Oui, je l'ai rencontré très en
amont du projet puisque suite à mon essai vidéo d'Amer béton qu'on
lui avait présenté, nous nous sommes rencontrés à la fin de l'année 1997. C'était
un peu étrange car j'étais allé avec lui, Morimoto et d'autres, boire un verre
et ensuite on a continué la conversion dans un bain japonais... (rires). Nous
sommes devenus très amis surtout parce que nous n'avons pas parlé beaucoup d'Amer
béton mais plus de nos vies et de nos différences culturelles. Lorsque
j'ai vraiment décidé de réaliser le film, il a accepté gentiment ma proposition
et m'a dit que je pouvais en faire ce que je veux, à partir du moment que j'en
faisais un bon film. Il m'a donc fait confiance et ne s'est pas impliqué plus
que ça dans le projet.
A part le manga, quelle était
l'influence graphique principale durant la production du film ?
Il y a les dessins de mon
directeur d'animation, Shoujirou Nishimi, que j'adore avec son sens du timing.
Sinon Francis Bacon a été sans aucun doute mon influence principale pour le
Minotaure tandis que les films de gangsters de Kinji Fukasaku m'ont inspiré
pour les yakuzas et pour les mouvements de caméra agités. Le film La Cité
de dieu m'a également inspiré pour la même chose ; j'avais vu le
film après avoir commencé la production d'Amer béton et j'avais
déjà décidé de faire bouger la caméra comme une caméra portée. Ces effets de
caméra donnent une étrange dynamique à l'image et j'avais rarement vu cela en
animation. Nous avons eu quelques
problèmes techniques mais j'ai trouvé le moyen de faire, pour chaque plan, une
peinture en 3D et d'y faire bouger la caméra comme je le souhaitais. J'ai été
aussi influencé par le travail du photographe japonais Nobuyoshi Araki mais non
pas par ses célèbres photos érotiques mais par ses magnifiques photos d'enfants
des années 50-60. Les travaux du photographe Daido Moriyama, les peintures du
hollandais Horst Janssen ainsi que mes photos de voyages à travers toute l'Asie
m'ont influencé également.
Etait-ce difficile d'intégrer
les éléments 3D avec l'animation 2D ?
Je suis très bon lorsqu'il s'agit
de 3D et j'ai eu une très bonne équipe de 3D ; mon assistant réalisateur a
fait les effets spéciaux de Steamboy, celui qui s'occupait des
effets 2D était proche des animateurs 3D donc c'était juste une affaire de
bonne communication. Les 100 premiers plans que nous avons faits étaient
mauvais mais nous avons su les mélanger avec d'autres plans que nous avions
mieux réussi.
Eiko Tanaka est connue pour
donner une grande liberté artistique, quel a été son rôle sur ce film ?
Oui c'est vrai, elle est très
encourageante et très impliquée dans ce qu'elle fait. C'est une productrice
épatante qui peut aussi s'impliquer sur le plan personnel du réalisateur ;
par exemple, elle est venue régler un différent entre moi et ma femme une fois.
C'est une combattante car elle a dû négocier ardemment pour avoir le budget du
film. Je lui dois beaucoup pour ce film.
Avez vous d'autres projets
avec Studio 4° C ?
Pour l'instant, en tant que
réalisateur, non. Si je reprends ce poste de réalisateur, ce ne sera pas pour
tout de suite. J'aimerais faire un film « live » et plus rapidement.
Vous savez je n'aime pas l'animation à proprement parlé, je ne dessine pas très
bien. Le problème avec l'animation, c'est que ça ressemble à un gâteau qu'on
met dans un four mais qu'on ne sort pas avant trois ou quatre ans. C'est
beaucoup d'attente et surtout dans le cas d'Amer béton, c'est
plus long lorsqu'il s'agit d'une première expérience. Au delà de ces temps
d'expérimentations, j'aime le film aujourd'hui et je ne sais pas ce que je
ferais ensuite de l'animation ou du live voire des effets spéciaux, j'aimerais
beaucoup.
Vous suivrez donc les parcours
de réalisateurs tels que Mamoru Oshii ou Katsuhiro Otomo qui ont fait des films
« live » ?
Peut-être bien, Oshii et Otomo,
n'étant pas animateurs, passent au film « live » de façon
naturel alors que des gens comme Morimoto ou Miyazaki sont des purs animateurs
qui resteront dans l'animation toute leur vie. Otomo a dit qu'il regrettait
d'avoir tout dessiné sur Akira et Steamboy et qu'il
aimait la collaboration sur un film « live ». L'animation a
l'avantage de pouvoir être produit sur une longue période où vous pouvez mettre
de côté le film quelques mois et le reprendre ensuite ; le cinéma
traditionnelle est plus immédiat et vous contraint à faire tout dans un laps de
temps très limité. Cela vous donne un autre rapport avec l'équipe du film, vous
êtes plus ouvert aux autres. Si vous voulez passer deux ans à faire un film
« parfait », vous pouvez être réalisateur d'animation. Oshii et Otomo
peuvent faire des films d'animation à 20 millions de dollars et avoir chaque
plan parfait. Je ne sais pas pour Oshii mais j'en ai parlé avec Otomo et il m'a
dit qu'il a perdu beaucoup de temps à avoir l'ensemble parfait. Il ne trouve pas
si amusant de faire un film d'animation, c'est ce qui a dû le pousser à faire Mushi-shi.
Je n'ai pas vu le film mais on m'en a dit du bien.
Vous avez travaillé sur Abyss,
êtes vous intrigué par le nouveau projet de James Cameron, Avatar, dont
les effets spéciaux seront reconstitués sur le tournage ?
Je suis intéressé par ce côté
technique de montage en direct avec les effets spéciaux mais je ne pense pas
qu'il va inventer une nouvelle façon de raconter une histoire. Malgré cela, je
suis sûr que ce sera un super film. Ce nouvel aspect technique est le style de
James Cameron, c'est un « techno geek », il veut inventer une nouvelle
technologie à chaque film. C'est fascinant comme méthode de fabrication d'un
film mais ce n'est pas ce que je veux faire. Pour Amer béton,
toutes les techniques que nous avons utilisées, nous paraissaient justes pour
notre approche. Dans le cas de James Cameron, il crée plutôt l'histoire autour
de la technologie, son intérêt est différent du mien. Sur Abyss,
je ne savais pas s'il était plus intéressé de raconter l'histoire ou de faire
la créature liquide. Je ne sais pas mais en tout cas, je me demande toujours
quelle histoire je vais raconter et ensuite je me pose la question de la
technique.
Comment avez vous travaillé le
son et la musique sur Amer béton ?
On a commencé par la musique très
tôt dans la production avec Plaid qui a composé toute la musique. Sans images,
il a fallu expliquer ce que je voulais ; la musique contient des éléments
abstraits qui vous font poser moultes questions pour donner une émotion et c'est
une partie que j'aime faire. Pour les effets sonores, j'ai fait appel à un ami
que je connais depuis plus de vingt ans et qui a travaillé cette partie durant
quatre mois à Tokyo. A la base, nous n'avions pas d'argent pour le payer, nous
l'avons donc fait dormir dans le studio avec un sac de couchage ... Nous nous
sommes baladés dans Tokyo où par exemple, il y a un passage d'autoroute près
d'une rivière comme dans le film. Pour la scène dans les bains japonais, nous
avons enregistré mes enfants dans des bains en train de glisser et de
chahuter. Pour les scènes de kickboxing, nous sommes allés voir de vrais
matchs et ce que vous entendez sont de vrais coups. Nous avons essayé de rendre le plus crédible
possible tous les effets.
Comment le film a-t-il été
reçu au dernier festival de Berlin ?
C'était fantastique ! Il n'y
avait plus de places pour les trois soirs de projection, le public était debout
à la fin. J'étais inquiet pour ce festival mais ce fut incroyable.
Propos recueillis et traduits par Flavien Bellevue
Remerciements à Michel Burnstein de Bossanova.
Autoportrait de Michael Arias.