Michael Arias (Amer Beton)

Flavien Bellevue | 30 avril 2007
Flavien Bellevue | 30 avril 2007

Le réalisateur américain Michael Arias concrétise un rêve avec Amer Béton. Programmateur et animateur 3D de formation, il réalise aujourd'hui son premier film d'animation en tant que réalisateur au Japon. Pour cela, il a su s'entourer d'une fine équipe de l'animation japonaise et donner naissance à un film d'animation qui reste dans la tradition japonaise tout en s'écartant de ses conventions. Atypique, Amer béton est le fruit d'un passionné qui l'est tout autant et qui est très loquace comme vous pourrez le constater...


C'est votre premier long-métrage, qui plus est un film d'animation japonaise, comment en êtes vous arrivé jusque là ?
Il y a 16 ans, j'ai commencé à étudier le japonais et je me suis retrouvé à travailler sur l'attraction du film Retour vers le futur au parc Universal Studios où j'étais programmateur de mouvements. La plupart de l'équipe qui travaillait sur la maquette de l'attraction était japonaise et ils m'ont présenté à une boîte d'effets spéciaux au Japon. Après quelques années d'études de la langue, je me suis dit que c'était une bonne opportunité pour y aller. Là-bas, j'ai découvert tous les types d'effets spéciaux (images de synthèse, maquettes miniatures etc.) et tout cela juste avant l'arrivée de Jurassic Park. J'ai trouvé un job chez la célèbre compagnie de jeux vidéo Sega où ils travaillaient énormément sur la 3D ; j'y ai réalisé deux courts-métrages. Pendant six ans, je suis resté là-bas à travailler sur la 3D et à faire de la programmation. J'ai commencé à inventer des programmes d'animation dont un qui pouvait mélanger l'animation traditionnelle aux effets spéciaux ce qui a attiré l'attention du studio Ghibli. A ce moment, ils étaient en train de lancer la pré-production de Princesse Mononoké, grâce à cela, j'ai rencontré des gens de l'animation traditionnelle et j'ai réalisé, en un an et demi, un court-métrage « pilote » basé sur Amer béton en images de synthèse sous la direction de Koji Morimoto qui est devenu mon mentor. Ensuite, il m'a emmené sur le projet Animatrix au Studio 4° C où je suis resté trois ans. A la fin de la production d'Animatrix, j'ai présenté à la co-productrice, Eiko Tanaka, le script d'Amer béton et elle l'a accepté. Elle m'a promis de faire le film bien qu'elle n'était pas sûre d'avoir un budget suffisant.

 

 

Qu'est-ce qui a motivé votre choix sur ce manga en particulier ?
J'ai dû lire pour la première fois le manga en 1995 ou 96. En fait, tout a commencé quand un très bon ami qui habite au Japon, a perdu sa femme. C'était une très bonne amie également et la famille m'a demandé de prendre soin de mon ami donc j'ai emménagé chez lui. Tout ça se passait quand je faisais de la programmation et durant quatre mois, nous n'avons fait que boire, fumer sur le balcon de l'appartement et contempler les bâtiments dont certains étaient en démolition en face de son immeuble. J'ai eu une sensation de « pré apocalypse » à ce moment surtout que je n'ai pas eu de travail pendant un certain temps. Mon ami a une grande collection de mangas et un jour, j'ai trouvé trop déprimant de regarder dehors et je lui ai demandé quel manga il me recommande et il m'a tendu Amer béton. J'ai regardé la première page et j'ai eu l'impression de me reconnaître avec mon ami car c'était l'image d'enfants sur un poteau électrique et qui regardent la ville. Plus je lisais le manga plus je reconnaissais, dans les dialogues, des remarques de mon ami et l'histoire avait quelques similitudes avec la mienne. La question que pose le manga est : en quoi croyez-vous ? Et cela a commencé à me travailler. Je pense que c'est le premier manga que j'ai vraiment lu de ma vie avec ceux de Katsuhiro Otomo. Je l'ai relu plusieurs fois pendant un certain temps parce qu'il me faisait pleurer à chaque fois. J'ai donc commencé à faire, dans mon coin, des essais d'Amer béton en images de synthèse et un ami les a montré à l'auteur du manga, Taiyo Matsumoto, et à Koji Morimoto. Je les ai rencontré et nous avons discuté de faire le film avec Morimoto à la réalisation. Il n'était pas question pour moi à l'époque de réaliser le film mais après avoir travaillé dessus pendant six ans, j'ai pensé que j'étais le plus lié au projet pour en prendre les commandes.

 

 

Avez vous rencontré Taiyo Matsumoto durant la réalisation du film ?
Oui, je l'ai rencontré très en amont du projet puisque suite à mon essai vidéo d'Amer béton qu'on lui avait présenté, nous nous sommes rencontrés à la fin de l'année 1997. C'était un peu étrange car j'étais allé avec lui, Morimoto et d'autres, boire un verre et ensuite on a continué la conversion dans un bain japonais... (rires). Nous sommes devenus très amis surtout parce que nous n'avons pas parlé beaucoup d'Amer béton mais plus de nos vies et de nos différences culturelles. Lorsque j'ai vraiment décidé de réaliser le film, il a accepté gentiment ma proposition et m'a dit que je pouvais en faire ce que je veux, à partir du moment que j'en faisais un bon film. Il m'a donc fait confiance et ne s'est pas impliqué plus que ça dans le projet.


A part le manga, quelle était l'influence graphique principale durant la production du film ?
Il y a les dessins de mon directeur d'animation, Shoujirou Nishimi, que j'adore avec son sens du timing. Sinon Francis Bacon a été sans aucun doute mon influence principale pour le Minotaure tandis que les films de gangsters de Kinji Fukasaku m'ont inspiré pour les yakuzas et pour les mouvements de caméra agités. Le film La Cité de dieu m'a également inspiré pour la même chose ; j'avais vu le film après avoir commencé la production d'Amer béton et j'avais déjà décidé de faire bouger la caméra comme une caméra portée. Ces effets de caméra donnent une étrange dynamique à l'image et j'avais rarement vu cela en animation.  Nous avons eu quelques problèmes techniques mais j'ai trouvé le moyen de faire, pour chaque plan, une peinture en 3D et d'y faire bouger la caméra comme je le souhaitais. J'ai été aussi influencé par le travail du photographe japonais Nobuyoshi Araki mais non pas par ses célèbres photos érotiques mais par ses magnifiques photos d'enfants des années 50-60. Les travaux du photographe Daido Moriyama, les peintures du hollandais Horst Janssen ainsi que mes photos de voyages à travers toute l'Asie m'ont influencé également.

 

 

Etait-ce difficile d'intégrer les éléments 3D avec l'animation 2D ?
Je suis très bon lorsqu'il s'agit de 3D et j'ai eu une très bonne équipe de 3D ; mon assistant réalisateur a fait les effets spéciaux de Steamboy, celui qui s'occupait des effets 2D était proche des animateurs 3D donc c'était juste une affaire de bonne communication. Les 100 premiers plans que nous avons faits étaient mauvais mais nous avons su les mélanger avec d'autres plans que nous avions mieux réussi.

 

Eiko Tanaka est connue pour donner une grande liberté artistique, quel a été son rôle sur ce film ?
Oui c'est vrai, elle est très encourageante et très impliquée dans ce qu'elle fait. C'est une productrice épatante qui peut aussi s'impliquer sur le plan personnel du réalisateur ; par exemple, elle est venue régler un différent entre moi et ma femme une fois. C'est une combattante car elle a dû négocier ardemment pour avoir le budget du film. Je lui dois beaucoup pour ce film.

 

Avez vous d'autres projets avec Studio 4° C ?  
Pour l'instant, en tant que réalisateur, non. Si je reprends ce poste de réalisateur, ce ne sera pas pour tout de suite. J'aimerais faire un film « live » et plus rapidement. Vous savez je n'aime pas l'animation à proprement parlé, je ne dessine pas très bien. Le problème avec l'animation, c'est que ça ressemble à un gâteau qu'on met dans un four mais qu'on ne sort pas avant trois ou quatre ans. C'est beaucoup d'attente et surtout dans le cas d'Amer béton, c'est plus long lorsqu'il s'agit d'une première expérience. Au delà de ces temps d'expérimentations, j'aime le film aujourd'hui et je ne sais pas ce que je ferais ensuite de l'animation ou du live voire des effets spéciaux, j'aimerais beaucoup.

 

 

Vous suivrez donc les parcours de réalisateurs tels que Mamoru Oshii ou Katsuhiro Otomo qui ont fait des films « live » ?  
Peut-être bien, Oshii et Otomo, n'étant pas animateurs, passent au film « live » de façon naturel alors que des gens comme Morimoto ou Miyazaki sont des purs animateurs qui resteront dans l'animation toute leur vie. Otomo a dit qu'il regrettait d'avoir tout dessiné sur Akira et Steamboy et qu'il aimait la collaboration sur un film « live ». L'animation a l'avantage de pouvoir être produit sur une longue période où vous pouvez mettre de côté le film quelques mois et le reprendre ensuite ; le cinéma traditionnelle est plus immédiat et vous contraint à faire tout dans un laps de temps très limité. Cela vous donne un autre rapport avec l'équipe du film, vous êtes plus ouvert aux autres. Si vous voulez passer deux ans à faire un film « parfait », vous pouvez être réalisateur d'animation. Oshii et Otomo peuvent faire des films d'animation à 20 millions de dollars et avoir chaque plan parfait. Je ne sais pas pour Oshii mais j'en ai parlé avec Otomo et il m'a dit qu'il a perdu beaucoup de temps à avoir l'ensemble parfait. Il ne trouve pas si amusant de faire un film d'animation, c'est ce qui a dû le pousser à faire Mushi-shi. Je n'ai pas vu le film mais on m'en a dit du bien.

 

Vous avez travaillé sur Abyss, êtes vous intrigué par le nouveau projet de James Cameron, Avatar, dont les effets spéciaux seront reconstitués sur le tournage ?
Je suis intéressé par ce côté technique de montage en direct avec les effets spéciaux mais je ne pense pas qu'il va inventer une nouvelle façon de raconter une histoire. Malgré cela, je suis sûr que ce sera un super film. Ce nouvel aspect technique est le style de James Cameron, c'est un « techno geek », il veut inventer une nouvelle technologie à chaque film. C'est fascinant comme méthode de fabrication d'un film mais ce n'est pas ce que je veux faire. Pour Amer béton, toutes les techniques que nous avons utilisées, nous paraissaient justes pour notre approche. Dans le cas de James Cameron, il crée plutôt l'histoire autour de la technologie, son intérêt est différent du mien. Sur Abyss, je ne savais pas s'il était plus intéressé de raconter l'histoire ou de faire la créature liquide. Je ne sais pas mais en tout cas, je me demande toujours quelle histoire je vais raconter et ensuite je me pose la question de la technique.

 

 

Comment avez vous travaillé le son et la musique sur Amer béton ?
On a commencé par la musique très tôt dans la production avec Plaid qui a composé toute la musique. Sans images, il a fallu expliquer ce que je voulais ; la musique contient des éléments abstraits qui vous font poser moultes questions pour donner une émotion et c'est une partie que j'aime faire. Pour les effets sonores, j'ai fait appel à un ami que je connais depuis plus de vingt ans et qui a travaillé cette partie durant quatre mois à Tokyo. A la base, nous n'avions pas d'argent pour le payer, nous l'avons donc fait dormir dans le studio avec un sac de couchage ... Nous nous sommes baladés dans Tokyo où par exemple, il y a un passage d'autoroute près d'une rivière comme dans le film. Pour la scène dans les bains japonais, nous avons enregistré mes enfants dans des bains en train de glisser et de chahuter. Pour les scènes de kickboxing, nous sommes allés voir de vrais matchs et ce que vous entendez sont de vrais coups.  Nous avons essayé de rendre le plus crédible possible tous les effets.

 

Comment le film a-t-il été reçu au dernier festival de Berlin ?
C'était fantastique ! Il n'y avait plus de places pour les trois soirs de projection, le public était debout à la fin. J'étais inquiet pour ce festival mais ce fut incroyable.

 

 

Propos recueillis et traduits par Flavien Bellevue

Remerciements à Michel Burnstein de Bossanova.

Autoportrait de Michael Arias.

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