Darren Aronofsky (The Fountain)

Vincent Julé | 20 décembre 2006
Vincent Julé | 20 décembre 2006

Après la première projection de The Fountain, le nouveau miracle de Darren Aronofsky, et les larmes sur les joues d'une moitié de la rédaction d'Ecran Large, l'expérience ne pouvait s'arrêter là. Il fallait la prolonger, un petit peu, encore, l'appréhender et la comprendre de toutes les manières et entrées possibles. Et quel meilleur guide que son auteur lui-même, généreux, bavard et disponible ! Donc, vous êtes prévenus, c'est parti pour un entretien fleuve avec le jeune maître.

Plus que de simple réincarnation, il est question avec The Fountain de cycle, et même de recyclage !
C'est ce que je fais dans le film, exactement. Le personnage de Rachel en parle à plusieurs reprises, comment notre corps et notre cœur retournent à la terre pour devenir un arbre puis un fruit… c'est l'idée générale, le retour au Big Bang.

Je faisais davantage référence à la première tentative de monter le projet, et au fait qu'aujourd'hui le film est comme recyclé ou refait.
Oui, dans un certain sens. On m'a fait cette blague des centaines fois, que le film est mort, ressuscité, mort, etc. Un peu comme le phénix qui renaît de ses cendres.


Q'aurait donné cette première version ?
Avez-vous lu le comic book ? C'est très proche du scénario. Vous pouvez ainsi voir les différences entre cette version et le résultat final. Bien sûr, le comic est l'interprétation du dessinateur Kent Williams, donc visuellement le film aurait été différent, mais du point de vue de l'histoire et de la narration, cela aurait été la même chose. Mais sinon, les deux versions, les deux visions sont aussi similaires que distinctes. L'idée et le corps du film sont les mêmes, mais la plus grande différence se révèle une fois le film fini. En effet, ce dernier, comme dans 90% des cas, appartient alors plus aux acteurs. Et donc ici, à Hugh Jackman et Rachel Weisz.

Et avec Brad Pitt et Cate Blanchett ?
Je n'en ai vraiment aucune idée, je ne sais ce qu'ils auraient amené avec eux sur le tournage, émotionnellement parlant. Les émotions ou les mouvements auraient été différents, le long-métrage aussi. Le résultat final aurait sans doute donné lieu à un grand film, mais ce dernier ne s'est pas fait. Pour moi, seul le vrai The Fountain existe, j'en suis très heureux et fier.

Avec une telle réduction de budget, c'est aussi l'occasion de revenir à l'essence même de l'histoire et du film ?
Tout à fait… par exemple, dans le script original et dans la graphic novel, il y avait une grosse bataille rangée au début. Et à l'époque où je l'avais imaginée et écrite, il n'y avait eu que Braveheart. C'était avant Troie ou Le Seigneur des Anneaux, un monde et un cinéma différents. Mais après trois Seigneur des Anneaux et le travail impressionnant de Peter Jackson, je ne me voyais plus prendre cette direction, je n'en avais plus l'envie. Après le gel du premier budget, j'étais sûr de ne plus avoir autant d'argent [près de 90 millions de dollars], donc je me suis demandé ce que racontait réellement cette scène. Ce n'est en fin de compte qu'une métaphore, donc j'avais juste besoin d'un homme contre un autre… et au final, c'est même mieux !


Le film reflète aussi les questionnements d'une génération, disons trentenaire.
J'ai commencé à l'écrire, il faut dire au moment où j'ai eu 30 ans, à cet âge charnière où l'on se dit que l'on aura bientôt 40 ans, puis 50… C'est donc l'âge de tous les dangers, des changements de vie, nos parents peuvent mourir de vieillesse, on pense à fonder une famille, avoir des enfants. Donc bien sûr, toutes ces questions, ces interrogations, ces constats m'entouraient, m'obsédaient pour la première fois, et comme toute personne, vous voulez être heureux pour la vie. C'est ce que l'homme cherche depuis toujours, de Gilgamesh à la Bible, dans toutes les cultures, des anciens conquistadors aux chercheurs d'aujourd'hui, qui essaient de rallonger la vie, par différents moyens, et même la chirurgie esthétique pour rester jeune.

Et pensez-vous que votre film traversera les âges ?
Nous avons tous travaillé très dur pour ça, c'est aussi un peu mon but à chaque film. Toutes proportions gardées, 2001, l'Odyssée de l'espace est vieux de près de 40 ans et pourtant vous ne voyez pas la différence, c'est fascinant. Bien que les vaisseaux spatiaux fassent un peu cheap. C'est pourquoi The Fountain a été réduit à un certain minimalisme. Nous ne souhaitions pas employer la bonne vieille méthode qui consiste grossièrement à envoyer des voitures et des camions dans l'espace, car un engin spatial peut ressembler à autre chose. Nous avons réfléchi et cherché, dans l'œuvre de Moebius par exemple, et nous sommes passés du cube à la sphère, puis à la bulle transparente et non faite d'un quelconque métal.


Ne pensez-vous pas que ce retour à l'essence, à la pureté, ne surprenne, voire braque, le spectateur ?
Je pense en effet que le film est difficile d'accès pour le public, car beaucoup de spectateurs ne veulent pas être bousculés ou mis à l'épreuve, mais Pi et Requiem for a dream ne l'étaient pas non plus. Je pense tout de même que les jeunes, de 18 ou même 16 ans, se laissent agripper facilement par le film. Vous pouvez être déconcertés par ce qui arrive, mais il se passe littéralement assez de choses pour Attention aux spoilers. Izzi meurt, et Tom refuse de l'accepter, il ne l'a pas écouté et continue de s'enfermer sur lui-même jusque dans le futur, où il accompagne l'arbre de vie mourant vers cette étoile mourante dont Izzi lui parlait, Shibalba, afin de renaître. C'est ce voyage, ce trip, qui lui fera traverser et accepter ce dont elle lui parlait, à savoir qu'il va mourir. Et il a alors le sourire. Je sais par avance que beaucoup n'aimeront pas cette image finale. Fin des spoilers. Alors, qu'est-ce que tu n'as pas compris ?

J'ai tout compris, du moins au bout de deux fois, mais certains pourront tout à fait résumer le film et ses enjeux comme ça, et se dire : c'est tout ?
Je comprends ce que tu veux dire, et je suis d'accord. Nous sommes dans une époque différente, où l'on ne va plus au cinéma une fois et puis c'est tout. On achète le DVD, puis on en parle sur Internet. C'est eux mon public, je suis un réalisateur de films cultes. Je ne fais pas Rush hour 3. J'aimerais pouvoir le faire, car je serais vraiment plus riche, ce serait aussi plus rapide et plus simple, mais je ne suis pas intéressé. Mon film est plutôt à revoir, encore et encore, pour en saisir les symboles sur lesquels nous avons beaucoup travaillé, que nous avons cachés aussi, comme cette correspondance entre les formes et les temps : le triangle pour le passé, dans lequel s'imbrique le carré du présent, et enfin la sphère du futur.

The Fountain est très organique, de l'esthétique à la bande son, tout est mis en œuvre pour « ressentir » le film. Était-ce pensé et réfléchi dès l'écriture ?
Si le corps est un peu le réceptacle de l'âme, il en est de même pour un film. Nous avons ainsi beaucoup réfléchi, parlé, travaillé jusqu'à ce que toute l'équipe comprenne, se comprenne et veuille, puis parvienne à le partager avec le public. Ce qui est à l'œuvre, c'est donc ce travail de plusieurs artistes et voix en commun. Et le meilleur compliment que j'ai pu entendre est « ce n'est pas un film, c'est une expérience ». Je veux que les gens aient un vrai trip… et plus vous êtes sous l'influence de substances, mieux c'est ! (rires)

C'est pourquoi je vous compare un peu, vous et votre travail, à Terrence Malick.
Merci. Le Nouveau Monde est pour moi le meilleur film de cette année, et de loin. Il n'y en a que pour Collision et Brokeback Mountain… mais franchement, off the record… (il fait une grimace). Malick a réussi le tour de force de recréer une époque, un temps, du ressenti à l'émotion, comme Kubrick avec Barry Lyndon. C'est si rare et spécial. Donc, encore merci.

Quels sont vos futurs projets ? Si je dis l'adaptation du roman Flicker [La Conspiration des Ténèbres en français] ?
Nous le développons, c'est un très bon script, mais je sens que j'ai besoin de faire un autre film avant, sur l'environnement. Je suis tellement en colère en ce moment. J'adore Flicker, cela sera un beau film, mais le temps nous est compté, donc nous avons besoin de faire des choses utiles, de se focaliser. Le monde est, selon moi, dans une situation et une forme terrible, où de George Bush à Paris Hilton, tout est cynique ou perverti. Il faut trouver un moyen pour que les gens en prennent conscience, et vite. Le film d'Al Gore, Une vérité qui dérange, est de ce point de vue très intéressant. S'il était à la Présidence aujourd'hui, le monde serait complètement différent. Il n'aurait pas fait les choix, les mauvais choix, concernant l'après-11 Septembre. Les Américains étaient perdus à l'époque car ils étaient des victimes, mais en cinq ans, nous sommes devenus la nation la plus haïe du monde… et de plus, tout cela semble tenir du non-sens par rapport à ce qui arrive à la Terre, à ce qui nous arrive. Bien sûr que tous ces gens qui meurent à travers le monde c'est terrible, mais nous mourons tous, et nous tuons la planète entière. Selon moi, c'est le seul et vrai problème aujourd'hui. Et j'ai toujours foi en l'Amérique et ses habitants.


Ce serait presque la meilleure période pour faire Watchmen ?
Il y a là en effet, une vraie et grande histoire, très politique, et Alan Moore a toujours eu un regard aiguisé et moral sur la planète. J'espère… je pense même que Zack Snyder, qui est très talentueux, fera un grand film. Cela ne tient plus qu'à lui !

Sinon, quelle est votre position aujourd'hui dans l'univers impitoyable de Hollywood ?
Je pense… je ne suis pas… je ne sais pas… je pense que ça aide de faire des films qui rapportent de l'argent, cela ne me dérange pas d'aider des gens à s'enrichir, au contraire. Mais je préfère être en harmonie avec moi-même, et mon cinéma. Je n'ai jamais fait de pubs, ni de clips, je n'ai fait que mes films, des films que je chéris. J'ai abandonné beaucoup d'opportunités, de « grosses » opportunités. Je ne ferai pas Batman ou Watchmen, mais je voulais faire The Fountain coûte que coûte, et c'est pourquoi je suis dessus depuis plus de six ans quoi qu'il arrive. La vie est trop courte, et j'ai peur d'avoir de l'argent, peur que cela me fasse du mal. J'ai un enfant avec Rachel [Weisz] maintenant, et cela demande beaucoup d'énergie, d'énergie positive. Mais à côté vous devez avoir une voiture, donc une assurance, donc… ce sont autant de distractions qui vous détournent de l'essentiel. Et moi, je ne veux pas de voiture… j'ai ma carte de transport public !

Propos recueillis par Vincent Julé.
Autoportrait de Darren Aronofsky.

Tout savoir sur The Fountain

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.
Vous aimerez aussi
commentaires
Aucun commentaire.