A la découverte de Kim Ki-Young

Flavien Bellevue | 17 décembre 2006
Flavien Bellevue | 17 décembre 2006

Le samedi 2 décembre dernier a eu lieu à la cinémathèque française, une table ronde autour d'un réalisateur coréen des plus atypique, Kim Ki-Young. Reconnu pour être le cinéaste coréen à avoir été le plus longtemps indépendant, Kim Ki-Young a influencé en grande partie la nouvelle génération du cinéma coréen actuel. De Bong Joon-Ho (Memories of murder, The Host) à Park Chan-Wook (Lady Vengeance) en passant par Im Sang-Soo (Une femme coréenne) ou encore Kim Ki-Duk (Locataires, Printemps, été, automne, hiver…et printemps), tous revendiquent plus ou moins l'influence des oeuvres de Kim Ki-Young sur leur travail.

 

 

Qualifié d' « entomologiste cruel » par, Jean-François Rauger, le programmateur de la cinémathèque, Kim Ki-Young a donné naissance à des mélodrames et des thrillers d'une cruauté et d'une violence inouïes où il met souvent à mal un couple de la petite bourgeoisie par l'intrusion d'une servante qui brise son unité. Commencé avec le film La servante en 1960, ce thème sera repris six à sept fois par le réalisateur coréen sur une période de 35 ans. Pour célébrer cette rétrospective qui est la plus grande jamais faite sur le réalisateur (sur les 32 films qu'il a réalisés, 10 ont été perdus et la cinémathèque en présente 18), Jean François Rauger s'est associé à l'historien et professeur de cinéma coréen Kim Hong-Joon pour nous permettre de découvrir ce cinéaste hors normes. Kim Hong-Joon a d'ailleurs profité de cette occasion pour faire un documentaire - hommage à Kim Ki-Young en allant voir les jeunes réalisateurs coréens influencés, qu'il a présenté à la cinémathèque avant la table ronde. Cette discussion intitulée « Pulsions, catharsis et société » avait pour animateur Jean-François Rauger aux côtés de Kim Hong-Joon, une des actrices fétiches de Kim Ki-Young, Lee Hwa-Si, le fils de Kim Ki-Young et le réalisateur Bong Joon-Ho. Morceaux choisis.

 

Quelle était la place de Kim Ki-Young dans l'industrie du cinéma coréen ?
Kim Hong-Joon : Kim Ki-Young a été représentatif du cinéma coréen des années 60 au même titre que les autres réalisateurs de l'époque comme Shin Sang-Ok, Yoo Hyeon-Mok ou encore Kim Soo-Young. Ce qui différencie Kim Ki-Young des autres réalisateurs de ces années là, c'est qu'il est resté indépendant artistiquement jusqu'au années 90. Quand on parle de cinéma coréen, on parle de cinéma réaliste ce que Kim Ki-Young a fait pendant une période mais le style de cinéma qui le préoccupait le plus était le cinéma de genre. Grâce à cela, il a influencé ses contemporains.

Quand on voit les films de Kim Ki-Young, on a l'impression de voir des éléments des films de Luis Bunuel, Erich Von Stroheim ou encore Alfred Hitchcock, quelles ont été ses influences ?
K. H-J. : Comme il est dit dans mon documentaire, Kim Ki-Young regardait tous les films qui sortaient en Corée. Si les films d'Hitchcock, Stroheim ou de Bunuel sont sortis en Corée, il les a sûrement vu.

Le fils de Kim Ki-Young : Mon père s'intéressait à tous les films. Il n'allait jamais au cinéma avec une invitation, il tenait à payer chaque fois sa place. Il allait une fois par an au Japon où il restait cinq ou six jours sans aller à l'hôtel car il restait tout le temps dans une salle de cinéma. A chaque fois qu'il rentrait du Japon, j'espérais qu'il m'apporte un cadeau mais il n'apportait rien. Quel que soit les films qu'il voyait, il trouvait toujours des points positifs ; par exemple, il est rentré une fois à la maison et m'a dit qu'il avait trouvé extraordinaire le dernier film d'action avec Bruce Willis donc j'ai donc dû aller voir le film.

L'oeuvre de Kim Ki-Young tourne autour d'un même schéma, on a l'impression que c'est un homme obstiné, têtu, peut-être un peu obsessionnel ; sa mise en scène paraît très exigeante et physique. Etait-il un directeur d'acteurs tyrannique ou pas du tout ?
Lee Hwa-Si : C'était un réalisateur qui essayait toujours de mettre en valeur ses acteurs. Il tenait toujours à soigner l'esthétique du film. Quand il travaillait, j'avais l'impression qu'on était dans une monarchie et qu'il était le roi. (Rires)

 

 

Le fait qu'il ait repris autant de fois la même histoire signifie peut-être qu'il ne lâchait pas prise pour avoir ce qu'il voulait. On a l'impression qu'il cherchait quelque chose. Est-ce qu'il essayait d'obtenir des acteurs à tout prix quelque chose qui lui convient ?
L. Hwa-Si : Oui ! (Rires)

 

Comment avez vous découvert Kim Ki-Young, avec quel film et comment ses films sont diffusés en Corée ?
Bong Joon-Ho : Quand j'étais étudiant, il n'y avait pas d'établissements comme la cinémathèque pour découvrir des films anciens donc les cinéphiles comme moi devaient se procurer les films en cassette vidéo. J'allais souvent, une fois par semaine, dans un marché aux puces et c'est là que j'ai trouvé une cassette vidéo d'un film de Kim Ki-Young. Le premier film que j'ai trouvé était La femme de feu (1971) ; (Il présente au public la boîte de la cassette) comme vous pouvez le voir, le film était vendu comme étant un film érotique et vous remarquerez qu'ils ont ajouté l'accroche totalement fausse : « Présenté en 1972 au festival de Cannes » (Rires). En réalité, le film avait été soumis à la commission du festival de Cannes pour être sélectionné mais il ne l'a pas été. Le film a été un choc pour moi car j'étais étudiant en cinéma et j'étais en train d'apprendre l'histoire du cinéma coréen. Les cinéphiles de cette époque ne regardaient que les films européens, américains indépendants ou japonais et étaient indifférents aux classiques du cinéma coréen ; ce film de Kim Ki-Young a été une occasion de briser mes préjugés sur l'ancien cinéma coréen.

 

 

L'existence de cette cassette vidéo vendue en tant que film érotique signifie-t-elle que le culte pour Kim Ki-Young notamment par les jeunes cinéastes, viendrait d'une cinéphilie contre l'idée de « classique » et à la recherche de films populaires artistiques ? D'ailleurs, comment ses films et lui-même étaient considérés en Corée ?
K. H-J. : En Corée, sans parler de film « classique » coréen, le public ne s'intéresse pas beaucoup aux films classiques. Le film La femme de feu date de 1971 mais il est sorti en vidéo en 1987 parce que le marché de la vidéo a explosé en Corée au milieu des années 80. Il n'y avait pas pour autant un intérêt particulier à sortir ce film là.

 

Le fils de Kim Ki-Young : Je n'étais même pas au courant de cette vidéo.

K. H-J. : Après les succès des films coréens dans les années 60-70, les réalisateurs dont Kim Ki-Young ont eu du mal à faire leurs films dans les années 80. Il était difficile de faire de bons films qui soient au goût du public, c'est à dire artistique et à la fois commercial. L'industrie du cinéma coréen, étant en baisse à ce moment là, à favoriser tout cela. Kim Ki-Young a tout même continué de réaliser pendant cette période avec ses propres moyens et se plaignait de plus en plus de ses conditions de travail. Il considérait cette période des années 80 comme étant sa mauvaise période. Paradoxalement, ce sont ses films des années 80 qui ont créé sa réputation auprès des jeunes cinéastes coréens qui en ont fait des films cultes. Pour vous donnez un exemple, Le papillon meurtrier a été fortement apprécié par les jeunes cinéastes à cause des décors grotesques et des effets spéciaux drôles et surtout parce que Kim Ki-Young déconsidérait ce film. Il avait été contraint de tourner ce film sous un régime militaire et avait reçu de fortes critiques.

L. Hwa-Si : Il y avait beaucoup de crânes dans ce film et j'en joue un ! (Rires)

Ce pourquoi aujourd'hui Kim Ki-Young est fascinant, c'est la rencontre entre quelque chose de très artistique dans l'histoire du cinéma qui viendrait des grand cinéastes et du surréalisme, et un certain goût du cinéma de genre qui fait parfois penser aux films italiens des années 60-70. Au niveau du scénario, était-ce effrayant de se dire qu'on devait jouer des situations quasi impossibles ?
L. Hwa-Si : Je n'ai pas l'air comme ça mais j'ai un côté très violent. Mon côté apparent doux et ma violence cachée en moi convenaient parfaitement aux exigences de Kim Ki-Young. (Rires)

Et à la maison, il était comment ?
Le fils de Kim Ki-Young : C'était un homme qui donnait beaucoup d'importance au temps. C'était très précieux pour lui, si vous alliez quelque part avec lui, vous faisiez ce que vous aviez à faire et vous repartiez tout de suite après. Le seul événement auquel il a participé du début à la fin était son mariage (rires). C'était un grand travailleur, il ne prenait presque pas de pauses et je me demandais toujours pourquoi il travaillait autant alors qu'il ne sortait pas autant de films. Le moment le plus difficile pour lui était quand il devait travailler loin de sa famille.

Bien avant la reconnaissance culte, comment le public de l'époque percevait ses films à leurs sorties ?
K. H-J. : On peut se rendre compte du phénomène à travers une anecdote qu'il m'a racontée à propos de La servante. Lorsque le film est sorti, beaucoup de femmes s'identifiaient à l'épouse et lorsque la servante apparaissait, elles se fâchaient et criaient « Non à la servante ! ». Kim Ki-Young était très fier de cette réaction et était ravi à la fois que le film soit un succès commercial et qu'en même temps le public comprenne son message.

 

 

Dans la rétrospective, on va voir les films de propagande très bizarres commandés à Kim Ki-Young. Dans quelles circonstances a-t-il été amené à faire ces films anti-communistes ? Comment arrivait-il à concilier ces films avec ses projets plus personnels ?
K. H-J. : A l'époque les réalisateurs n'étaient pas libres de faire leurs propres films. L'Etat travaillait entre le réalisateur et le producteur ce qui explique le manque de contrôle du réalisateur. Pour pallier ses problèmes financiers, Kim Ki-Young a crée sa propre société et à travers elle, il a importé des films américains ce qui lui a permis d'avoir des subventions. Pour pouvoir importer des films américains ou étrangers, il fallait faire un quota de film de propagande, c'est dans ces circonstances que Kim Ki-Young s'est retrouvé à en faire. Il a eu des problèmes avec le gouvernement car il tournait ces films là à sa façon. Le film L'amour du lien du sang représente une histoire tragique du cinéma coréen. En préparant cette rétrospective, j'ai découvert le film pour la première fois et avant je m'attendais à un film moins intéressant et moins drôle que les autres. Les films de propagande de l'époque montraient les communistes comme étant des idiots qui ne pensent qu'au sexe alors que Kim Ki-Young les traitait beaucoup mieux. Le personnage joué par Lee Hwa-Si et le scénario sont si convaincants que j'ai presque adhéré à l'idéologie communiste ! (Rires). D'un point de vue général, c'est un film de propagande anti-communiste mais si vous ne gardez que les scènes avec Lee Hwa-Si, c'est un film de propagande communiste.

 

L. Hwa-Si : Dans ce film et dans d'autres de Kim Ki-Young, les scènes sont imprévisibles et c'est ce qui le différencie des autres metteurs en scène.

Dans le cinéma de Kim Ki-Young, les femmes sont beaucoup plus fortes que les hommes. Elles sont brutales, violentes et perverses, comment expliquez vous cela ?
K. H-J. : Chaque réalisateur a son univers. Lorsqu'il réalise un film, il se demande comment le public va accueillir le film, si ça ne va pas poser problème etc. De ce fait, il s'auto censure. Ce qui n'est pas le cas de Kim Ki-Young qui faisait ses films avec conviction. Pour lui, la femme est supérieure à l'homme au point de vue social et physique ; s'il l'a fait ce qu'il le pensait.

Le fils de Kim Ki-Young : Ma mère était dentiste et a présidé l'association des dentistes pendant 25 ans. Même si elle ne travaillait pas avec mon père, elle l'accompagnait souvent sur les tournages et lui préparait toujours de quoi manger à ces occasions. Mon père parlait souvent de la supériorité de la femme alors qu'en ce temps là, en Corée, les femmes ne travaillaient pas et devaient soutenir leur mari. Son seul rendez-vous qu'il a eu dans sa vie a été avec ma mère.

Le cinéma coréen a beaucoup d'amateurs en France grâce à son énergie qui est souvent sexuelle et le traitement des genres. Dans le cinéma coréen actuel, il y a un mélange des genres qui semble être l'héritage de Kim Ki-Young. Parfois dans ses films, une séquence peut commencer comme un mélodrame et se terminer comme un film d'épouvante. Cette dimension du film de genre peu connu en occident, en quoi relève-t-elle du cinéma coréen ?
K. H-J. : On ne peut pas dire qu'il a créé une tradition car c'est tout le contraire. A son époque, les réalisateurs étaient obsédés par le réalisme et le genre typiquement coréen de l'époque était l'adaptation littéraire. Ces films étaient très valorisés or ce n'est pas ce qu'a fait Kim Ki-Young. On peut le définir comme un homme qui avait une réflexion cinématographique, tout ce qu'il faisait avait une répercussion sur le cinéma. Que ce soit la caméra, les décors, les acteurs ou les affiches de ces films, il contrôlait tout sur le tournage. Son style de cinéma est très différent mais j'aime bien le comparer à Stanley Kubrick…J'ai entendu que Kim Ki-Young ne donnait jamais de scénario aux acteurs avant le tournage, est-ce que c'était vrai ?

L. Hwa-Si : Il donnait le scénario mais il ne donnait pas de précisions sur la scène qu'on allait tourner. Pour le film La transgression, il y a une scène où l'on voit une peinture sur un mur qui n'était pas là juste avant de tourner la scène ; c'est donc lui au dernier moment qui l'a faite. C'était un homme polyvalent car il était peintre et cuisinier. Il était humble car c'était quelqu'un qui ne prenait pas souvent de transport et donc qui marchait beaucoup.

La rétrospective de Kim Ki-Young a commencé depuis le 29 novembre et se terminera le 23 décembre 2006. Pour tous les amateurs de films déviants, cruels, esthétiques et du bis, nous vous recommandons chaudement cette rétrospective unique d'un réalisateur qui gagne à être découvert : Kim Ki-Young.

Retrouvez l'intégralité des projections à cette adresse.
Remerciements à Elodie Dufour et à Jean-François Rauger de la Cinémathèque française ainsi qu'à la délégation coréenne qui a animé ce débat.

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