Paul Verhoeven (Black book)

Caroline Baerthel-Duclos | 29 novembre 2006
Caroline Baerthel-Duclos | 29 novembre 2006

Nous avons rencontré un réalisateur que nous portons dans notre coeur à Écran Large : il suffit de lire notre dossier pour se convaincre que, à nos yeux, Paul Verhoeven reste un des rares réalisateurs actuels capables d'imprimer sa patte au sein d'une grosse production. Restait, devrait-on dire, puisque Black book, son dernier opus qui sort ce 29 novembre, marque le grand retour de l'enfant prodige (terrible ?) sur les terres natales du cinéma hollandais. Sans doute que Hollywood ne laissait plus de marge de manœuvre à ce réalisateur qui a été souvent taxé de tous les maux. Pour marquer cet évènement en soi, la Fnac et Pathé avaient programmé une Masterclass dans le magasin de Montparnasse le 6 novembre dernier à laquelle Écran Large a pris part nanti de ses caméras.

 

Si nous vous proposons un extrait vidéo de cette rencontre animée par Laurent Cotillon (vous la retrouverez en intégralité lors de la sortie du film en DVD au sein d'une édition uniquement vendue au sein des magasins Fnac), le reste des propos de Paul Verhoeven sont à savourer tout de suite ci-dessous en mode « texte ». Bonne lecture !

 

 

Voir l'extrait de la masterclass en très haute résolution (Flash 8 / 46 Mo)Voir l'extrait de la masterclass en haute résolution (Flash 8 / 23 Mo)

 

Depuis votre dernier film Hollow man, cela fait six ans que l'on attend votre come-back. Une éternité !
Je n'ai pas trouvé de films qui m'intéressent personnellement aux États-Unis donc je suis revenu à mes racines, à mon scénariste de toujours mais la raison première de ce choix a été le scénario de Black Book.

 

Qu'est-ce qui a dicté votre retour en Europe ? Est-ce que ce projet aurait pu être réalisé avec des fonds américains en dehors de l'Europe ? N'auriez-vous pas pu tourner un film réaliste aux États-Unis ?
C'est vrai que j'ai tenté de faire un film aux États-Unis, un film réaliste et j'avais entre autre comme projet, un film sur la vie de Victoria Woodhill, féministe avant l'heure, probablement prostituée, qui vivait au 19ème siècle. Mais les idées changent et personne ne voulant de mon scénario. Du fait de son audace et de son côté provocateur, j'ai dû également abandonner ce projet. J'ai également passé deux années de ma vie à faire des recherches sur le côté historique de la vie de Jésus. En fait, à la place, j'écris un livre qui sortira probablement en septembre 2007, qui sera, je crois, la base d'un film, qui surprendra de par sa vision, inédite.

 

 



Si on en juge par les images du Quatrième homme et le rapport à la religion qui s'y rapporte, vous ne craignez pas une montée de boucliers de la part de l'Église catholique qui empêcherait la réalisation de votre projet ?
Dans Le Quatrième Homme, il s'agit de religion mais c'est surtout les visions d'un écrivain, il n'y a aucune réalité historique par rapport à la vie de Jésus et je crois que de toute façon, si je faisais un film sur sa vie, il n'y aurait pas beaucoup de scènes de sexe puisque, je doute fort que Jésus à l'époque, était intéressé par ce domaine. Ce sera un film extrêmement politique.

 

 

Vous parlez de réalité historique, pourriez-vous nous resituer Black book ?
Ce film est inspiré d'évènements réels... Tous les personnages que je montre sont tous basés sur des personnages réels, bien que Rachel, le personnage qu'interprète l'actrice Carice Van Houten, soit l'amalgamme de trois résistantes, qui toutes les trois ont été éxécutées, soit avant, soit après la libération de la Hollande. Ce qui n'est pas le cas dans mon film, puisqu'elle, elle survit. Les autres personnages ne sont pas des amalgammes mais des personnages basés sur des personnes ayant réellement vécu. En gros, c'est l'histoire d'une jeune femme juive qui doit se cacher. Le film se situe entre septembre 1944 et mai 1945. Le nord de la Hollande est à cette époque occupé, Paris a déjà été libéré et c'est son histoire, sa façon de survivre, à travers des circonstances vraiment difficiles. Elle tente de rallier le sud, libre, de la Hollande mais elle n'y arrive pas et on se rend compte, dans cette plongée de l'horreur, que la Résistance n'est pas aussi belle qu'on pourrait l'imaginer et que certains des allemands ne sont pas si horribles que cela.

 

 



Avec Carice Van Houten, c'est, dans votre filmographie, une nouvelle héroïne forte. D'où vient cette fascination pour les femmes maîtresses?
Aujourd'hui, on m'a demandé si cela était lié à ma mère. C'est vrai que ma mère est une femme assez forte alors c'est un peu une explication freudienne, en quelque sorte, et je suis d'ailleurs marié à une femme assez forte. Mais, je me suis rendu compte très vite, que finalement, dès l'école primaire, je me rappelle encore du prénom de mes camarades de classe, les femmes étaient meilleures en maths, même si plus tard, j'ai fait des études de mathématiques. Donc, depuis l'âge de 7 / 8 ans, je sais qu'il y a une égalité entre hommes et femmes. Pour moi, c'est tout à fait normal de montrer des femmes fortes. Ca m'est naturel et j'aime les femmes fortes pas toujours et pas dans toutes les circonstances mais, j'aime les femmes de caractère.

 

 

C'est la deuxième fois que vous traitez de manière très directe la seconde guerre mondiale, vous y faîtes même allusion parfois dans Starship troopers où l'esthétique était très proche de la seconde guerre mondiale. Est-ce que vous pensez qu'aujourd'hui, après avoir traité le côté lumineux et le côté sombre de la Résistance, vous avez fait le tour de la question ?
J'ai le sentiment d'avoir tout dit, en tout cas, tout ce que je voulais dire sur la deuxième guerre mondiale. Vous parliez de Starship troopers et c'est vrai qu'inconsciemment, il y avait peut-être une vision critique du gouvernement américain de l'époque. À l'époque, c'était Clinton, aujourd'hui avec Bush, c'est différent, c'est dix fois pire... Il n'y avait pas forcément de message que je voulais dire sur cette guerre. Mais plutôt, dire quelquechose sur les éléments pseudo-fascistes, qui commençaient à poindre dans la société américaine et je voulais surtout les tourner en dérision et bien sûr avec Bush aujourd'hui, on voit ce que cela donne.

 

 



On a presque l'impression que Starship troopers est arrivé un peu trop tôt par rapport à l'actualité américaine et par rapport à l'évolution du pays...
Je doute que Starship troopers puisse se faire aujourd'hui, au vu des évènements actuels, je suis vraiment content de l'avoir fait à ce moment là car au moins, ce film existe. Évidemment, mon message est beaucoup plus clair aujourd'hui, mais à l'époque, il n'a pas été compris tel que je l'avais conçu, surtout dans les pays qui avaient connu, eux-mêmes, une histoire fasciste, telle que l'Allemagne, l'Italie et à un moindre degré la Hollande et la France, mais qui avaient eu ces collabos et sa période pro-nazie ou fasciste. Il y a eu à l'époque des attaques terribles, on m'a accusé de néo-fascisme ou de néo-nazisme. Les critiques venaient surtout de pays qui avaient eux-mêmes, soufferts ou subis, un certain fascisme. On me disait « Mais comment pouvez-vous promouvoir cela » ? En fait, je ne faisais que montrer, citer entre autre Leni Riefenstahl et son Triumph of the will, pour prouver que les héros de l'époque étaient des fascistes et probablement des américains...

 

 

Pour en revenir à Black book, est-ce que vous avez eu l'impression, en retrouvant votre scénariste de toujours et l'Europe, d'avoir retrouvé une liberté d'expression, qui vous était aujourd'hui, un peu interdite aux États-Unis ?
C'est vrai, je ne me sentais pas, à l'époque, de m'exprimer artistiquement. Je n'étais pas très heureux aux États-Unis, surtout après les évènements du 11 septembre où, le cinéma américain, avait davantage tendance à être un cinéma, disons de divertissement pur et dur et dont les succès de l'époque d'ailleurs le montre : Spiderman, la trilogie des Anneaux, Harry Potter, des films certes drôles, mais très éloignés d'une réalité qui, moi, m'interessait. Puisque j'essayais justement de revenir à cette réalité. Je dois dire que Gérard m'a beaucoup aidé en écrivant ce scénario avec moi. Finalement, Black book, c'est un peu un cri du coeur, un retour à la réalité, un retour à l'ambiguité du gris, opposé au manichéisme et au noir et blanc, à l'histoire de la Hollande, telle qu'elle à réellement été. À l'époque, il y a justement un livre qui, est sorti en Hollande qui, s'appelle Grey History et qui montre bien, à quel point l'attitude des Hollandais a été ambigue et parfois même terrible.

 

 



Par rapport à cette ambiguité, on a l'impression que vous la cultivez et que pour vous, il n'y a ni bons ni méchants. Il y a juste des gens, meilleurs que d'autres et le blanc et le noir n'existent pas.
En fait, c'est vrai que beaucoup de personnages le sont, mais dans mon film justement, l'héroïne Carice Van Houten, interprétant le personnage de Rachel, ne l'est pas du tout et d'aucun point de vu d'ailleurs. Elle n'est pas, contrairement à mes précédentes héroïnes, une opportuniste comme par exemple, dans Showgirls ou dans Spetters. Elle est même tout à fait altruiste pour moi, elle accepte ce que lui demande la Résistance: coucher avec un officier allemand pour avoir des informations pour sauver le fils du chef de la Résistance. C'était donc très important pour moi au contraire de m'éloigner de mes personnages de femmes habituels, qui ne sont pas totalement, manipulateurs ou mauvais comme l'était Sharon Stone, mais au contraire, d'être quelqu'un de totalement pur et d'altruiste justement.

 

 

Avez-vous eu l'impression d'être mal compris ou d'être carrément diabolisé ?
Oui, en particulier pour Starship troopers qui n'a pas du tout été compris. Je pense particulièrement à un article qui était paru dans le Washington Post, où Edward Neumeier, mon scénariste, et moi étions tous les deux traités de néo-nazis. Ce qui était terrible, c'est que ce n'était pas dans les colones habituelles des critiques de films mais, c'était un véritable article, disant que le film était potentiellement dangereux et qu'il était une sorte de promotion ou d'éloge pro-nazi. Même Showgirls a été mal compris mais là, je comprends davantage. Pour Starship troopers, je pense que c'était pour des raisons politiques que l'on a, volontairement ou pas, donné une fausse interprétation à mon film et à mes intentions.

 

 



Vous posez quand même l'hypothèse que cela aurait pu être un acte délibéré de sabotage...
Possible, il ne faut pas oublier que le Washington Post est un des journaux les plus conservateurs du pays, je ne pense pas qu'il y ai eut une volonté de me piéger vraiment. Je crois qu'ils ont été les premiers à sentir, qu'il y avait une véritable critique du gouvernement américain, de la politique américaine que je ne disais pas, ils se sont, je crois, sentis attaqués. Donc cet aticle a été une forme de riposte, ils voulaient finalement tuer l'ennemi dans l'oeuf !

 

 

Vous parliez de critiques mais cette fois dans la partie review, vous dîtes, les critiques sont parfois douloureuses, surtout lorsqu'elles sont dans le vrai. Dans quels cas, cela vous est-il arrivé?
J'ai accepté certaines critiques plus douloureusement que d'autres ainsi, je pouvais davantage comprendre que l'on critique Hollow man plutôt que Starship troopers car c'est vrai que dans Hollow man, il y avait des choses exagérées, qui, finalement n'étaient pas moi. D'ailleurs, c'était la première fois, en ajoutant mon premier film Business is business, que je faisais un film qui n'était pas proche de moi mais plutôt, une commande de studio; Donc, je n'étais pas fidèle à moi-même. Je ne pouvais donc pas me défendre face à ces critiques parce que je savais, qu'il y avait quelque chose de vrai dans ce qu'elles disaient. Par contre, pour Starship troopers, j'ai été blessé parce qu'ils n'avaient pas vu ce que je voulais dire et là, les critiques font mal. Quant à Showgirls, cela a été un désastre financier alors que moi, je trouvais que j'avais fait un film élégant, bien filmé, interessant, à tel point que, j'étais tellement habitué à la nudité que j'y avais mise que, je ne la voyais sincèrement plus. Je ne me rendais pas compte à quel point elle pouvait choquer ou blesser, la sensibilité américaine voire, la sensibilité mondiale. La seule façon de survivre à de mauvaises critiques, c'est de faire un nouveau film. Sinon, on est mort... Si je pense à toutes les critiques sur mes films, je suis moi-même étonné de pouvoir être assis là et de ne pas être totalement foudroyé par elles puisque, très souvent, on a dit qu'il fallait vomir sur mes films, donc vous imaginez tout ce que j'ai pu entendre...

 

 



En quoi trouvez vous que Showgirls est ésotérique ?
Ce film n'est pas ésotérique par définition mais ésotérique parce qu'il a été critiqué à un tel point que, pendant des années, personne n'a osé dire quoi que ce soit de positif sur ce film. Les premières critiques positives que j'ai lu sur ce film étaient dans les Cahiers du cinéma, c'est Jacques Rivette qui a dit des choses positives sur ce film. Et je dois dire, que très récemment, j'ai enfin lu dans la presse américaine, un article positif sur Elizabeth Berkley, que je vais m'empresser de lui envoyer car la presse l'a massacrée.

 

 

Vous avez tourné pendant 15 ans aux États-Unis, est-ce qu'il a fallut vous réhabituer à tourner en Europe, en termes de moyens, d'équipes de travail, de méthode?
Il n'y a pas vraiment de différence, notamment lorsque j'ai pensé aller aux États-Unis. Mon ami qui était aussi mon directeur de la photographie, Jan De Bont, qui, depuis, est devenu réalisateur et qui avait fait avec moi Basic instinct, cela faisait des années qu'il me disait d'aller aux États-Unis. J'y suis allé au milieu des années 80 parce que, je n'aimais plus vraiment la situation du cinéma en Hollande. Le gros avantage par rapport aux États-Unis en Europe, c'est que les acteurs, vraiment tous les talents, sont beaucoup plus accessibles. Les agent à Los Angeles bloquent souvent leurs talents, par exemple, il est pratiquement impossible d'avoir quelqu'un comme Nicole Kidman. La difficulté en Europe est davantage basée sur le budget, Black book est une co-production entre l'Angleterre, l'Allemagne, La Hollande et la Belgique. Il y a bien sûr de l'argent qui vient de Pathé, le distributeur. Ce qui est difficile, c'est d'avoir assez d'argent au bon moment pour faire le tournage et le poursuivre, ça, c'est très difficile. Au contraire, aux États-Unis, le budget n'est jamais un problème mais trouver LE bon acteur en est un.

 

Vous avez quitté les Pays-Bas pour des raisons politiques et vous êtes en train d'y revenir pour des raisons politiques aussi...
C'est vrai que je suis revenu pour des raisons politiques mais, surtout et fondamentalement, pour ce film qui à mes yeux me paraissait impossible à monter aux États-Unis. Certaines scènes auraient été impossibles à filmer, on ne m'aurait pas autorisé à filmer certaines scènes soit, d'un point de vu moral soit visuel et puis surtout, on m'aurait obligé à tout faire en langue anglaise, ce qui pour moi, aurait été un désastre, comment avoir des acteurs hollandais soudain parler anglais ? Je ne pouvais pas m'y résoudre et lorsque vous verrez mon film, dans sa version originale, les acteurs parlent hollandais, allemand, hébreux.

 

Pourriez-vous tourner un film sur le 11 septembre, sans être influencé?
Que pourrais-je vraiment dire qui n'est pas encore été dit ? Que c'était peut-être un complot juif ou américain, soyons sérieux, ce qui est intéressant là-dedans, c'est que ça a été fait par Ben Laden mais nous ne savons pas comment. Oliver Stone et d'autres réalisateurs bien sûr ont étudié d'autres aspects, mais en ce qui me concerne, je pense que rien ne peut être plus fort et plus choquant que les cassettes qui ont réellement montré ce qui s'était passé.

 

 



En 1992, vous avez monté les marches à Cannes, quelles ont été les réactions des spectateurs après la projection de Basic instinct ?
C'était un moment incroyable... Je me souviens de ce moment où elle tue ce type dans son lit et j'ai senti que toute la salle avait tressailli et je me suis dit que ça avait l'air de marcher. La chose la plus incroyable a été d'assister en live à la naissance d'une star. Sharon Stone est arrivée à Cannes inconnue et en deux, trois heures, c'était une star ! C'était fascinant combien elle était prête à devenir une star, intuitivement ou consciemment, c'était le rôle de star qui lui allait le mieux.

 

 

Un grand merci à Jean-Samuel Kriegk et à Damien Golla

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