Masterclass Yash Chopra

Flavien Bellevue | 17 novembre 2006
Flavien Bellevue | 17 novembre 2006

Le jeudi 27 avril 2006, le réalisateur Yash Chopra, fut convié à une masterclass au Grand Rex à Paris durant la Bollywood Week. La veille, le réalisateur avait présenté son dernier film, Veer Zaara, au public français en présence du compositeur Sanjeev Kohli et des actrices Preity Zinta, Rani Mukerji et surtout de l'acteur Shah Rukh Khan qui n'a pas manqué de faire hurler la foule. Revenant sur cet événement sans précédent qui a, tout de même, fait déplacer 5 000 personnes (alors que Tom Cruise présentait le même soir à la Défense, Mission Impossible 3 devant 1 000 personnes), le réalisateur se confie et donne son point de vue sur le cinéma indien à travers une interview – carrière menée par la réalisatrice et écrivain Nasreen Munni Kabir (livre : Bollywood, the indian cinema story et le film Follow that star en supplément sur le dvd de Sholay) et répond également aux questions du public.

Comment avez vous choisi le script de Veer Zaara ?
J'étais en pleine pré-production d'un film lorsque j'ai reçu le scénario de mon fils. Dès que j'ai lu les trois premières scènes, j'étais tout de suite convaincu et j'ai changé de projet sur le champ. Ce qui était intéressant, c'était les flash backs sur une période d'une vingtaine d'années et le fait que l'Inde et le Pakistan soient impliqués, vu la douleur de ces deux pays.

En regardant votre carrière, avez vous eu la sensation d'accompagner l'évolution du cinéma indien ou vouliez vous donner, vous même, une nouvelle direction à ce cinéma ?
Lorsque j'étais étudiant en cinéma, je n'imaginais pas qu'un jour je serais devant vous pour présenter mes films. J'ai débuté dans le métier en tant qu'assistant réalisateur pour mon frère alors qu'au départ je me prédestinais à une carrière d'ingénieur. Mon frère m'a donné une chance en étant son assistant pour un mois d'essai et…me voilà devant vous.

Hier, nous avons vu des réactions extraordinaires envers votre dernier film et le cinéma indien dans son ensemble, qu'en pensez vous ?
J'ai été absolument subjugué par le fait de voir un public qui ne comprend pas notre langue mais qui connaît notre cinéma et nous fait un tel accueil. Etre aussi loin de l'Inde et voir tout l'amour que l'on me renvoie ainsi qu'à toute l'équipe du film est absolument incroyable.


Dans le public, hier, nous avons vu des gens venants pratiquement des quatre coins du monde pour rencontrer l'équipe du film. Qu'est-ce qui attire autant les foules dans le cinéma indien ?
L'un de nos plus grands cinéastes indien, Raj Kapoor disait que le bon cinéma n'a pas besoin de langue ou de langage particulier. Je crois très fortement que toutes les nations ont le même langage et qu'il n'y aucune barrière ou obstacle dès qu'on parle d'amour. Dès qu'on voit cela à l'écran avec deux personnes, les gens sont heureux et quelque soit l'endroit où on est ou la langue qu'on parle, nous ressentons ce sentiment.

Bien qu'il y ait un public croissant pour le cinéma indien, ce cinéma est sujet à de nombreuses critiques. Quels sont, selon vous, ses points faibles ?
Notre public en Inde attend certaines choses de nos films. Il n'aime pas qu'on leur donne des leçons, ce qu'il veut ce sont des émotions. Comme tout public, il veut s'identifier aux personnages qu'il voit sur l'écran. C'est le seul secret pour réussir à faire des films. Le public indien demande donc à voir des histoires d'amour ou des histoires qui ont attrait à la mythologie et avec des chansons.

Avec le succès du cinéma indien de plus en plus grand dans le monde entier, est-ce qu'il y a des éléments dans les films qui soient trop ancrés dans la culture indienne et que le public étranger ne pourrait pas comprendre ?
Bien entendu, le public qui connaît notre culture appréciera mieux nos films mais à partir du moment où le langage du cinéma touche chacun, notre culture peut être transmise à n'importe qui et n'importe où dans le monde.

Depuis quelques années, vous produisez des films contenant ni chants ni danses, est-ce une évolution culturelle du cinéma indien ou est-ce une envie de se rapprocher des standards internationaux commerciaux ?
Comme vous le savez, les films indiens sont composés de musique et de chants et cela pour une raison simple il s'agit de notre culture. Elle fait partie de notre vie ; tous les moments de notre vie sont portés par la musique. Aujourd'hui, de merveilleux jeunes cinéastes qui ont leur propre sensibilité réalisent des films un peu plus courts. 95% des films indiens comportent de la musique car s'il n'y avait aucun moment musical, le public ne serait pas satisfait.


Est-t-il possible que vous puissez faire un film sans chansons comme l'a fait dernièrement Sanjay Leela Bhansali avec Black ?
J'ai déjà réalisé un film sans chansons, il y a 37 ans qui s'intitule Ittefaq. Si on me propose un scénario qui soit vraiment intéressant, pourquoi pas. Il n'est pas absolument essentiel pour moi qu'il y ait systématiquement des chansons mais les évolutions et les révolutions ne se font pas en un jour. Il y a la jeune génération de réalisateurs qui voit des films du monde entier et qui, du coup, font des films différents ce qui me donne envie également d'en faire.

Vous êtes considéré comme un réalisateur majeur du cinéma indien et surtout comme un spécialiste de la comédie romantique, est-ce que cette spécialité vous représente pleinement ou est-ce réducteur ?
Depuis 47 ans, je fais des films dont la plupart sont romantiques et c'est ce que j'aime car ils ont beaucoup d'émotions. Il y a eu une période où le cinéma d'action a dominé les autres genres et c'est à ce moment là où j'ai réalisé Deewar (Le mur) avec Amitabh Bachchan. Un jour, en allant à Bombay, je regardais les affiches de cinéma et je me rendais qu'il y avait que des films d'action. Je suis rentré et je me suis dit que les films d'action c'était fini pour moi et que désormais je ferais des films romantiques. Je pense qu'avec Chandni, j'ai ouvert la voie à un nouveau type de films romantiques. Aujourd'hui, c'est ce genre de films qui m'intéresse le plus. Tant que je ferai des films, tout ce qui m'intéressera de réaliser ce sont de films humains, plein d'émotion.


Le public connaît Veer Zaara et va découvrir Khabie Khabie, qu'est-ce qui a changé entre la réalisation des deux films et quelle leçon tirez vous de cela ?
Lorsque j'ai réalisé ce film, il y a 30 ans, je donnais à travers lui mon interprétation des mœurs de l'époque. L'histoire raconte la rencontre d'un homme et d'une femme mais dont l'union n'est pas souhaité par leurs parents ; avec Veer Zaara, le héros tombe amoureux d'une femme mais elle est pakistanaise et lui indien et au delà des différents entre les deux pays, c'est l'amour qui compte. Au temps de Khabie Khabie, les couples ne pouvaient pas faire ce qu'ils voulaient maintenant les jeunes sont plus libres. A défaut de parler de différences, le point commun des deux films est quelque soit la contrainte de la société, l'amour est plus fort que tout.

Au cours de votre carrière vous avez eu énormément de succès mais aussi des échecs, dans les années 80, pourquoi vos films ont marché autant et pourquoi certains n'ont pas eu ce succès ?
Quelqu'un a dit les échecs sont les piliers du succès et que c'est grâce à eux que l'on peut mieux bâtir ces futurs réussites. J'estime que mon principal atout c'est apporter du courage à la vie et de recommencer sans cesse. Dans le cinéma, et cela est valable partout dans le monde, on est toujours aussi bons ou aussi mauvais que le dernier film qu'on a fait, peu importe les précédents, c'est le dernier qui compte.


La présence de la musique est très importante dans le cinéma indien et surtout dans vos films. Qu'est-ce que la musique et les chansons peuvent exprimer au contraire d'un dialogue ?
Ce qui compte le plus dans la musique de nos films, ce sont les paroles des chansons. Certaines situations se prêtent à des dialogues tandis que d'autres se prêtent mieux à travers des chansons. Dans nos films, nous avons une centaine de scènes dont huit sont chantées, ces chants ne sont pas de simples mots mis les uns à côté des autres, c'est de la poésie. Ce sont donc des moments poétiques que des dialogues ne peuvent pas rendre compte.

Après tant d'années de carrière quelle est la signification la plus importante qui passe par la musique ?
La musique peut être très puissante si elle est associée à de la poésie. Par exemple, pour Khabie Khabie, les chansons du film sont encore très célèbres en Inde et si la musique est jouée uniquement, le public ressent une certaine nostalgie et l'associe tout de suite à la poésie qui l'accompagne. C'est ce qui fait qu'une musique reste moderne.


Vous avez une belle carrière derrière vous, aujourd'hui vos fils débutent dans le métier qu'en pensez vous ?
Je pense que mes fils prennent le relais aujourd'hui. Le premier film de mon fils, Aditya, qui s'intitule Dilwale Dulhania Le Jayenge est toujours à l'affiche (Ndlr succédant à Sholay, Dilwale… est le film indien le plus longtemps exploité en Inde et cela depuis 1995). Il a écrit quatre scénarios de mes films dont Veer Zaara. La réussite d'un film tient à son scénario et rien d'autre donc tout le mérite lui revient. Pour mon fils, Uday qui est acteur, il est encore trop tôt pour se prononcer car il débute dans le métier.

L'Inde est un pays de couleurs et vous les maniez à merveille dans vos films ; comment travaillez vous justement la couleur ?
Je vous remercie de souligner cet aspect de mes films. Notre vie est pleine de couleurs, elle est extrêment multicolore et comme vous le savez, une fois toutes les couleurs mélangées, cela donne du blanc. Ce que nous faisons avec nos films, c'est de projeter notre pays, notre façon de vivre sur l'écran.


Avez vous des futurs projets mélangeant des acteurs d'Inde et d'occident comme on a pu le voir dans des films tels que Kisna : The warrior poet (2005) ou encore Lagaan?
Ce mélange orient et occident peut paraître très vite artificiel si ça ne correspond pas au scénario. Si c'est pour un rôle de britannique ou de français, pourquoi pas tant que la raison est valable ; mais le simple mélange pour le plaisir de mélanger ne fonctionne pas. En revanche, ce qui est vrai c'est que le monde devient de plus en plus petit et que les distances sont raccourcies ; je viens vous voir aujourd'hui à Paris et vous pouvez aller en Inde voir le pays mais tant que le scénario du film n'a pas de bonnes raisons de mélanger des personnages orientaux et occidentaux, ça ne vaut pas la peine car ça ne marchera pas.

Est-ce que vous seriez intéressé, un jour, de tourner à Hollywood avec des acteurs américains et pourquoi pas avec des chansons ?
Je suis très fier de nos acteurs et de nos techniciens en Inde. Je n'ai pas de désir particulier d'aller travailler à Hollywood. Nous avons d'excellents acteurs comme Shah Rukh Khan et Amitabh Bachchan mais aussi des jeunes acteurs et des techniciens formidables. Je n'ai donc pas besoin d'Hollywood et encore moins de faire un film là-bas.


En guise de conclusion à cette masterclass, Yash Chopra ajoute :
Pour moi, ce séjour parisien aura été un grand témoignage de votre amour et d'affection. Je vous promets que je reviendrai avec d'autres films différents et si possible, une fois par an. Merci beaucoup !

Retranscription par Flavien Bellevue.

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