Michael Cuesta (12 and holding & Dexter)
Les festivals, c'est aussi fait pour ça. Difficile d'avoir les grosses pointures plus de quelques minutes, et encore moins en tête à tête. Par contre, peu ou pas de problème pour s'entretenir longuement avec les vrais auteurs comme Michael Cuesta. Après L.I.E., il confirme sa place de choix dans le cinéma indépendant américain, et plus encore sur un sujet comme la représentation de la jeunesse, mais aussi à la télévision avec la future tuerie Dexter.
Où vous placez-vous par rapport à des cinéastes comme Larry Clark, Gregg Araki (Mysterious Skin) ou Catherine Hardwicke (Thirteen) ?
Je pense en effet que ma place est parmi eux,
je veux dire, dans le
sens où nous faisons tous des films sur la jeunesse américaine. Notre
cinéma est similaire, et je n'essaie pas forcément d'être différent
d'eux, donc c'est ce qui arrive. Peut-être que mes films sont plus
focalisés sur une communauté ou une famille, et ses dysfonctionnements
internes. Comment les enfants luttent avec et contre leurs parents.
J'essaie aussi d'inclure dans mes films des artifices, des références
cinématographiques, comme le masque de Jason, voire culturelles. Larry
Clark, lui, capture plus l'instant et l'action.
Avec 12 and holding, vous vous intéressez plus à l'enfance qu'à l'adolescence, et au difficile passage de l'un à l'autre.
En effet, il est rare de voir cet âge de 12 ans traité au cinéma. Le
plus souvent, soit ce sont des bébés, soit des ados comme dans L.I.E. ou chez Larry Clark. J'ai choisi ce sujet, car selon moi, c'est un point de rupture, un pont entre deux âges.
Pourquoi le cinéma américain ne s'y attarde jamais ?
Ils le font, mais pas à ma manière. Ils choisissent une voie plus
facile, plus innocente. Alors même que les jeunes de 12 ans, dans leur
tête et dans la réalité, pensent aux choses qu'ils voient au cinéma.
Ils veulent en faire de même. Tuer quelqu'un peut-être. Ou assouvir une
vengeance certains attentent de pouvoir enfiler un uniforme et tuer
des musulmans. Une fille veut satisfaire son désir naissant, être
séduisante.
D'ailleurs, dans cette relation entre la jeune Malee et Gus, on ne peut s'empêcher d'y voir un soupçon de pédophilie.
C'est l'époque qui veut ça. Mais à aucun moment, il n'en a été
question. Le mot n'a d'ailleurs jamais été prononcé sur le plateau. Lui
vaut la protéger et ainsi marcher sur le chemin de la rédemption,
tandis qu'elle est à la recherche d'une figure paternelle. Et dès qu'il
est question de sexe entre eux, il dit stop. « Merde, comment en est-on
arrivé là ? » Il s'en veut même d'avoir été, au pire, naïf.
Vous pensez vraiment que votre film doit être montré à des jeunes de 12 ans ?
Oui, définitivement
avec les parents bien sûr. Ils doivent avoir
quelqu'un avec qui en parler. J'ai amené l'un de mes deux fils, âgé de
11 ans. Il est encore un petit garçon, il avait lu le script, était
souvent sur le tournage et me posait déjà des questions. Et au final,
il a adoré le film, il pense que c'est triste pour Jacob, que c'est
triste aussi
par contre, il n'a pas totalement compris l'histoire de
Malee, ni pourquoi elle agit ainsi. J'ai dû lui expliquer qu'elle se
sentait seule, qu'elle était délaissée par à sa mère, et que tu peux
arriver à faire de telles choses pour attirer l'attention. Un peu comme
lorsqu'il saute devant moi quand je regarde la télé. J'attendrai juste
un peu avant de lui monter L.I.E.
Et quand vos fils auront grandi, vous ferez des films différents ?
Je ne sais pas
je crois que je veux surtout faire des films qui
testent, bousculent, challengent l'audience. Je n'ai pas peur d'être
dur, de montrer le côté obscur des choses, de notre société, et de les
exposer. Il ne fait donc aucun doute que je ferais encore des films
avec un enfant, c'est sûr.
Comme votre pojet The Miracle Life of Edgar Mint ?
C'est un film que j'essaie de faire depuis quatre ans, et c'est très
dur. C'est tiré d'un livre de Brady Udall, que j'ai adapté avec mon
frère. L'histoire d'un jeune indien américain, qui après un drôle
d'accident est plongée dans le coma. Lorsqu'il se réveille, tout a
changé. Il est adopté par une famille de Mormons dans l'Utah, rencontre
de drôles de personnages, etc. Il y a du Dickens là-dedans. Mais je
développe aussi des projets de films d'horreur.
Vous m'intéressez là.
J'en étais sûr. (rires) Je développe un scénario avec Dimension Films,
sur un professeur qui fait des expériences sur les gens d'un village
afin de trouver une cure à la maladie de sa femme. Lors d'une tempête
de neige, des ados
la vingtaine en fait se retrouvent piégés et lui
servent de cobayes. Je saurais d'ici la fin de l'année si je peux le
faire. L'autre, auquel je suis attaché car je l'ai écrit avec mon
frère, est titré
nous n'avons pas encore de titre. C'est sur une
femme, la trentaine, accomplie, qui vit à New York et a passé son
enfance dans le Queens, élevée par son grand-père qui a survécu à
l'Holocauste. En fait, sa mère est internée dans un asile
psychiatrique. Le film commence dans un camp de concentration secret en
République tchèque, celui-là même du grand-père, qui vient d'être
découvert et duquel des esprits maléfiques s'échappent. Des « Evil Nazi
spirits », qui viennent à New York pour le récupérer lui et sa
petite-fille.
Cela peut être marrant
Tu penses que je devrais jouer la carte du fun. De quelle manière ?
Vous pouvez aussi la jouer très sombre, très dur.
Tu as des exemples de films effrayants, terrifiants, avec un certain sens d'humour.
Pas de Scream et de second degré déjà
Tu sais quel film a été à la fois marrant et effrayant dernièrement ? Hostel ! C'est malin, « over the top » et l'horreur est si violente qu'elle vire à l'absurde.
Une dernière question : vous travaillez aussi beaucoup pour la télévision...
Je développe d'ailleurs une série, j'allais y venir.
Dexter ! J'adore le bouquin.
La série ne couvre que le premier roman, Ce Cher Dexter de Jeffrey Lindsay.
Je croyais que vous n'étiez que le réalisateur du pilote, voire de quelques épisodes comme sur Six Feet Under.
(Il sort un DVD avec les 10 premières minutes du pilote et le tend
à l'attachée de presse - Ndlr : Arf ! Dommage.)
Je retourne dès demain à L.A. pour finir l'épisode final, le 12e, où
Dexter confronte [BIIIIP !]. Mais comment es-tu au courant au fait ?
Internet fait des miracles. Quel est votre fonction sur la série ?
Je suis le producteur exécutif, ce qui, je l'ai appris à mes dépends,
ne veut pas dire grand-chose. On vous donne le titre, on vous paie un
peu plus et puis on vous rappelle pour réaliser les derniers épisodes.
Je suis un peu énervé d'ailleurs, d'avoir perdu le contrôle sur cette
série. C'est peut-être la chose la plus frustrante à la télévision, en
tant que réalisateur je veux dire, ce sont les vrais producteurs
exécutifs qui contrôlent tout.
Dexter : La série TV
Propos recueillis par Vincent Julé.
Autoportrait de Michael Cuesta.