Southland Tales : interview de Richard Kelly

Vincent Julé | 26 mai 2006
Vincent Julé | 26 mai 2006

Non, il ne s'agit pas de retourner sa veste, de céder à la pression d'une poignée, de capituler devant une œuvre complexe ou confuse ou de se la jouer « j'ai enfin tout compris ». Juste de comprendre les intentions d'un réalisateur et en réaction, de laisser une deuxième chance à un film qui n'en a pas eu le droit vu les circonstances. En effet, à sept mois de sa sortie, la présence des derniers chapitres de Southland tales sur le grand écran de Cannes est fondamentalement une erreur, au-delà de la reconnaissance que cela accorde à son auteur. Appréhender tel quel, nu, à 8h30 du matin et au milieu d'une cinquantaine de films, Southland tales ne peut convaincre ou même émouvoir. Déjà qu'est-ce que c'est que ces chapitres IV, V et VI ? À vouloir découvrir le film comme une surprise, un choc, le spectateur se trompe, tout simplement. Après une critique logiquement mitigée, cette interview permet de comprendre et surtout de se préparer à la sortie du film dans sept mois… pour le voir cette fameuse seconde fois. Peut-être alors le film révèlera ses secrets et ses qualités… ou non.

  

 

Pouvez-vous nous parler un peu de l'influence de l'écrivain Philip K. Dick et ses œoeuvres sur votre travail ?
Son influence est énorme, primordiale même, que cela soit sur mon travail en général ou sur ce film en particulier. Il utilise la science-fiction comme personne, ce n'est plus juste un moyen de communication. Sa SF est spéculative, visionnaire sur comment fonctionne intrinsèquement les Etats-Unis Sa vision de Los Angeles et de leurs habitants est bouleversante, j'ai pleuré en lisant A Scanner Darkly. Il a aussi une vision radicale du futur, sur les drogues, les voitures, le consumérisme, le rêve américain et comment ils dirigent la société, la vie. J'ai voulu faire un peu la même chose avec mon film.

 

 

Le film couvre les chapitres IV, V et VI d'une histoire, d'un univers plus vaste, un peu à la manière de Star Wars. Ne pensez-vous qu'il est difficile d'appréhender, voire d'apprécier le film, sans avoir pris connaissance de l'avant, à sortir sous la forme de trois graphic novels.
Nous avons essayé d'être assez spécifique pour bien faire comprendre que le film ne peut pas réellement fonctionner indépendamment des romans, cela même s'il y un résumé au début du film. Plus vous apprendrez de choses sur les personnages, sur leurs relations, leur passé et donc sur le film, plus vous aurez besoin de le voir pour vérifier. J'espère pourtant qu'ils peuvent fonctionner indépendamment.

 

Ce n'est pas trop risqué ?
C'est conçu pour défier, provoquer le spectateur, car le film gagne à être vu une seconde fois, et j'espère que le public de Cannes, les membres du festival ou la presse feront le pas… même si je sais que c'est beaucoup demandé. Mais cela donne tellement plus de sens à la deuxième vision… je l'ai vu des centaines de fois maintenant et tout a un sens pour moi. J'espère que les spectateurs continueront à analyser le film dans leur tête après la projection, à essayer de remettre les pièces du puzzle ensemble et ne jamais se sentir aliéné par le film.

 

 

Quelques mots sur le film alors.
C'est un « future noir » [l'expression est trop belle pour tenter de la traduire, NDLA] à la Philip K. Dick sur les trois derniers jour sur Terre. C'est aussi fondamentalement sur un problème, une situation de crise à laquelle doit faire face notre pays, et le monde. Des problèmes complexes, allusifs, difficiles un peu à l'image du film et de son ambition. Mais à la fin, la conclusion se fait sur une scène simple, symbolique sur l'amitié, le pardon, la compassion et la capacité à s confronter à soi-même. On pourrait presque dire que cette fin est optimiste.

 

Vous utilisez encore une fois, après Donnie Darko, la faille spatiotemporelle pour résoudre toutes les intrigues du film, est-ce une obsession ?
Le temps passe et je pense que la prochaine fois, j'éviterai. Mais cette obsession vient tout simplement de mes jeunes années, de mes lectures. Philip K. Dick a toujours traité du temps et de l'espace cassés, par les drogues par exemple, et puis ce gimmick s'adresse aussi aux fans de SF comme moi qui se sont nourris de théories en tous genres et qui savent où ils mettent les pieds.

 

 

Le personnage interprété par Dwayne « The Rock » Johnson écrit un scénario dont le contenu se révèle être vrai. Pensez-vous que ce scénario, et donc le film par une mise en abyme, soit visionnaire ?
Il suffit de regarder les actualités, de lire les journaux pour se rendre compte que les mêmes technologies, les mêmes recherches sont actuellement en marche. Il n'est pas aberrant qu'un jour les marrées deviennent une source d'énergie, en lieu et place du pétrole, et quant à l'ultra sécuritaire, il n'y a pas à regarder si loin. Allez sur Internet, et vous verrez, ces choses sont pour demain.

 

Les rumeurs et le buzz parlaient du film en terme de « film de science-fiction muscial », or il n'y a que deux vrais et marquants numéros dans le film.
Il y en en fait six : le clip vidéo avec Justin Timberlake, quand Sarah chante, la scène où tout le monde fait du yoga, l'hymne national chanté par Rebekah Del Rio, cela fait déjà quatre, plus la scène finale où The Rock, Sarah et Mandy Moore dansent. Il y a donc ce mélange de danse et de musique, très pop, qui fait que le film est composé à… 8% de chansons. Mais je suis sûr que certains ne sont pas d'accord.

 

 

Pourquoi avoir choisi Moby pour signer la bande originale ?
Tout simplement car il est pour moi l'un des plus grand musiciens en activité. Il réussit à être tragique et émouvant, et je voulais que sa musique soit une part de ce monde chaotique. Entre des tunnels, des nappes sonores et d'autres fulgurances plus agressives, il crée une vraie tragédie sonore, et fait écho à la nature chaotique des personnages, jusque dans leur rédemption.

 

Je crois qu'il va y avoir un site Internet un peu spécial pour le film ?
En effet, je suis en train de le mettre en place avec mon frère (cliquez ici ). Ce sera plus intéressant qu'un simple site officiel. Il l'est déjà d'ailleurs, multiple et interactif, et il grandira encore et encore jusqu'à la sortie du film. [Comme l'existence du site officiel de l'ex-star du porno interprétée par Sarah Michelle Gellar visible à cette adresse, NDLA].

 

 

Vous tentez de créer un univers à plusieurs entrées, sur plusieurs supports et médias, comme Matrix ou Star Wars ?
Oui, c'est une manière de répondre aux fans et non de faire un tour promotionnel. L'idée est vraiment de créer une histoire complexe, de la juxtaposer sur différents supports avec à chaque fois des éléments qui permettent d'en apprendre plu sur le film, d'en approfondir la compréhension. Un guide par exemple ou un making of, etc.

 

Une suite peut-être ou alors une prequel ?
Non, vous comprendrez quand vous aurez lu les graphic novels.

 

Après tout ça, il est clair que vous avez voulu faire une œuvre ambitieuse.
Un défi, un challenge au spectateur. C'est peut-être confus, long, complexe, mais il est question de la fin de l'humanité, « come on » ! Si j'avais voulu traiter la fin d'un dîner, je n'aurais pas eu besoin de 2h40. Mais le film est épique et a été pensé comme tel.

 

 

Vous attendiez vous aux réactions, divisées, après la projection ?
Oui, oui, tout à fait. Elles sont d'ailleurs similaires à celles reçues à l'époque par Donnie Darko. C'est trop confus, trop long, trop amitieux, répètent-ils. Je leur répondrai juste : attendez, attendez que le temps fasse son travail.

 

Vous avez donc fait en quelque sorte un film pour la postérité ?
Absolument, et c'est pourquoi j'invite toujours à le voir plusieurs fois. Le film gagne alors en maturité et continue à trotter dans la tête des spectateurs. Je le sais parce que je l'ai vu plusieurs fois, mes techniciens et toute l'équipe aussi, et le résultat est que nous avons fait du bon boulot. Donc, wait and see.

 

 

Au détour des WC, le réalisateur Eli Roth fait un caméo dans le film. Vous avez un projet avec lui, où en est-il ?
Il s'agit de The Box, et nous travaillons encore sur le script. Eli est très occupé avec Hostel et moi avec Southland Tales, donc nous attendons que tout soit parfait pour se lancer. Nous avons trop de respect pour le matériau d'origine, une nouvelle de l'écrivain Richard Matheson (I Am Legend).

 

Qui de vous deux le réalisera ?
Eli est en bonne position, mais cela peut changer, cela dépend de ses disponibilités et des miennes. Nous verrons en temps et en heure.

 

Propos recueillis et traduits par Vincent Julé.

 

 

 

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