J.J. Abrams (Mission : Impossible 3)

Stéphane Argentin | 3 mai 2006
Stéphane Argentin | 3 mai 2006

Surtout connu jusqu'à présent pour ses créations télévisées (Felicity, Alias, Lost), J.J. Abrams réussit aujourd'hui son examen de passage dans la cour des grands avec rien moins que l'un des films les plus attendus de 2006 (et accessoirement l'un des plus chers) : Mission : Impossible III. Derrière ses petites lunettes de scribouillard (Abrams a été scénariste pendant une dizaine d'années) se cache un esprit vif et roublard qui sait parfaitement tourner l'exercice promotionnel en une véritable partie de plaisir entre interviewé et interviewers en ponctuant notamment chacune de ses réponses de petites pointes d'humour toujours bien senties. Rencontre avec l'une des nouvelles valeurs sûres d'Hollywood…

Est-ce votre arrivée sur le projet qui a induit ce croisement entre action et scènes intimistes déjà présent dans vos séries Alias et Lost ou bien l'initiative venait-elle de Tom Cruise à la base ?
L'idée venait en fait de Paula (Wagner, la productrice du film, ndr, rires). Lorsque Tom m'a proposé de réaliser le film, je n'en revenais pas car, pour autant que j'apprécie les deux premiers volets, la vision de Mission : Impossible dont je rêvais restait à faire, à savoir une version où Ethan Hunt ne peut dire à sa compagne qu'il est un agent secret et où il serait donc intéressant de voir comment il allait gérer ces deux aspects de sa vie au quotidien.

 


Par-delà le simple film d'action, est-ce que M:i:III n'aborde-t-il pas indirectement la question de la confiance dans une vie de couple ?
Au départ, il y a en effet un gouffre énorme qui sépare les deux personnages car Ethan est d'une malhonnêteté totale à l'égard de sa compagne en croyant que l'amour qui les unit leur permettra de surmonter tous les obstacles. Je voulais que cette malhonnêteté soit l'élément moteur du récit en montrant qu'une telle attitude ne serait pas sans conséquences. Pour autant, la fin du film laisse l'avenir du couple incertain : Julia connaît désormais le monde de l'espionnage dans lequel vit son mari tandis que ce dernier aspire à retrouver sa vie paisible d'antan.

 

Quelle scène a été la plus difficile à écrire et à réaliser ?
Le plus difficile a été de la première scène jusqu'au moment où débute le générique de fin (rires). Contrairement à ce qu'on pourrait croire, les scènes d'action représentent certes un grand challenge, elles nécessitent beaucoup de préparation, elles sont sympas à tourner parce que toute l'équipe s'est déplacée aux quatre coins du globe, mais ce sont véritablement les scènes intimistes qui étaient les plus difficiles à écrire et à tourner. Il fallait que l'on croie vraiment aux sentiments qui unissent les personnages car si cette partie là du film ne fonctionnait pas, tout le reste s'écroulait.

Tom Cruise est connu pour effectuer lui-même ses cascades dans ses films. Était-ce une mission impossible de l'arrêter ?
Tom m'a proposé de faire ce film et il effectue lui-même ses cascades donc il doit être cinglé (rires). Vous auriez beau me payer très cher, je ne ferais pas ce genre de cascades. Le fait qu'il les exécute lui-même améliore le film mais d'un autre côté je l'ai détesté pour ça. Je voyais d'ici les gros titres de la presse : « Sur le tournage de son premier long-métrage, un réalisateur cause la mort de Tom Cruise » (rires). Certes, nous étions formidablement entourés par l'équipe de cascadeurs dirigée par le légendaire Vic Armstrong mais je me suis vite rendu compte que pour Tom, le fait d'exécuter lui-même ses propres cascades est aussi important à ses yeux en terme de performance d'acteur que les scènes de dialogues plus intimistes.

 


Aviez-vous déjà à l'esprit les scènes où l'on entendrait le thème mythique de Lalo Schifrin ?
Le problème avec ce fameux thème musical, c'est que toute l'équipe l'avait en guise de sonnerie sur son téléphone portable et qu'on l'entendait environ 5000 fois par jour. J'en avais tellement ras-le-bol au bout de quatre jours de tournage que j'ai demandé à tout le monde de changer de sonnerie (rires). En dehors du générique du début, je ne voulais entendre cette musique qu'à un seul moment du film : après la mission au Vatican car c'est la seule scène qui symbolise une véritable victoire de l'équipe. Deux mois avant le début du tournage, nous avions déjà prévu où placer quel type de musique au cours du récit avec Michael Giacchino, le compositeur de génie avec lequel je travaille depuis des années.

 

Les trois films sont-ils indépendants ou bien y a-t-il un lien entre eux ?
Les deux premiers films servent de toile de fond, par exemple pour la relation qui unit Ethan et Luther (Ving Rhames) mais, en dehors de la mission, on n'y apprend rien sur Hunt à part que ses parents sont morts dans le premier et qu'il aime faire de l'escalade dans le deuxième. De même, dans mon souvenir, la série originelle était basée sur un travail d'équipe qu'on entrapercevait seulement dans Mission : Impossible I avant que tout le monde ne soit tué. Donc, je voulais à la fois renouer avec cet esprit d'équipe tout en approfondissant le côté humain du personnage d'Ethan Hunt.

On retrouve beaucoup de personnes de votre entourage, à l'écran bien sûr avec Keri Russell ou encore Greg Grunberg, mais aussi en coulisses. Était-ce plus facile de travailler avec eux ?
En raison de l'urgence du projet, j'ai fait venir de nombreux collaborateurs qui travaillent avec moi à la télévision depuis des années : le superviseur du script, les monteurs, le directeur de casting, le compositeur, le responsable des décors, Keri ou encore Greg que je connais depuis que nous sommes tout petit… D'une part, ils se sont retrouvés dans une situation aussi inattendue et réjouie que la mienne en débarquant du jour au lendemain sur un projet aussi excitant et d'autre part, la communication était beaucoup plus rapide entre nous.

 


Vous vous êtes fait connaître grâce à Alias et Lost. Pensez-vous que les séries télé aient changé de statut et soient devenues un support incontournable aujourd'hui grâce à la créativité que l'on y trouve ?
Beaucoup de scénaristes et de producteurs n'attendent qu'une opportunité pour profiter de cette vague créative que l'on observe actuellement à la télévision. Au début, beaucoup prétextait la surabondance de personnages présents dans Lost pour dire que le show ne fonctionnerait pas. Mais Damon (Lindelof, le co-créateur de la série, ndr) et moi croyions tellement dans son potentiel qu'avant même de savoir si cela intéresserait le public, nous avons foncé tête baissée. M:i:III est né dans une certaine urgence du besoin, ce qui est finalement une bonne chose car j'ai pu approcher le projet avec la même spontanéité. Je ne fais aucune distinction entre long-métrage et série TV. Ce que j'aime avant tout, c'est raconter des histoires auxquelles le public va pouvoir réagir. À mon avis, c'est tout ce marasme productif qu'il faut franchir qui plombe autant de projets, aussi bien à la télévision qu'au cinéma.

 

Vous semblez tout particulièrement apprécier torturer les femmes : Jennifer Garner dès la première scène d'Alias, Michelle Monaghan et Keri Russel dans M:i:III sans parler de la mort d'un des personnages féminins dans Lost. Est-ce vos idées et pourquoi cet acharnement contre les femmes ?
Ethan Hunt est également torturé dans Mission : Impossible. Dans Alias, le fiancé de Sydney Bristow est tué. Quant à Lost, le but était d'instaurer l'atmosphère d'ensemble dès le départ, l'idée étant que vous ne pouvez vous diriger vers la lumière qu'en partant de l'obscurité, de la noirceur la plus totale. C'est la raison pour laquelle j'aime les extrémités et que je suis un tortionnaire équitable entre tous les personnages, aussi bien hommes que femmes. Ainsi, en torturant Ethan Hunt dès la première scène, je voulais choquer le spectateur en présentant le personnage sous un nouveau visage, plus vulnérable, qu'on ne lui connaissait pas jusqu'à présent. Quant aux femmes, pour ma défense (rires), je dirais qu'elles ne sont pas simplement de belles plantes décoratives. Je m'efforce à chaque fois d'écrire des personnages de femmes fortes, à l'image de Michelle Monaghan à la fin de M:i:III.

 


À présent que vous avez rendu service à Tom Cruise en réalisant M:i:III, a-il prévu de vous renvoyer l'ascenseur en apparaissant dans Lost ?
(D'un air roublard) Il l'ignore encore pour le moment mais Tom sera dans Lost et on ne verra que lui (rires). J'ai déjà prévu un arc narratif sur 8 épisodes pour un personnage qu'il interprètera.

 

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