Isabelle Carré (Quatre étoiles)
Franssou, jeune femme simple et sans histoires, part sur la Côte d'Azur dépenser son héritage. Au Carlton, elle tombe sur Stéphane, un petit escroc qui tente de l'arnaquer. Ne parvenant pas à ses fins, il la prend comme partenaire pour pigeonner un troisième larron. Dans Quatre étoiles, Christian Vincent rend hommage aux séducteurs arnaqueurs et aux fausses ingénues chers aux comédies américaines des années 40 et 50. La pétillante Isabelle Carré décortique l'influence de Capra et consorts sur cette comédie énergique et classieuse.
Vous abordez le registre de la comédie pour la première fois ?
Je l'avais déjà effleuré avec Les Sentiments et au théâtre dans Harlock et L'hiver sous la Table
mis en scène par Zabou Breitman. C'est d'ailleurs en voyant la pièce de
Zabou que Christian Vincent a pensé à moi pour le rôle. Mais j'ai très
vite eu peur de ne pas avoir assez de légèreté, de ne pas trouver
l'humeur du personnage, de me retrouver devant un mur de silence, en
somme de ne pas savoir faire rire les gens. Je dois beaucoup à Zabou
qui m'a rendue capable de trouver le ton de la comédie.
C'est un registre que vous vouliez aborder depuis longtemps au cinéma ?
J'avais déjà eu des propositions mais pour des comédies qui ne me
faisaient pas rire du tout. Elles n'étaient pas forcément grasses mais
elles n'étaient pas drôles. J'aime Quatre étoiles
pour son élégance, ses joutes verbales, sa légère perversité et surtout
pour ses références aux comédies américaines des années 40 et 50 qui
sont celles qui me plaisent le plus. J'adore Billy Wilder et Stanley
Donen.
Quels films de cette époque vous ont précisément inspiré?
Ceux de Capra, Lubitsch et Wilder. Christian m'a notamment demandé de voir Haute Pègre de Lubitsch dont il s'est beaucoup inspiré. J'ai aussi beaucoup regardé Diamants sur canapé et Comment voler un million de dollars ?
Et La main au collet ?
Même si les deux films ne s'attaquent pas au même genre ni à la même époque, Christian dit s'être beaucoup inspiré de La Main au collet. Hitchcock a tourné ce film quand la Côte d'Azur était intacte et ses images ont eu une valeur quasi-documentaire pour Christian.
Le décor, celui de la Côte d'Azur et des hôtels de luxe, est le même ?
Pour le décor, j'ai tout de suite pensé à Avanti !
de Wilder qui se déroule aussi dans un grand hôtel. L'atmosphère est
exactement la même. Et puis, on retrouve aussi le côté chien et chat
qui existait entre Jack Lemmon et Juliet Mills dans ma relation avec
José.
José Garcia, c'est davantage Cary Grant ou James Stewart ?
Plutôt Cary Grant. James Stewart a quelque chose d'enfantin et de
fragile. José a davantage la virilité, le charisme et l'aisance de
Grant.
De quelle actrice de l'époque vous êtes-vous le plus inspiré ?
Shirley MacLaine dont j'avais revu tous les films pour L'hiver sous la table.
J'aime son énergie, son caractère pétillant et son look de rousse
punchy même si je suis moins ronde qu'elle. Mes costumes étaient
d'ailleurs une torture. Les robes étaient tellement apprêtées qu'un
petit pois de trop et je ne rentrais plus dedans. J'avais carrément la
pression ! (Rires)
Endosser des robes sexy était l'étape nécessaire pour vous défaire de votre réserve naturelle ?
Les essais de caméra m'ont beaucoup aidée. La costumière s'évertuait à essayer de m'apprendre à mettre en valeur des costumes en me déhanchant. Mais nous ne trouvions pas. Nous voulions quelque chose de fifties, de technicolor mais nous n'avions pas saisi au départ que Christian la voulait si sexy. Quand j'en ai pris conscience, j'ai travaillé mon déhanchement et nous avons trouvé les robes qu'il fallait.
Christian Vincent dit même que vous avez ensuite proposé des choses assez audacieuses ?
Dès la première scène dans le hall de l'hôtel, nous nous sommes aperçus
que ce qui marchait entre José et moi, c'était de nous surprendre. Le
personnage de José porte en permanence le masque de l'assurance alors
que Franssou est supposée n'être qu'une petite oie blanche étrangère
aux magouilles. Mais malgré les apparences, c'est elle qui le
manipulera et cassera sa carapace. Pour déstabiliser Stéphane à
l'écran, il me fallait donc surprendre José pendant le tournage et, à
chaque scène, j'essayais des choses nouvelles, je trouvais des nuances
pour le déconcerter. Et évidemment, tout cela s'est transformé en un
jeu qui a duré pendant tout le tournage. C'est je crois ce qui crée
cette petite étincelle à l'écran. Pour cette fameuse descente
d'escaliers, José était censé me draguer et je devais répondre
timidement à son invitation à dîner. Pendant le tournage, sans prévenir
José, Christian et moi avons décidé d'inverser la situation. J'ai
surenchéri sur José qui devenait alors la proie. Sa surprise et sa gêne
à l'écran sont bien réelles.
Cette situation a dû provoquer un certain nombre de fous rires ?
José est si excellent qu'il se sert de tout. Il a une telle énergie et une telle intelligence de jeu qu'il peut rebondir sur tout. Et j'avais parfois du mal à contenir mes rires. Je m'étais pourtant entraîné avec Benoît (Poelvoorde) sur Entre ses mains. Avec lui, j'avais vraiment eu peur. Le film était très sombre et il fallait que nos visages reflètent cette ambiance. Mais Benoît adorait balancer des grosses vannes deux secondes avant le clap, ce qui provoquait chez moi des fous rires systématiques. Sur le tournage de Quatre étoiles, je me faisais appeler Denise Fabre : je riais à toutes les blagues de José, même les plus bêtes.
Diriez-vous de Franssou que c'est une fausse ingénue ?
Je dirais même qu'elle n'est pas ingénue du tout. Franssou apprend très
vite et s'avère être une manipulatrice patentée qui ira jusqu'à
dépasser son maître. Elle est pleine de ressources et joue beaucoup de
sa séduction. Franssou place l'aventure au-dessus de tout, de l'argent
et même de l'amour. Elle ne tombe d'ailleurs pas amoureuse de Stéphane.
Il est son partenaire, son compagnon de jeu. Elle a un appétit de vivre
surprenant : elle se débarrasse de son argent parce qu'il lui pèse et
qu'elle ne veut aucune entrave à sa liberté.
Si vous gagniez beaucoup d'argent comme Franssou, qu'en feriez-vous ?
Des petits tas, comme elle, que j'utiliserais différemment. Je paierais
d'abord un restaurant gastronomique à mes proches, mais un truc
vraiment dingue. Pour le reste, comme tout le monde, je voyagerais,
j'en donnerais et j'en mettrais de côté.
Vous disiez plus tôt que Franssou n'est pas amoureuse de Stéphane. Pourquoi ?
Il y a évidemment une complicité, un partenariat. Il l'intrigue,
l'attendrit et l'attire. Mais Franssou n'est pas une amoureuse au sens
romanesque. Elle est très lucide vis-à-vis de ce qu'il est et ne se
voile pas la face sur leur relation. Elle ne veut pas qu'il la quitte
mais elle ne veut pas non plus être dépendante de lui.
Une question primordiale pour finir : le champagne que vous consommez en quantité dans le film était-il factice ou réel ?
Je vais vous décevoir mais c'était du thé glacé ou du jus de pomme. Le
champagne aurait en effet pu être la solution pour lutter contre ma
timidité mais avec deux grammes dans le sang, mon jeu aurait été si
mauvais que Christian m'aurait viré. (Rires)
Propos recueillis par Marilyne Letertre.