Eli Roth (Hostel)
Flash-back : vendredi 28 janvier 2005 sur les hauteurs de Gérardmer, Eli Roth se remet doucement d'un sacré décalage horaire : la veille, à peine arrivé, le réalisateur présente avec une énergie débordante Hostel à une foule en délire. Rencontre avec un enfant terrible du cinéma américain.
Comment définiriez-vous votre film ?
Je ne sais pas si on peut vraiment le définir, il s'agit avant tout
d'un film d'horreur mais c'est aussi un drame très bizarre qui raconte
une descente aux enfers. Hostel traite
de l'exploitation entre êtres humains, de cette pulsion de meurtre qui
fait partie de notre nature. La torture a toujours été assimilée à une
forme de divertissement depuis les jeux du cirque durant l'Antiquité,
mais ce n'est qu'un aspect du film.
D'où vous est venue l'idée du film ?
Mike Fleiss et Chris Briggs, alors en pleine préparation du remake de Massacre à la tronçonneuse,
voulaient absolument qu'on fasse un film ensemble mais à ce moment là
je n'avais aucune idée du genre film que je voulais réaliser. Un jour,
je suis tombé sur un site internet qui offrait à ses clients la
possibilité d'aller en Thaïlande pour tuer quelqu'un contre la somme
10.000 $, les victimes étaient toutes des volontaires dont la famille
touchait une partie de l'argent. Je ne savais pas si cet endroit était
réel ou non, toujours est-il que quelqu'un avait créé un site à cet
effet, reconnaissant ainsi qu'il existe des gens assez riches et blasés
pour franchir cette limite. C'est pourquoi j'ai eu envie de faire un
film sur la nature sombre de l'être humain et ses penchants sadiques.
J'en ai ensuite parlé à Quentin Tarantino qui m'a encouragé à en faire
un film, me disant que c'était l'idée la plus tordue qu'il ait jamais
entendue !
Outre son statut de producteur, quelle a été l'implication de Quentin Tarantino sur le projet ?
Quentin m'a surtout aidé durant l'écriture du film, que nous voulions aussi réaliste que possible, et m'a poussé à travailler avec une équipe européenne. Il m'a été d'une grande aide sur le montage. Lorsque je lui ai montré la première version, il m'a permis de raccourcir certaines séquences pour en tirer un film plus condensé.
Comment avez-vous réussi à obtenir un certain équilibre entre les scènes de comédie et d'horreur?
Il ne s'agissait pas, comme dans Cabin fever,
de jongler constamment entre horreur et comédie, mais plutôt
d'embarquer le public dans une longue descente aux enfers en lui
laissant le temps de s'attacher et de s'identifier aux personnages.
C'est pourquoi il était important de les voir s'amuser dans une
première partie pour ensuite revenir à quelque chose de beaucoup plus
sérieux, où il n'est plus du tout question de rigoler. Malgré toutes
leurs expériences à Amsterdam, ces étudiants en veulent plus et
finissent par en payer le prix et c'est la position dans laquelle je
voulais mettre le spectateur. En ce sens, Hostel s'inspire beaucoup de The Vanishing (La Disparue), The Wicker man et Audition, qui est selon moi le meilleur film d'horreur de ces dix dernières années.
Justement, comment avez-vous convaincu Takashi Miike de venir faire une apparition ?
J'ai rencontré Takashi Miike à Los Angeles par l'intermédiaire de Quentin Tarantino lors de la promotion de Gozu et nous avons longuement discuté de films d'horreur. Je lui ai tout simplement demandé s'il accepterait de faire une apparition dans mon film et il a dit oui, d'autant plus que l'idée du film lui plaisait beaucoup. Il a adoré cette expérience, malgré le fait qu'il ne parle pas un mot d'anglais. Quand à la vue des rushes, il m'a confié que le film était trop violent pour lui, j'ai senti qu'on tenait quelque chose.
Quel visa de censure a obtenu Hostel aux États-Unis ?
Le film a été « R » (interdit aux moins de 17 ans non accompagnés.
NDLR), et je n'ai procédé à aucune coupe, ce qui est un miracle
puisqu'il contient de très nombreux plans gore. La commission avait
bien compris que les spectateurs savaient à quoi s'attendre en voyant
mon nom et celui de Quentin Tarantino sur l'affiche d'un film
d'horreur, et que de fait aucun parent n'emmènerait son enfant voir le
film.
Votre film a créé la polémique durant sa projection à Gérardmer, vous attendiez-vous à ce type de réaction ?
Il est vrai que ce film ne va pas mettre tout le monde d'accord mais je pense qu'il est avant tout destiné aux jeunes. Après la projection, une femme d'une cinquantaine d'années est venue me voir pour me dire à quel point le film l'avait choquée, tandis qu'une autre beaucoup plus jeune m'a remercié de l'avoir réalisé. Je pense honnêtement qu'Hostel s'adresse d'abord aux 18/25 ans, car comme beaucoup d'autres séries B d'horreur, c'est le film idéal à voir avec sa copine et je crois que les jeunes sont sensibles à cela (rire). Ce qui m'importe avant tout, c'est que les gens rentrent dans le film et qu'ils réagissent d'une manière ou d'une autre, que ce soit en applaudissant ou en criant.
Quel genre d'étudiant étiez-vous ? Studieux comme Josh (Derek Richardson) ou fêtard comme Paxton (Jay Hernandez) ?
J'étais le comique de service (rire), ce qui ne m'a pas empêché de
sortir premier de ma promotion à NYU. À défaut d'être le plus
talentueux des étudiants, j'étais celui qui avait le plus d'ambition.
J'étais prêt à faire n'importe quoi, du moment que j'étais sur un
plateau de tournage. C'était dur de se retrouver sans boulot et criblé
de dettes à 30 ans. Tandis que les autres se décourageaient,
j'empruntais un peu partout afin de pouvoir payer mon loyer et ainsi
réaliser Cabin fever. Beaucoup d'étudiants ont abandonné en cours de route, alors qu'il s'agit avant tout d'un marathon pas d'un sprint !
Qu'allez-vous mettre sur le DVD d'Hostel ?
Le DVD contiendra beaucoup de scènes coupées ainsi qu'un making of réalisé par mon frère, mais nous avons tellement de bonus à disposition que je ne suis pas sûr qu'un seul DVD sera suffisant.
Quels sont vos projets ?
Je me suis tellement amusé sur Hostel que je songe sérieusement à en réaliser un deuxième. En attendant je suis en train d'écrire The Box avec Richard Kelly.
Propos recueillis par Ilan Ferry
Autoportrait d'Eli Roth