Conférence de presse L'ivresse du pouvoir
La Maison du Danemark, sur les Champs-Elysées. Une estrade. Quelques affichettes devant les chaises encore vides marquées Claude Chabrol, Isabelle Huppert, Patrick Bruel, François Berléand... L'équipe du film, L'ivresse du pouvoir est venue livrer ses impressions sur le tournage et sur la dérangeante similitude entre le scénario du film et « L'affaire Elf »...
Claude Chabrol, avez-vous voulu faire un film politique ?
Claude Chabrol : C'est un film sur la notion de pouvoir, sur ce
que le pouvoir apporte aux gens. Ce n'est pas un film politique. J'ai
simplement voulu montrer la bêtise, et à la fois la complexité des
mécanismes de pouvoir. Le personnage d'Isabelle Huppert a du mal à
séparer sa vie privée de sa vie publique, ce qui mène à la catastrophe,
au moment où les gardes du corps sont chez elle. Ce serait une erreur
de voir le film comme un film politique, ou comme j'ai pu lire quelque
part, « un film courageux contre la guerre ».
© Emanuele Scorcelletti
Comment s'est passé le tournage ?
Claude Chabrol : C'est un film sur lequel j'ai reçu toute l'aide possible des pouvoirs publics : du ministère de la Culture tout comme du ministère de la Justice. Pour tourner au Palais de justice, ça a été plus dur à cause du plan vigipirate. Mais comme en même temps le tournage du Da Vinci Code se déroulait au Louvre, il risquait plus de se faire attaquer (rires). En plus, je voulais vraiment utiliser les bureaux des juges d'instruction qui donnent sur la Seine.
Que vouliez-vous faire passer dans ce film ?
Claude Chabrol : C'est un système assez stupide, car ils se sont
faits prendre. Mais en même temps, le sénateur explique dans le film,
que malgré ça, ils vont se restructurer et recommencer. C'est
extrêmement compliqué et à la fois très simple.
Pourquoi avoir fait un film qui semble traiter de « l'affaire Elf
» sans en traiter vraiment, tout en s'en rapprochant beaucoup ?
Claude Chabrol : Ça n'a pas une si grande importance. Je me suis
intéressé à celle-ci plutôt qu'à une autre car c'est la première qui
m'est tombée sous la main. Je ne me suis pas préoccupé de coller ou non
à la réalité. Du coup, on reconnaît, sans reconnaître tout en
reconnaissant
La mécanique est la même que dans toutes les grandes
affaires de ce type. L'affaire Elf n'a pas eu d'influence sur le sens
de mon film. Ce n'est qu'un détail.
Avez-vous eu beaucoup de réactions des protagonistes de ces affaires ?
Claude Chabrol : Non, pas vraiment. Je crois que certains ont
voulu voir le film, mais il n'y a pas de descriptions précises dans le
film. On a d'ailleurs rajouté un élément dramatique, l'intervention du
greffier.
© Emanuele Scorcelletti
Avez-vous consulté un avocat pour prévenir tout litige ?
Claude Chabrol : Oui, car il faut bien que les avocats vivent (rires). Mais en France, on est frileux avec l'immédiateté des événements. Si j'avais réalisé le même film dans 30 ans, ça aurait été plus simple.
Pourquoi avoir changé le titre du film de La Comédie du pouvoir à L'ivresse du pouvoir ?
Claude Chabrol : La Comédie du pouvoir est le
titre d'un livre de Françoise Giroud, je n'ai donc pas pu l'utiliser.
Je ne pensais pas qu'on m'en reparlerait autant. De toute façon le mot
« ivresse » a un côté plus psychologique (rires), c'est vrai que le
pouvoir saoule.
Comment cette ivresse touche le personnage du juge Charmant Killman ?
Claude Chabrol : Son neveu lui rappelle qu'elle n'a que les
pouvoirs qu'on lui accorde. Personne n'a de pouvoirs qui ne peuvent lui
être retirés. L'ivresse réside en cela : croire qu'on ne peut pas nous
retirer ce pouvoir. Dans le couple mari et femme, le mari a épousé une
fille d'une classe sociale inférieure qui se retrouve avoir une
puissance au-dessus de la sienne. La tension vient de lui, qui gère mal
ce basculement.
Quelle est la signification de ces gants rouges en cuir qui ressortent sur l'affiche ?
Claude Chabrol : Moi je trouvais que ça lui allait bien. Au
début on a pensé lui faire porter des gants en laine rouge, puis au fur
à mesure de son ascension les changer en cuir.
Est-ce qu'Eva Joly a vu le film ?
Claude Chabrol : Non, pas encore. Mais j'aimerais qu'elle le voie, et surtout j'espère qu'elle n'y verra pas son portrait car ce n'était pas du tout mon intention. Je ne souhaitais pas qu'elle le voit trop tôt pour pas qu'on croit que je l'utilisais pour faire la promo de mon film.
Vous ne trouvez pas vos personnages masculins un peu caricaturaux ?
Claude Chabrol : Ah non ! ils ne sont pas caricaturaux ! J'ai vu
des personnages réels à la télévision, plus caricaturaux que les miens.
Mon film est très en dessous de la réalité comique de la chose. Quand
on pense que dans l'affaire d'Outreau, ça n'a pas choqué qu'il y ait 23
pédophiles dans le même immeuble
Isabelle Huppert, pour interpréter le juge Charmant Killman, vous êtes-vous renseignée auprès de juges d'instruction ?
Isabelle Huppert : Non. Mais au cours du tournage, j'ai
rencontré au Palais de justice la doyenne des juges d'instruction.
D'ailleurs, je me suis aperçue que le juge d'instruction a un statut un
peu à part par rapport au reste des magistrats.
Comment expliquez-vous l'échec de sa relation avec son mari ?
Isabelle Huppert : Cet échec s'explique par une différence d'énergie : son ascension à elle et sa régression à lui.
Et avec les autres hommes ?
Isabelle Huppert : Dans la relation avec Sibaud (Patrick Bruel),
il y a une mise à distance. C'est inquiétant, il fallait comprendre
qu'il y avait séduction sans que ça aille plus loin. Alors qu'avec le
neveu de son mari (Thomas Chabrol), il y a une différence de vie. La
jouissance du pouvoir pour elle et la jouissance de l'instant pour lui,
il est très épicurien. C'est autre chose, donc ça l'attire.
La juge apprécie-t-elle plus encore de s'en prendre à une bande de machos ?
Isabelle Huppert : Ça ne m'a pas traversé l'esprit. Mais les hommes pensaient diviser les deux femmes-juges en les obligeant à travailler ensemble, et finalement c'est la solidarité féminine qui l'a emporté.
Avez-vous lu le livre d'Eva Joly ?
Isabelle Huppert : Oui, et un autre sur elle. On apprend
beaucoup de choses : pendant longtemps elle a voulu être styliste, elle
a eu un parcours très curieux. J'aimerais beaucoup la rencontrer. Elle
n'a pas vu le film encore, je pense qu'elle le verra.
Et vous, François Berléand, comment avez-vous composé votre personnage ?
François Berléand : Mon personnage n'a rien à voir avec un
personnage déjà existant. D'ailleurs j'avais été piqué dans le cou par
une araignée, donc je me grattais ce qui a plu à Claude Chabrol. On l'a
gardé pour le personnage.
Patrick Bruel, comment avez-vous été amené à travailler sur ce film ?
Patrick Bruel : Tout est parti de l'envie de rencontrer Claude
Chabrol, un espoir que caressent tous les acteurs. Au départ, je
n'étais pas prévu sur ce projet. Au cours d'une lecture avec François
Berléand pour le théâtre, il m'en a parlé. On s'est rencontrés vite
fait à la Baule et j'ai eu un rôle. J'avais également envie depuis
longtemps de tourner avec Isabelle Huppert.
Propos recueillis par Isabelle Banos.
Remerciements à Emanuele Scorcelletti et Marie Dorigny-Peschaud pour les photos.