Sam Mendes (Jarhead)

Ilan Ferry | 10 janvier 2006
Ilan Ferry | 10 janvier 2006

Sam Mendes peut être fier. Non content d'avoir remporté un Oscar pour son premier film American Beauty et sorti Paul Newman de sa retraite cinématographique pour les besoins des Sentiers de la Perdition,, brillant hommage au film de gangsters, le réalisateur revient avec Jarhead, première claque de l'année 2006 qui risque de délier bien des langues…

Vous êtes un réalisateur assez versatile, Que cherchez-vous dans chaque projet ?
J'ai souvent envie de faire quelque chose que je n'ai jamais fait avant, qui puisse m'effrayer au point que je ne sois pas sûr de pouvoir le faire. Après un premier film à succès, on a le choix entre garder un certain style ou aborder chaque film comme si c'était son premier et innover. Peut être que dans cinq ans je me stabiliserai sur un seul type de film, mais pour l'instant, je suis déterminé à alterner les genres.

C'est la première fois que vous utilisez autant la caméra à l'épaule. Quelle expérience en avez-vous tiré ?
J'ai adoré ça. Cela m'a laissé beaucoup de liberté et m'a permis d'improviser. J'ai aimé ce sentiment d'humanité qui en ressort : le film apparaît moins formel, moins calculé.

 


Qu'est-ce qui vous a intéressé dans le roman d'Anthony Swofford ?
Le personnage. C'est quelqu'un de sceptique, qui déteste les Marines, et ne voulait pas vraiment être là au moment de la guerre. Puis, au fur et à mesure, on le voit devenir violent, colérique. D'une certaine façon, son expérience l'a changé en tant qu'être humain. Le livre était drôle et adoptait un style poétique sans jamais se prendre au sérieux. De plus, j'avais envie de faire un film sur le climat politique actuel car je suis quelqu'un de très engagé. J'ai aimé ce sentiment de travailler sur quelque chose de contemporain, d'actuel, comme pouvait l'être American Beauty, à la différence qu'il s'agissait d'un drame domestique qui aurait pu se passer n'importe où n'importe quand. Là, c'était beaucoup plus spécifique.

 

Comment avez-vous découvert Jake Gyllenhaal ?
Par Donnie Darko bien sur et Moonlight Mile. J'ai été vraiment convaincu lorsque je l'ai vu dans une pièce qu'il donnait à Londres. Je me suis rendu compte qu'il était plus musclé que je ne le pensais, j'ai été impressionné. Et j'avais besoin de ce sens de la masculinité pour ce rôle de Marine.

 


Avez-vous vu beaucoup de films de guerre ? Lequel selon vous parle le mieux de la guerre ?
J'en ai vu beaucoup, oui, mais pas spécifiquement pour la réalisation de Jarhead. La guerre en tant que tel ne m'intéresse pas, j'aime les films de guerre mais je n'aurais jamais pensé en faire un. Chacune d'entre elle demande un type de film différent Le plus précis et réaliste en termes de combat est le début de Il faut sauver le soldat Ryan. Même si je n'ai jamais été au front, cela correspond selon moi à ce que l'idée que l'on peut se faire de la guerre. J'aime beaucoup Les sentiers de la gloire de Kubrick. Le meilleur film sur les camps d'entraînement est Full Metal Jacket. Le plus grand sur le Vietnam est Apocalypse Now, et celui qui raconte le mieux le chaos de l'après première guerre du golfe demeure Les Rois du désert.

 

Le monteur du film, Walter Murch, est celui d'Apocalypse Now. Comment a-t-il réagi quand il a dû monter cette scène où les Marines regardent le film de Francis Ford Coppola ?
Il a adoré ça ! Ça l'a fait beaucoup rire. C'est un très grand monteur et j'ai été fasciné par son travail sur Apocalypse Now. C'est presque tout aussi étrange pour moi quand je vois Jarhead en salles car je vois mon public regarder un public regarder Apocalypse Now

Jarhead est-il un film anti-guerre ?
Oui, mais il se distingue des autres films anti-guerre dans la mesure où je n'y montre pas l'horreur du combat. Il n'y a pas de têtes qui explosent ou de sang partout. Il n'y a pas de grosses explosions. Les gens s'attendent forcément à voir LA dernière grosse scène et puis, pouf, la guerre est finie ! C'est ce que j'aimais dans le livre. Le film montre surtout la futilité, la vacuité et la solitude de la guerre. Il n'est pas choquant par sa brutalité, mais fait réfléchir sur la réalité de la guerre à laquelle sont confrontés ceux qui la font. La réalité étant que 95% du temps, les soldats attendent.

 


C'est un peu comme le sexe sans orgasme…
C'est vrai, et vous n'êtes pas la première personne à me le dire ! (Rire) Ce n'est presque plus un film de guerre, mais un film qui se rapproche de Cet obscur objet du désir. C'est Buñuel à la guerre ! Jarhead a plus à voir avec un film européen qu'américain, car il ne parle pas d'événements précis. Je l'ai voulu comme une expérience immersive.

 

Vous débutez tous vos films par une voix off du personnage principal et concluez avec quasiment la même voix off, légèrement modifiée. Pourquoi ?
Disons que le personnage n'est pas le même au début et à la fin. Il comprend qu'il a perdu quelque chose et voit les choses différemment. Jarhead est une histoire assez simple, mais le contexte humain joue énormément. Mais c'est vrai que je l'ai fait à chaque fois, sur mes trois films ! Je ne l'avais pas vraiment réalisé, c'est ma marque de fabrique ! Je crois que si j'utilise la voix off comme ça c'est parce que je n'ai pas d'autres idées ! (rires)

Chris Cooper joue dans American Beauty et Jarhead. Qu'ont en commun ces deux personnages ?
Rien ! (Rire) Il jouait un homme solitaire et triste dans American Beauty et ici, il joue un soldat passionné, un leader. Je lui ai dit : « voilà encore un rôle de colonel » et il l'a fait quasiment comme une faveur. Il est venu deux jours et j'étais ravi.

 


Comment a réagi le public américain vis-à-vis du film ?
Il y a eu des réponses très différentes car la guerre est un sujet délicat en ce moment. Globalement, les réactions du public ont été bonnes. Le film a fait 65 millions de dollars au box office, ce qui a remboursé le budget (rires). Les critiques ont été plus mitigées en revanche. Je pense que les plus âgés s'attendaient à un film plus conventionnel, avec un message plus direct. J'ai donc eu à la fois les meilleures comme les pires critiques de ma vie. Mais je crois que c'est un film que l'on regardera différemment dans dix ans. Ce sera intéressant de voir comment il vieillit.

 

Le film est très ironique. Comment avez-vous réussi à maintenir un certain humour sans tomber dans la facilité ?
Par instinct. Quand vous passez du temps avec des Marines, vous vous rendez compte qu'ils sont très drôles. Je voulais saisir cela tout en gardant un certain réalisme. L'humour vient aussi d'une méthode de travail organique et improvisée.

 

 

Propos recueillis par Ilan Ferry.

Tout savoir sur Jarhead, la fin de l'innocence

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.
Vous aimerez aussi
commentaires
Aucun commentaire.