Scott Derrickson (L'exorcisme d'Emily Rose)
Sortant en pleine vague « potterienne », L'exorcisme d'Emily Rose va permettre à ceux qui désirent tâter du film fantastique plus adulte de mettre leurs nerfs à l'épreuve. Attention toutefois, malgré son affiche et son titre inquiétants, le film de Scott Derrickson est tout sauf un simple film d'horreur. C'est même une uvre d'un nouveau genre alternant film de procès et d'horreur. Pour l'occasion, nous avons pu nous entretenir par mail avec le jeune réalisateur qui connaît visiblement parfaitement le genre et qui sait joliment défendre un film lui ayant offert une expérience réussie derrière la caméra.
Comment avez-vous découvert l'histoire (vraie) d'Emily Rose ? Et en quoi vous a-t-elle séduite ?
En faisant des recherches à New York pour un scénario que j'écrivais
pour Jerry Bruckheimer, j'ai rencontré un spécialiste dans le
paranormal et l'occulte. Il m'a fait découvrir l'histoire véridique sur
laquelle le film est basé. J'ai tout de suite été fasciné notamment
parce que cette histoire me permettait de pouvoir créer un récit
hybride inédit. Je n'ai jamais vu un film qui mélangeait à la fois un
récit horrifique avec une histoire de procès. C'est vraiment ce qui m'a
séduit en premier dans l'histoire d'Emily Rose.
Si je vous dis que L'Exorcisme d'Emily Rose, c'est un peu L'Exorciste qui rencontre Rashomon qui rencontre Autopsie d'un meurtre, ai-je cité vos influences principales ?
L'Exorciste est mon film d'horreur préféré. Rashomon est l'un des mes deux films préférés de Kurosawa (je lui préfère toutefois Vivre) et Autopsie d'un meurtre est le film de procès que j'aime le plus. Alors, oui, ces trois films ont eu une énorme influence sur la conception de L'Exorcisme d'Emily Rose.
D'ailleurs, pendant que nous tournions les scènes de procès, je
regardais Campbell Scott en me disant qu'il me faisait penser à
quelqu'un. Et là, d'un seul coup, ça fait tilt dans ma tête : il
s'agissait du procureur dans Autopsie d'un meurtre
joué par George C. Scott, le père de Campbell. Je ne m'en étais pas rendu compte jusque là, et surtout pas lors des auditions !
Quand
on parle d'exorcisme, il est impossible de ne pas faire référence au
film de William Friedkin. Étiez-vous nerveux ou exciter face à ce
challenge ? Comment êtes-vous arrivé à créer votre propre look et style
pour les scènes d'exorcisme ?
Bien sûr que j'étais nerveux. De nombreux films ont essayé de surpasser L'Exorciste
et bien évidemment, ils ont tous échoué. Je savais que notre film
devait être très différent pour réussir à exister face à la Référence
du genre. Pour se faire, j'ai opté pour le réalisme à outrance. J'ai
ainsi lu beaucoup de livres sur les cas de possession et d'exorcismes
et aussi vu de nombreuses cassettes vidéo de vrais exorcismes. Je ne
voulais en aucune façon mettre en scène des séquences s'appuyant sur
des effets visuels ou de maquillages. Tout est basé sur des
performances réalistes et Jennifer Carpenter (qui joue Emily Rose) m'a
énormément aidé pour cela. Elle était effrayante d'elle-même.
Etes-vous content avec le film tel qu'il est sorti en salles ?
Auriez-vous pu changer des éléments ? Es-ce totalement votre film ?
Je suis extrêmement content du résultat final même si bien sûr il y a
toujours des choses qu'on aurait aimé améliorer. C'est vraiment mon
film parce que le studio a compris dès le début ce que je voulais
faire. J'ai eu de la chance que les gens du studio n'aient pas cherché
à le rendre plus « bête » comme ils ont l'habitude de le faire avec
leurs « gros » films.
Vous avez un casting remarquable. Comment avez-vous fait pour le réunir ?
Laura Linney fut la première personne que j'ai engagée. Je savais
qu'elle permettrait au film de prendre plus d'envergure. Non seulement
grâce à son intelligence et sa crédibilité mais aussi par sa capacité à
attirer d'autres grands comédiens qui voulaient jouer avec elle. C'est
Laura qui m'a fait connaître Jennifer Carpenter en me disant qu'il
s'agissait de la meilleure jeune actrice qu'elle ait jamais vue. Et
maintenant, je ne peux pas imaginer le film sans Jennifer. Elle est
tellement étonnante, inoubliable.
(Question à lire après avoir vu le film.) L'un des
problèmes que j'ai avec votre film, c'est qu'à aucun moment, je n'ai
douté de la possession d'Emily Rose. J'ai l'impression que les
séquences mettant en scène la possession avaient plus votre faveur que
les autres. Vos croyances ont-elles influencé (Scott Derrickson est chrétien, Ndlr.) ?
Étiez-vous au courant que j'étais chrétien quand vous avez vu le film ? (Réponse à posteriori : non !)
Les gens qui ne le savent pas trouvent le film bien équilibré alors que
les autres « lisent » mes croyances dans le récit. En tout cas, mon but
était de présenter à la fois une vision sceptique et partisane de la
situation et en traitant les deux de façon aussi équitable. Bien sûr,
les scènes concernant la possession sont plus nombreuses et plus
longues car c'est forcément plus intéressant et captivant. Par contre,
je trouve que les arguments avancés par le procureur
sont bien plus crédibles que ceux de la défense. Le but n'était pas de
donner à chaque camp, un temps à l'écran égal mais de même qualité. Je
voulais que le public pense que la possession paraisse vraie et que
dans le même temps l'interprétation qu'en fait le procureur soit
vraisemblable et tout aussi plausible. Le scénario est co-écrit par
Paul Boardman qui est agnostique et notre but était de laisser les
spectateurs se faire leur propre opinion. Le film est là pour vous
questionner, pas pour donner des réponses.
Aujourd'hui, on ne compte plus le nombre de films qui se vantent d'être basés sur des histoires vraies comme L'exorcisme d'Emily Rose
- avec la mention faite au début du générique. Vous rendez-vous compte
à quel point cela peut changer notre perception du film ? Surtout avec
le vôtre où il est forcément difficile de croire à une aussi
spectaculaire et étrange histoire ! Pensez-vous qu'il aurait été aussi
puissant s'il avait été une pure fiction ?
Effectivement ,lorsque vous faites un film basé sur une histoire vraie,
les spectateurs vont toujours ressentir l'impact supplémentaire né de
cette réalité. Pour autant, à chaque fois que vous écrivez un scénario
se basant sur une histoire vraie, vous êtes obligé de l'arranger, de la
rendre quelque peu fictionnelle. Quant à l'aspect « vendeur » de la
chose, les réalisateurs n'ont pas vraiment de contrôle sur la décision
de mettre en avant de façon importante (ou non) l'aspect véridique du
film pour sa sortie en salles. Pour en revenir à Emily Rose, le plus
extraordinaire provient de ce qui est authentique, à savoir que
l'Église catholique a bien reconnu la possession de la jeune fille et
qu'après sa mort suite à l'échec de l'exorcisme, le prêtre fut
poursuivi pour homicide. C'est tout simplement une histoire incroyable
à laquelle je n'aurai jamais pu penser en tant que scénariste si elle
n'avait pas existé !
J'ai lu que vous étiez un fan de Dario Argento. Pourquoi et en quoi a-t-il inspiré votre vision de cinéaste ?
Argento a très bien compris que les grandes histoires gothiques ne sont
pas seulement effrayantes mais aussi enrichissantes. Il sait que la
beauté et la terreur vont bien ensemble et a toujours fait des films
visuellement savoureux. J'aime particulièrement sa manière d'utiliser
des couleurs vives lors des séquences de terreur. C'est une approche
que n'ont généralement pas les réalisateurs de films d'horreur. Avant
de commencer le tournage, j'ai montré Suspiria à mon chef op, Tom Stern, afin que nous puissions nous en inspirer.
Je vais vous demander de commenter une série de films célèbres ayant un rapport plus ou moins direct avec les cas de possession (ou plus généralement le Diable). À chaque fois, dites-nous quand les avez-vous vu pour la première fois et quelles scènes qui vous ont fait le plus peur...
L'Exorciste
Je l'ai vu à l'université. L'exorcisme final est bien évidemment la
scène qui m'a le plus effrayée. Je me rappelle d'un plan zoomé au
dessus de l'épaule de Max Von Sydow sur Linda Blair lorsqu'elle montre
sa langue au prêtre. Le bruit qu'elle fait avec et son regard rempli de
haine m'ont instantanément hérissé les poils. C'est cette image du film
qui me hante à jamais.
L'Exorciste III
Également découvert à l'université. La séquence d'ouverture dans le
confessionnal m'a fait peur au plus haut point. J'ai vu le film en
cassette avec un ami et après cette scène, on a arrêté le film et on a
regardé des sketchs comiques à la télé avant de nous décider à
reprendre le visionnage.
La Malédiction
Toujours à l'université. La séquence où Gregory Peck revient dans sa maison pour découvrir la marque du démon sur la tête de Damien. Et plus précisemment, le plan du chien déambulant dans le couloir avec la musique de Jerry Goldsmith. C'est tout simplement formidable. J'adore ce film.
Rosemary's baby
Je l'ai découvert quand j'avais 25 ans environ. La scène où Mia Farrow
mange la viande rouge : vous ressentez son dégoût et son malaise au
moment même où elle se rend compte de ce qu'elle fait.
Amityville, la maison du diable et Amityville 2005
J'ai vu l'original au lycée. Je n'ai pas encore vu le remake. La
découverte de la chambre rouge. Je me souviens à quel point j'étais
terrorisé au moment quand George Lutz / James Brolin casse le mur. J'ai
vraiment cru qu'il allait regarder à l'intérieur et qu'il allait
découvrir l'Enfer dans sa propre maison.
La Maison du diable et Hantise
La Maison du diable, je l'ai découvert à l'université juste un an avant que le remake sorte. Le film de Wise est un de mes films d'horreur préférés. Les scènes les plus effrayantes sont quand la caméra fixe de haut en bas la porte et qu'on entend un bruit lourd de l'autre côté sans savoir de quoi il en retourne. Robert Wise créé une tension hallucinante avec seulement un mouvement de caméra, une porte et un effet sonore. Le fait que le remake soit si mauvais, est un parfait cas d'école pour comprendre comment un film d'horreur fonctionne (ou pas). C'est toujours ce que vous ne voyez pas qui est le plus effrayant. Le film de Jan De Bont vous montrent au contraire plein d'effets spéciaux qui ne font pas du tout peur.
Pour finir, est-ce exact que vous avez écrit un scénario de science-fiction pour Martin Scorsese ? Peut-on en savoir plus ?
Oui, c'est vrai mais mon contrat m'interdit de vous en dire plus.
Avez-vous d'autres projets ?
En ce moment, je réécris un scénario pour Universal et également un
autre pour Sony. J'aimerai bien après ça écrire un autre film de
science-fiction ou un film noir avec un détective. Ce sont deux genres
qui ont besoin d'être réinventés. Dès que j'ai le temps, je vais tenter
ma chance.
Propos recueillis par Laurent Pécha.
Remerciements à Alexis Rubinowicz et Susanna Nilstam.