Atom Egoyan
Après le dernier Festival de Cannes, d'où il est bizarrement reparti bredouille, Atom Egoyan passe par la case Paris pour terminer la promotion de La Vérité nue et c'est avec une joie particulière que notre journaliste Hoda Kerbage l'a retrouvé, lui qui fut son Parrain de promotion en fac de ciné. Ce metteur en scène hors norme, profondément humaniste, doux et généreux parle avec enthousiasme de son film déroutant dans lequel il nous offre encore une fois un voyage dans l'inconnu et le mystère de l'Homme .
On sent que La Vérité nue est un film signé Atom Egoyan, tant votre style est unique. Pourtant, il s'agit d'une adaptation d'un roman de Rupert Holmes.
L'auteur m'expose à un monde auquel je n'ai pas accès à travers mon expérience personnelle, mais il le fait avec un tel souci du détail qu'il me permet de me projeter dans l'histoire et de la vivre tout en restant libre de la changer. Par exemple, Karen - interprétée par Alison Lohman - dans le livre est complètement différente de ce qu'elle est dans le film. Dans le livre, elle n'adorait pas les deux hommes qu'elle interviewait. Elle n'avait aucune relation avec eux dans le passé. Elle n'était pas non plus présente au téléthon, quand elle était enfant. Vous devez être respectueux de l'uvre originelle mais aussi vous devez être capable de la réinventer en fonction de vos projections personnelles. Ce fut pareil avec Le Voyage de Felicia ainsi que pour De beaux lendemains où j'ai pu m'appuyer sur le livre de Russel Banks qui y décrivait avec une telle limpidité cette petite ville qu'elle me rappelait celle dans laquelle j'avais moi-même grandi et m'a facilité ma mise en scène.
Qu'est ce qui vous fascine dans les années 50 ?
Je suis très attiré par les shows. Les shows de télévisions, de cuisine etc... La télévision était une sorte de medium que tout le monde regardait de la même manière. Elle projetait une image d'innocence alors même que la société américaine était corrompue. Cette illusion existait peut être du fait de l'après-guerre : il y avait de l'espoir. Le fait que les gens se concentrent sur un seul évènement, a aussi quelque chose de fascinant car aujourd'hui ce n'est plus possible en raison de la multiplicité des médias. Enfin, comme je suis né en 1960, je suis naturellement curieux de connaître tout ce qui concerne l'aube de ma naissance, je pense que c'est un sentiment que de nombreuses personnes partagent.

Et si vos fans inconditionnels étaient déçus avec La Vérité nue comme certains l'ont été par Ararat ?
Je le comprendrais mais je pense aussi que dans ces deux derniers films, j'ai eu l'opportunité de peindre et d'utiliser une palette que je n'avais pas connue auparavant. Lorsque je préparais La Vérité nue, j'étais en train de monter ce projet que j'ai filmé au Liban, que j'avais tourné tout seul, que je montais sur mon propre ordinateur, mais la perversité réside dans le fait que je voulais le montrer à personne. Que c'était devenu privé. Peut être que ma carrière est en train de se diviser en deux. Des choses que je fais par moi et pour moi et ces autres choses qui sont faites à une échelle plus industrielle.
Aviez-vous l'intention avec La Vérité nue de toucher un plus large public, surtout avec le choix du casting ?
Ce film est accessible au grand public car il se passe dans le monde du spectacle, un univers populaire auquel les gens sont ouverts. Mais on ne peut pas qualifier La Véritée nue de film commercial, il est comme mes films précédents, un challenge pour le spectateur, dans le sens qu'il demande un effort de réflexion.
Quelles furent les difficultés à diriger les acteurs et à orchestrer le tournage, car on peut parler d'orchestration vous ne pensez pas ?
Un des personnages principaux est en train de raconter l'histoire de son point de vu. Il fallait que je me laisse habiter par sa vulgarité et son style explicite. Il fallait me réinventer pour éviter aux producteurs de regretter d'avoir engagé Atom Egoyan et non Vincente Minnelli, Stanley Donen ou Martin Scorsese. J'ai dû me transplanter de la même manière que je l'ai fait pour Ararat et me projeter dans la personnalité de quelqu'un d'autre...

Un commentaire sur la scène de triolisme ?
Le plus difficile fut de répéter la scène, il fallait que les acteurs comprennent sa dynamique. Cette scène est aussi complexe parce qu'elle nécessite des performances de comédiens. L'importance du témoin est capitale. Donc il est très conscient qu'il est observé par un tiers. Trouver le ton juste n'a pas été facile. Il devait s'intégrer complètement et il fallait s'assurer que toutes les pièces de l'alchimie fonctionnaient, spécialement lors des changements brusques et violents dans le rythme. Alors, à ce stade, on peut parler d'orchestration. De symphonie.
Vous sentez-vous porteur d'une responsabilité face à vos origines arméniennes ?
Oui, bien sûr ! Énormement ! Je suis conscient de cette responsabilité et l'exprime d'une manière différente de celle qui se ressent chez beaucoup de gens de ma communauté, qui voudraient que l'Histoire soit racontée autrement. J'essaie de représenter ce sentiment très spécifique à ma génération - ou peut-être juste le mien -, ce sentiment de reniement. La semaine prochaine, je vais encore à Berlin pour présenter Ararat, l'uvre auquel je m'identifie le plus, même s'il est la plus extérieure possible au corpus général des films que j'ai fait.
Ararat a été comparé à La Liste de Schindler. Quelle est votre opinion sur ce sujet ?
Ararat est à l'opposé de La Liste de Schindler. Pourtant la La Liste de Schindler est le film que beaucoup d'arméniens auraient voulu voir. Le public a une perception différente du génocide arménien et de l'Holocauste. Le génocide arménien a engendré le reniement. Un journaliste turc court le risque d'être jeté en prison par son propre gouvernement s'il emploie le mot génocide dans ses interviews ou ses chroniques (Il s'agit en fait de l'écrivain turc Orhan Pamuk dont le procès a débuté vendredi 16 décembre à Istanbul. Ohran Pamuk est en effet accusé d'« insulte ouverte à la nation turque » pour avoir affirmé en février dans un hebdomadaire suisse qu'« un million d'Arméniens et 30 000 Kurdes ont été tués sur ces terres, mais personne d'autre que moi n'ose le dire ». Ndlr !). Les deux cas ne sont pas comparable parce que les deux schémas politiques sont differents. La Liste de Schindler parle d'un fait reconnu, Ararat cherche à faire reconnaitre un évènement.
Votre épouse, Arsinée Khandjian, apparaît toujours dans vos films, sans avoir forcément le rôle principal. Même quelques minutes. Pour vous porter chance ?
Oui, c'est effectivement par superstition. Elle est ma muse. Elle a aussi joué récemment dans un film que j'ai produit, Sabah, et elle y est extraordinaire.

Vous produisez de jeunes artistes, est-ce une manière de contribuer à un « autre » cinéma ?
On a une responsabilité : celle d'être capable de permettre à la nouvelle génération de grandir. Notre métier est bien difficile à exercer et si on peut faire quelque chose pour soutenir d'autres personnes, alors pourquoi s'en priver.
Retravailleriez vous pour la télévision ?
Bien sûr, si la qualité du projet en vaut la peine !
Vous collectionnez les récompenses et honneurs dans les festivals du monde entier. C'est important à vos yeux ?
J'ai grandi en rêvant de vivre ce genre d'événements. Plus que des rêves, c'étaient de véritables fantasmes ! Quand je me projetais dans l'avenir, j'y pensais souvent. Je me rappelle encore très bien la première fois où je fus invité, j'étais tellement excité
Ce genre d'honneurs a eu beaucoup d'importance pour moi mais maintenant je comprends que la chose la plus importante est de pouvoir continuer à créer et que les prix et la réputation ne doivent pas empêcher d'explorer des idées nouvelles. Vous devez continuer à avancer.
L'avenir ?
De l'opéra. Que de l'opéra ! Plus précisément, La Walkyrie de Richard Wagner, pour la Canadian Opera Company.
Propos recueillis par Hoda Kerbage.
Photos de Sophie Hay.
Autoportrait ci-dessous de Atom Egoyan.
