Marc Levin (Les protocoles de la rumeur)

Stéphane Argentin | 23 novembre 2005
Stéphane Argentin | 23 novembre 2005

Avec une vingtaine de films à son actif dont le très remarqué Slam sur les guerres de gangs, Caméra d'Or à Cannes et Grand Prix du Jury à Sundance en 1998, Marc Levin est ce que l'on peut qualifier un « vétéran des sujets brûlants ». Sa dernière réalisation en date, Les Protocoles de la rumeur, présentée au dernier Festival du film américain de Deauville dans la section « Les docs de l'Oncle Sam », ne fait pas exception à la règle puisqu'il s'attaque rien moins qu'au conflit séculaire opposant les communautés juive et musulmane. Rencontre avec un cinéaste modéré et parfaitement conscient que le monde ne changera pas du jour au lendemain.

Pourquoi avoir attendu les attentats du World Trade Center pour réaliser un documentaire sur ces fameux « Protocoles de Zion » qui remonteraient à près d'un siècle ?
Au lendemain du 11 septembre, des rumeurs ont commencé à émerger selon lesquelles la communauté juive aurait été prévenue que des attentats allaient avoir lieu et que près de 4000 juifs employés dans les tours ne se seraient pas rendus à leur travail ce jour là. Peu de temps après, j'ai eu cette conversation avec un chauffeur de taxi égyptien qui m'a régurgité toute sa haine du monde occidental, des juifs… pendant toute la durée de la course. Puis, peu après autour d'une tasse de café, il m'a finalement déclaré qu'il était venu aux États-Unis pour tenter de devenir musicien parce qu'il adore le hip hop. J'ai trouvé très intriguant ce clash entre cette haine « préformatée » et les véritables penchants culturels de cette personne. J'ai donc eu envie d'approfondir le sujet en m'adressant aux principaux concernés : les gens de la rue.

 


Avec un sujet assez sensible, on imagine aisément que le projet n'a pas dû être facile à monter ?
Le titre en lui-même était déjà un véritable obstacle ! Et je ne compte pas le nombre de refus que j'ai dû essuyer de la part des studios et d'objections de la part de hauts dignitaires juifs. « Ne vient pas foutre ta merde là-dedans ! Boucles-là. Fais profil bas, voilà ce que nous ont enseigné plus de deux cents ans d'histoire » me disaient-ils. « Si tu en parles, tu vas éveiller la curiosité ». C'est toujours le risque en effet car il y aura toujours 2/3 fanatiques qui interprèteront de tels « protocoles » au pied de la lettre, tout particulièrement au lendemain des attentats où les gens étaient sur les nerfs. Mais c'est un risque à courir pour que des centaines d'autres puissent découvrir ce qui se cache réellement derrière ces protocoles.

 

C'est à ce moment qu'HBO est entré en jeu ?
J'ai déjà collaboré sur une dizaine de films avec eux et ils ne se sont pas seulement contentés d'apporter leur soutien financier, ils m'ont également encouragé à apparaître dans celui-ci, évoquant le fait qu'il s'agissait d'un projet très personnel. C'est donc la toute première fois que j'apparais dans l'un de mes films.

Ce fanatisme n'est-il pas devenu aujourd'hui un gigantesque marché économique, comme lorsque vous visitez ce camp néo-nazi où son dirigeant en cravate fait la promotion de tous ces articles ariens ?
Vous avez parfaitement raison sur ce point. Mais le christianisme n'échappe pas non plus à ce marketing, tout particulièrement aux États-Unis où le « business de la foi » est si étendu. Pour autant, ce documentaire était avant tout la première étape vers la question suivante : comment combattre tous ces fondamentalistes, quels qu'ils soient (chrétiens, juifs, musulmans…), qui sont convaincus que Dieu leur a dit de poser des bombes ? Ils voient dans la tolérance des populations démocrates multiraciales une faille à exploiter. Comment combattre ces gens-là sans pour autant entrer dans leur jeu de haine ethnico religieuse ?

La politique et la religion sont également très liées dans cette alimentation de la haine ?
Il ne fait aucun doute que les dirigeants politiques et les leaders fanatiques religieux exploitent des tragédies telles que les attentats du World Trade Center, de Londres ou de Madrid. Les premiers envoient leurs armées en Irak et en Afghanistan tandis que les seconds conditionnent leurs enfants dès le plus jeune âge. Tout le monde sait pertinemment que la répression par les armes n'est pas la solution. La véritable clé du problème se situe bel et bien au niveau de cet endoctrinement en bas âge. Là encore le but de ma démarche en réalisant ce film était d'arpenter les rues au contact des premiers concernés, des différentes communautés, afin de savoir comment ils réagissent, ce qu'ils ont à dire face à la situation actuelle qui pourrait bien être le point de départ d'une nouvelle guerre froide pour les 50 prochaines années. Mon but n'était nullement d'apporter une réponse au problème mais d'amener tous ces gens à s'interroger sur leurs propres convictions.

Contrairement à l'âpreté visuelle de La Passion du Christ ou bien au ton sarcastique de Fahrenheit 9/11, votre approche est beaucoup plus posée et socratique ? Croyez-vous que l'une ou l'autre des approches soient plus efficaces sachant que les films de Mel Gibson et Michael Moore ont été d'énormes succès commerciaux ?
Je ne rencontrerais certainement pas le même succès qu'eux (rires). Bien que je considère Michael Moore comme un véritable génie qui a changé à jamais le monde des documentaires avec son Fahrenheit 9/11 et que j'admire la passion qui a animé Mel Gibson pour mener son projet à terme envers et contre tous, je n'ai pas cherché pour autant à faire mon « 9/11 juif » ou bien ma « passion juive ». Comme vous venez de le souligner, Michael Moore est un showman très sarcastique. Je fais des films depuis 25 ans maintenant et mon approche n'a jamais été celle-là. J'ai cherché avant tout à percer ce conditionnement ancré plus ou moins profondément en chaque individu, y compris les plus intelligents, qui croient que la foi est leur allié le plus précieux et tentent de le faire croire aux autres, à commencer par notre Président, George W. Bush. Pour autant, des proches auxquels j'avais montré une première version des Protocoles de la rumeur m'ont dit qu'il contenait beaucoup trop de violence, qu'il fallait contre balancer toute cette haine présente à l'image. C'est la raison pour laquelle j'ai demandé à mon père qui est désormais athée d'apparaître dans le film, afin de jouer ce contrepoids « adoucissant ».


L'affiche française L'affiche américaine

Qualifieriez-vous votre film d'utile ou bien d'utopiste dans la mesure où il n'empêchera jamais les gens de continuer à se massacrer au nom de la religion ?
Je suis pleinement conscience que je ne changerais pas la face du monde du jour au lendemain avec un simple film. Mais la renaissance du documentaire que l'on a pu observer au cours de ces dernières années avec Fahrenheit 9/11, Super size me… prouve qu'il y a non seulement un marché mais aussi et surtout un public pour ce type de films, un public à la recherche de renseignements plus approfondis que les simples news TV. Et même si le sensationnalisme reste prédominant, j'ose espérer que mon approche que vous avez qualifié fort à propos de « socratique » saura éveiller les consciences et fera également son office à plus ou moins longue échéance.

 

Propos recueillis par Stéphane Argentin.
Autoportrait de Marc Levin.

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