François Berléand (Edy)

Johan Beyney | 31 octobre 2005
Johan Beyney | 31 octobre 2005

On le connaît pour nombre de savoureux seconds rôles et pour son talent à incarner des personnages antipathiques, bougons, pourris. Si Edy est loin d'être un type recommandable, François Berléand s'essaie cette fois avec succès au polar sombre et désespéré bien loin des chants enfantins des Choristes. Le temps d'une interview téléphonique (ce qui nous prive du coup du traditionnel autoportrait), il évoque, enthousiaste et bavard, son métier d'acteur, son personnage et ses projets.

On vous retrouve encore avec un personnage d'assureur véreux. Ces rôles de pourris, vous les cumulez parce qu'on ne vous propose que ça ou parce qu'ils vous intéressent vraiment ?
Un peu des deux. Depuis le temps qu'on me propose des personnages atypiques, j'ai appris à les défendre et à les apprécier. Et puis mon physique de Monsieur tout le monde fait qu'on va davantage me proposer des rôles d'assureur que de très grand chef d'entreprise. Pas mal d'acteurs refusent pour leur carrière de jouer les salauds ou les cocus, moi c'est plutôt mon fonds de commerce. J'adore défendre des personnages indéfendables.

Est-il envisageable que l'on vous voie un jour jouer les bons samaritains ?
Tout m'intéresse ! Je commence à avoir fait le tour de toutes les fripouilles imaginables, et j'aimerais maintenant élargir la palette de mon métier d'acteur. Je trouve au théâtre des rôles plus proches de ma personnalité. Je suis quelqu'un de gentil, de naïf - même si à 53 ans, la naïveté relève plutôt de la bêtise - et j'aimerais jouer des personnages plus sympathiques. Je ne vais pas non plus jouer l'Abbé Pierre, mais on m'en propose de plus en plus.

Qu'est-ce qu'Edy a de différent des autres fripouilles que vous avez interprétées?
Entre l'assureur de Ma petite entreprise et celui-ci, la différence est une peine de 20 ans de prison incompressible. Ce qui est intéressant ici, c'est de jouer un mec au bout du rouleau, prêt à se suicider qui, après avoir commis un crime, va doucement remonter la pente. Intéressant aussi de le jouer de manière minimaliste. Quand je prends un rôle, je prends les tics du personnage. Du coup, quand j'ai commencé le tournage, j'étais en pleine déprime et j'ai remonté la pente en même temps qu'Edy. Mais c'est pas l'Actor's studio, c'est plus instinctif. Sur le tournage de Mon idole, j'étais méchant avec tout mon entourage !

Qu'est-ce que ça fait de jouer un rôle qui a été écrit pour vous ?
C'est une sensation très agréable, mais ça met aussi une énorme pression. Et puis on se dit « Si ça a été écrit pour moi, c'est qu'on me voit comme ça, donc que tout le monde me voit comme un salopard ! ». Mais puisque le personnage est intéressant…

Après une flopée de seconds rôles, vous voilà avec le rôle-titre. Qu'est-ce qui l'emporte, la fierté ou la pression ?
La pression. Ce n'est pas tant sur le tournage que la tension est présente, puisque je m'investis autant dans les seconds rôles que dans les rôles titres, mais c'est après. Si le film est un flop, on va dire « Berléand, il attendra encore un peu pour un premier rôle ». Mais s'il n'y a pas de pression, il n'y a pas de plaisir non plus. Je dois être un peu masochiste. Et puis je ne vais pas me plaindre : sur 100% d'acteurs, combien font ce métier ? Quand on me propose quelque chose, je suis en devoir de l'accepter.

Est-ce que vous avez le sentiment de devoir faire vos preuves ?
Un comédien doit faire ses preuves tout le temps. On ne peut pas se permettre de faire de faux pas. Si un concertiste se vautre sur ses notes, il ne va pas retravailler tout de suite non plus. Il y a suffisamment d'acteurs pour être vite remplacé.

Comment avez-vous abordé ce personnage très mutique ?
Ca a été difficile parce qu'en tant que comédien de théâtre, j'ai appris à me servir du texte pour jouer la comédie. Mais le plus dur était d'être seul : douze jours tout seul sans partenaire à subir, à m'ennuyer. Puis j'ai rencontré Noiret qui m'a dit « Sur le Vieux Fusil j'ai aussi passé douze jours tout seul à faire semblant de guetter les soldats allemands. Quand j'ai vu le film, j'ai compris combien c'était important ». A partir de là, ça n'a plus été un problème.

Vous attendiez-vous à un film aussi formellement abouti ?
Oui, car j'avais déjà tourné avec Stéphane pour un court métrage, Requiems. J'avais déjà vu que c'était un metteur en scène qui faisait dans l'esthétique sans faire dans l'esthétisant. Il aime la pureté des plans, du cadre, il est dans l'épure et le minimalisme. Je savais que je retrouverai ça dans Edy, ce côté un peu formel mais qui me plait beaucoup.

Quelle place tient ce film dans votre filmographie?
J'ai déjà dit que c'était mon film préféré, et je me suis attiré les foudres de certains de mes amis. En tout cas, il fait partie de mes trois films préférés

Avec ?
Avec Mon idole et Ma petite entreprise. Et Fred aussi, mais je le mets sur le même plan puisque c'est aussi Pierre Jolivet. Ce sont tous des films qui m'ont fait franchir une étape. Avec Edy, c'est la première fois que j'accepte de voir ma tronche et mon jeu sans me dire « Tiens, j'aurais dû faire ça autrement ». Je n'ai pas l'impression d'avoir trahi le metteur en scène, et il ne m'a pas trahi non plus. Dans Mon idole, il y a une scène de fou rire qui n'était pas une scène jouée mais un vrai fou rire. Quand j'ai vu le film fini avec cette scène montée, j'étais hors de moi parce que c'était volé !

Comment vous positionnez ces films à côté du Transporteur ou de Quartier VIP ?
Bon, Quartier VIP ça a été une erreur, je n'aurais pas dû le faire. Comme Johnny en faisait peu, le metteur en scène m'a demandé d'en faire des tonnes pour compenser. Quand j'ai vu le film fini, j'étais catastrophé et je me suis trouvé à chier. Johnny n'est pas le meilleur des acteurs mais je voulais le rencontrer. Maintenant je sais qu'on ne fait pas ce métier pour jouer les midinettes mais pour jouer un rôle. Quant au Transporteur 1 et 2, il se trouve que Louis Leterrier est un cousin par alliance à la mode de Bretagne. Comme c'est une production Besson, il faut dire oui sans avoir lu le scénario, et puis je voulais faire un tournage en anglais. Ce qui est drôle, c'est que ce petit rôle m'a construit une notoriété internationale que je n'aurais jamais envisagée.

Et cette notoriété vous plait ?
C'est très agréable quand les policiers vous laissent repartir ou que les gens vous félicitent. Ca l'est moins quand on vous emmerde dans la rue. Je suis assez pudique et je n'ai jamais demandé la starisation – et Dieu merci je n'en suis pas là ! Mais je suis toujours gêné quand je rentre dans un lieu public et que toutes les têtes se retournent.

Alors comment vivez-vous l'exercice de l'interview ?
Ca ne me pose pas de problème, j'aime bien parler de moi ! Je ne pratique pas la langue de bois et j'aime bien répondre à la question qui m'a été posée sans essayer de la détourner.

Pourquoi faut-il aller voir Edy ?
Ecoutez, hier il y avait une projection avec des gens qui n'allaient pas beaucoup au cinéma et qui avaient gagné leur place sans savoir ce qu'ils venaient voir. Ils m'ont dit « C'est drôlement bon, c'est pas Taxi quoi, pas télé. C'est intelligent. » Voilà mon argument : c'est un film populaire, d'accès facile et qui pourrait créer des vocations de cinéphiles. C'est du vrai cinéma jubilatoire. Je pourrais aussi vous dire que tous ceux qui ont aimé Les choristes vont aimer le film, mais ce ne serait pas vrai.

Une information sur le prochain film de Guillaume Canet, Ne le dis à Personne ?
Le film est fini, on attaque le montage. Je m'en suis sorti avec un bras cassé !

C'est donc un rôle plus physique ?
Physique si on veut. Il a fallu que je courre trois mètres et je suis tombé !

Reste aussi le prochain Chabrol…
Je n'ai pas le droit de trop en dire à cause d'une juge médiatisée qui a travaillé sur une affaire concernant une grande entreprise publique qui aurait financé un parti politique français, si ça vous rappelle quelque chose… Isabelle Huppert joue le juge et je joue ce patron qui à l'époque avait une barbe et un nom à consonance bretonne. Puis arrive un joli conte avec Carole Bouquet, une série pour Canal plus, et le prochain film de Pierre Jolivet avec Vincent Lindon et Sandrine Bonnaire. Beaucoup de projets donc !

Propos recueillis par Johan Beyney.

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